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4 septembre 2012 2 04 /09 /septembre /2012 07:14

L'at de rêverNote de l’auteur (p.vii)

Les sorciers de l’antiquité : une introduction (p.1)

La première porte de Rêver (p.20)

La deuxième porte de Rêver (p.35)

La fixation du point d’assemblage (p.57)

Le monde des êtres inorganiques (p.82)

Le monde des ombres (p.106)

L’éclaireur bleu (p.128)

La troisième porte de Rêver (p.141)

Une nouvelle aire d’exploration (p.166)

Traquer les traqueurs (p.183)

Le locataire (p.199)

La femme dans l’église (p.220)

Voler sur les ailes de l’intention (p.241)

 

« Romance avec la connaissance »

 

4 : La fixation du point d’assemblage

 

Pour les sorciers rêveurs d’aujourd’hui, l’acquisition de leur capacité de manipulation de leur point d’assemblage remonte à l’époque où les rêveurs devinrent tristement sorciers, avides de pouvoir, négatifs et dangereux pour leur société. C’était une période très ancienne. L’indien yaqui les situe dans leur déclin, il y a 3.000 ans.

C’est-à-dire que leur chute daterait de 1.000 ans avant notre ère calendrier. La Chine voyait la dynastie de Zhou remplacer celle des Shang. En Asie-Mineure, les Grecs colonisaient le littoral asiatique de la mer Égée. Le roi David unifiait les douze tribus d’Israël sous une capitale commune : Jérusalem. Le Mexique connaissait la civilisation Olmèques (- 1.500 à – 300). C’est la culture des têtes colossales en basalte plantés à même l’herbe. « Il y a trois millénaires, ils disparurent presque ». Dans le même temps, la société des sorciers rêveurs fit de son mieux pour préserver la connaissance de l’art de rêver.

Avant cela, pendant 4.000 ans des générations de sorciers, énigmatiques, tyranniques, furent à leur apogée en Méso-Amérique. C’était une civilisation qui aurait séjourné sur le sol de notre planète Terre quand, au Proche-Orient, Jéricho fêtait ses mille ans d’âge, quand la cité état de Çatal Höyük qui avait jeté ses bases dans l’actuelle Turquie abritait déjà cinq mille habitants. L’archéologie situe l’essor de la poterie à cet endroit de l’Histoire de l’homme néolithique (Japon, Chine) et de la céramique noire. La pyramide de Gizeh n’existait pas encore… l’écriture non plus.

 

« La gloire des sorciers d’antan commença il y a environ sept mille ans ». Ce qui remonterait à la civilisation urbaine de la période préclassique ancienne de Teotihuacan (Tehuacàn) et la découverte d’une denrée miraculeuse : le maïs.

Les sorciers amérindiens du Mexique, de la culture Mexicatl, commencèrent à pactiser avec les êtres élémentaires de l’univers. Ces formes sombres déléguaient l’un des leurs comme représentant pour induire les consignes de “Rêver”. Le sorcier rêveur, preneur de plantes psychotropes, entendait, en son for intérieur, un « émissaire » lui suggérer une attitude. Ces anciens maîtres puissants, les « négus » de don Juan Matus, représentait avant toute chose une énergie, une conscience éveillée, avec juste ce qu’il fallait de sobriété pour sembler opérante. Mais l’indien yaqui relativisait leur apport dans la connaissance des êtres organiques. « Le problème avec l’émissaire de rêver est qu’il ne peut dire que ce que le sorcier sait déjà ou est supposé savoir ». Autant dire que les cours particuliers à domicile avaient tendance à avoir un ascendant sur les rêveur novice, tandis que la recette qui consistait à occuper le terrain en permanence par du remplissage laconique était usé parmi l’élite.

C’est somme toute, une force d’énergie très particulière, sans grande personnalité. Mais à qui il ne fallait pas accorder la qualité du devin (apte à deviner d’avance) relative à nos problèmes existentiels personnels. Cette voix doucereuse, faussement amicale et désintéressée, qui s’exprimait par mot isolé ou groupe de mots voilés, n’était pas non plus sexuée. Don Juan expliqua à son élève que sont les mentalités des sorciers qui avaient fait de cette forme de conscience énergétique étrangère une force toute personnelle, en lui accordant un statut d’intime.

La raison technique invoquée par le sorcier yaqui tenait et tient toujours, du point d’assemblage. Ladite voix du pseudo messager de “Rêver” est la conséquence du déplacement et de l’établissement du point d’assemblage sur un autre champ de perception. Pour ne pas avoir ce genre de désagrément émotionnel, il suffit encore aujourd’hui de rester détaché émotionnellement afin de se concentrer sur son attention seconde de rêver. « L’émissaire reste ce qu’il est : une force impersonnelle qui agit sur nous à cause de la fixation du point d’assemblage ». C’est une réponse à l’énergie déployée quand le rêveur passe de la seconde porte de “Rêver”. Voilà une énergie exotique qui ne peut savoir et dire que ce qu’elle apprend de nous. L’énergie de l’Univers, immensité de conscience et de cohérence, faite de filaments de lumière, ne fait que révéler ce que le rêveur a déjà appris. C’est une résonance désagréable, parfois, des affections intimes.

 

En ce qui concerne le mystère de notre monde, Carlos en découvrait plus qu’il n’aurait jamais demandé. L’homme finit, à force de travail sur lui, à rendre la voix impersonnelle à sa véritable fonction d’incidence énergétique. Sans lien étroit avec ses besoins. « Je n’ai trouvé aucun intérêt à devoir devenir leur élève […] Leur prix est bien trop élevé », lui confie, un jour, son benefactor. Il voyait cet attachement à la voix comme une perte de liberté de penser par soi-même, de choisir seul et d’évoluer avec l’aléa supposé. Notre énergie est le sel de notre vie. Inutile de vouer un culte d’amitié avec une substance noirâtre, ni de pactiser pour une inconscience et une subconscience mises à mal. Ce fut l’erreur fatale que les sorciers précolombiens firent. Ils firent de leur « émissaire de rêver », l’entité la plus efficace pour progresser rapidement. Ces gens hallucinés rêvaient de s’établir dans le monde des êtres élémentaires. Ils y convoitaient les savoir-faire, les connaissances et les pouvoirs, d’où leur attitude despotique, antisocial, avec leurs contemporains. Ce qui les perdit.

 

Leurs savoirs étaient certes exceptionnels dans leur capacité énergétique de mémoriser et d’actualiser plusieurs centaines de positions différentes du pôle de connexions avec cette vision grand angle du monde. Ce qui ne subsiste d’ailleurs de leurs efforts à s’immiscer dans la perception globale des deux hémisphères cérébraux, ne restituent que l’art de rêver et un autre art, de « traquer ». « L’art de rêver concerne le déplacement du point d’assemblage », déclarait don Juan. Il disait notamment que « l’art de traquer » s’apparentait à l’art d’immobiliser le point d’assemblage où qu’il fût déplacer. Ce qui voulait dire : gagner en cohésion et en conscience. C’est ce qui se passait quand la voix de l’émissaire s’imposait. Elle pouvait être aussi le résultat de l’acquis d’une conscience qui prend de la cohésion. « L’attention de rêver, le corps d’énergie, la seconde attention, la relation avec les êtres inorganiques […] sont les sous-produits de la fixation d’assemblage ».

Pendant le sommeil réparateur du corps, le rêveur, qui n’est autre qu’une conscience absorbée, reçoit les énergies de l’univers. Elles se déplacent en l’enveloppe charnelle comme on le sait, en traversant le corps d’énergie et deviennent cohérentes par le truchement de cette conscience préoccupée que l’on a du monde qui nous entoure. Une perception lucide émigrant dans l’endormissement ou dans la phase du sommeil paradoxal, permet au rêveur de garder de la cohérence de perception. Ce qui est vu, entendu, ressenti est compris, parce qu’en tous points semblables à la période d’activité. La focalisation de la conscience éveillée sur un scénario, un défilement spectaculaire, du songe amène le dormeur rêveur, si lucide, à entretenir un rapport interactif intelligible avec son inconscient, et peut-être aussi avec son subconscient.

 

Quand l’apprenti sorcier devient maître de ses émois passagers, diurnes et nocturnes, qui sont des reflets d’un chemin de vie à l’échelle humaine, il sait garder la seconde attention en période d’activité. On osera dire que l’hémisphère droit, ou gauche, a ponté l’autre hémisphère pour générer un flux sanguin renforcé, de façon permanent et irréversible. Sa perception globale du monde, s’en trouve modifiée, sans doute améliorée. Aux dires de l’indien yaqui et de l’écrivain de The Art of Dreaming, l’autre partie de l’univers qui nous fait défaut au niveau de nos sens, se manifesteraient tout de même. L’énergie atomique du vivant est visible pour les êtres organiques, tout comme les sorciers d’antan découvrirent qu’elle l’était pour les êtres inorganiques.

Don Juan Matus n’a guère confiance dans les êtres inorganiques parce qu’ils sont malicieux et qu’ils trompent tout nouveau venu pour lui échanger quelques brides d’informations glanées en son alter ego contre de l’énergie nouvelle. C’est pour l’indien yaqui une bonne raison pour se passer de leur service et de mettre fin à une peur hérité des sorciers de l’antiquité. Quand les sorciers de la nouvelle génération comprirent leurs trucs, ils se sentirent libres. Ils étaient libérés d’une tutelle envahissante. De même, pendant le sommeil du corps, la conscience de ces individus réalisèrent ce qu’était une « position de rêver ». Au cours du sommeil, le point d’assemblage, fait de millions de filaments luminescents, peut être déplacé et arrêter en une nouvelle position. Rêver change de décor, mais également de forme et force d’énergie. Par contre, la cohérence est à rétablir en rassemblant sa conscience énergétique. Lorsque nous focalisons notre perception, notre attention, sur les éléments qui composent tout rêve, nous exerçons une force sur le point d’assemblage. Traquer, c’est cet exercice libre, ou exercé, sur la conscience et la cohésion des énergies. Il semble évident au mentor de Carlos que : changer de point s’assemblage, est n’est pas le déplacer. « Les changements du point d’assemblage conduisent à d’infimes déplacements, pratiquement imperceptibles ».

La gloire des sorciers fut d’avoir su maîtriser leur pôle de connexions énergétiques à l’univers, pour qu’il ne leur échappe pas comme avant, alors qu’ils ignoraient jusqu’à son existence. Ceci autorise à le guider, à le mouvoir, et de le fixer sans jamais perdre de la compréhension de ce qui est perçu. La cohésion de l’univers et de sa visée grand angle (+ de 45° de focale) et à ce prix d’expérimentation et d’expériences multiples. La cohésion est fortement marquée dans la netteté des détails, la clarté des événements oniriques et la véritable compréhension de ce qui a été vécu. Une meilleure mémoire événementielle en témoigne. Ce sont là les leçons des sorciers rêveurs d’autrefois.

 

Dans une analyse que fait Carlos d’une vision au milieu d’un rêve, il emploie un néologisme qui contraste avec le vocabulaire de son mentor yaqui. Il avait rêvé se trouver dans un arbre, pris au piège du feuillage avec lequel il eut une étrange expérience « multi sensorielle » qui le dérouta. Il voyait l’énergie de l’arbre puis, des branches puis, des feuilles. Chacune d’elles l’attirait comme s’il avait été fait prisonnier dans un filet de rayonnements lumineux énergétiques, de tourbillons d’énergie pure. Il utilise en conséquence l’idée d’avoir été retenu par l’attraction du magnétisme végétal. Le sorcier rêveur se sentit « mesmérisé » par l’attraction magnétisme de l’arbre jusqu’à sentir son énergie décroître alors qu’il manipulait des feuilles balancées par le vent. Le médecin allemand Franz Mesmer développa au 19e siècle une théorie du magnétisme animal, appelé le mesmérisme.

Il se souvint que, dans notre monde de tous les jours, « la raison n’est qu’un dérivé de la position habituelle du point d’assemblage », lui avait annoncé son benefactor. En la matière, il n’y aurait pas d’esprit qui soit sain par rapport à un autre qui ne le serait pas… mais un esprit dont la seule conscience peut rendre cohérent et tolérable une expérience. Ce qui se passe compte beaucoup plus que de dire : « ce qui s’est passé à bien eu lieu », après introspection rétroactive. Notre esprit cartésien façonné de religion et de civisme est le résultat de l’immobilité du pôle de connexions. Il en est de même chez tous les Homo sapiens. L’habitude, professe-on chez les sorciers rêveurs, n’est pas un cadre formel et fermé qui autoriserait de poser des hypothèses du vaste Univers. C’est ainsi que nous avons si souvent confiance en nous, confie l’indien yaqui. Toutes les analogies de situations garantissant notre cheminement et une certaine foi dans les événements. Certainement, il faut une vie pour faire le tour des affectations et des aléas d’une existence. Nos anciens nous diront bien que c’est toujours pareil, ça ne valait pas le bon temps.

La planète bleue pourrait tout aussi bien être vue comme une école parmi d’autres situées dans d’autres galaxies, dans d’autres systèmes solaires. « Ce que rêver fait est de nous accorder […] la fluidité d’entrer dans d’autres mondes », répète sa leçon le vieil homme de Sonora. On ne peut prévenir et guérir qu’en fonction des indices que nous possédons. C’est l’expérience de cette dimension, de cette petite planète bleue.

 

Ce sont les représentants inorganiques qui servent de guide dans ce système de mondes imbriqués les uns dans les autres. Si ceux-là sont perceptibles aux sorciers rêveurs, c’est aussi parce que les sorciers utilisaient des plantes aux toxines redoutables qui faisaient s’accélérer les processus mentaux de vision, de sensation, de perception. Sans ces plantes hallucinogènes, le développement des apprentis sorciers n’auraient peut-être pas été aussi rapide. Don Juan tenait à « faire ingérer des potions de plantes hallucinogènes » pour “performer” le mental et le métabolisme de son élève pour lui faire accéder à des connaissances soumises à une fluidité du point d’assemblage. Le sorcier indien escomptait sur une secousse libératrice de son pôle d’énergie. Pour le vieil homme, la motivation des sorciers allait de pair avec leur volonté de connaître. Ils l’avaient nommé quelque chose comme « pure compréhension ». Au-delà des mots et des représentations, il y avait encore le terrain de l’expérimentation, en connexion directe avec l’état énergétique, sinon physiologique du commencement. Notre modernité devrait nous choisir un passage plus sûr et moins à risque.

Don Juan Matus préfère, pour sa part, employer un autre langage. « La romance avec la connaissance », semblait mieux lui convenir. Ceci afin de garder toute la tranquillité d’esprit du lecteur pour saisir un événement de sa propre perception. La vraie réussite de notre espèce de grands singes, poursuit-il, est de « bloquer notre point d’assemblage à sa position habituelle ». Seulement, c’est notre éducation ancestrale qui a oublié les autres positions inhabituelles. Ces mondes, en dehors de notre actuelle perception équilibrée, fruit des connexions à d’autres réseaux d’énergie universelle, existent dans le regroupement de la conscience et de la cohésion à chaque positionnement du point d’assemblage.

La perfection de cette nouvelle éducation réside dans l’état continu du point d’assemblage, ce qui rend possible de percevoir de façon cohérente. « Notre expérience serait alors un kaléidoscope d’images dissociées », à la grande différence d’avoir rêvé plutôt que de faire un rêve, pendant l’acte conscient de rêver. Rêver, déplacé sur point d’assemblage, et traquer, immobiliser ce point d’assemblage est toute la difficulté de la seconde attention. Les sorciers précolombiens usèrent à l’envi leur point de connexion énergétique, à la surface et en dehors de leur forme d’énergie ovoïde. Ces exercices de fixation faisaient conserver leur faculté de cohérence. « La faculté de cohérence des sorciers d’antan était telle qu’elle leur permettait de devenir physiquement et perceptiblement tout ce que dictait la position spécifique de leur point d’assemblage » : cette vérité absolue ne faisait foi qu’à l’époque reculée de l’antiquité.

 

Quand ils agissaient ainsi, ils cherchaient à libérer leur perception. Parce qu’ils percevaient le monde par son énergie, ils comprirent que ce qu’ils voyaient et ressentaient était un monde inconnue, auquel ils étaient liés énergétiquement et pouvaient être bloqués intégralement. Il leur paraissait être une même réalité que la réalité de leur monde habituel. Ces pionniers dans la science du psychisme avaient toutes les raisons de croire en leur pouvoir, et de la foi dans leur mode de vie scolastique. Chacun tirait des enseignements des expériences des autres.

L’indien mexicain pensait sincèrement que « l’usage des techniques de rêver dans le monde de tous les jours fut un des procédés les plus efficaces des sorciers d’antan ». Il en fut l’un des élèves et le gardien actuel de la lignée survivante. « Au lieu d’avoir une perception de l’énergie totalement chaotique, [l’usage des techniques de rêver] la rendait directement semblable à un rêve, jusqu’au moment où quelque chose réorganisait la perception et le sorcier se trouvait face à un monde nouveau ».

Il est tout de même contestable de prendre des drogues pour faire ce genre de voyage mental en toute “conscience”. Le meilleur des protocoles expérimentaux requerrait une garantie plus exigeante de santé publique et d’hygiène mentale personnelle. Un champignon vénéneux, une herbe nocive ne peuvent que déranger l’organisme et réduire les perceptions embrouillées dues à un conglomérat de sensations physico-chimiques et d’images hypnotiques.

Pour que de tels mondes nouveaux existent pour nous également, même si ils étaient proposés « enveloppés l’un dans l’autre, comme les couches d’un oignon ». Notre monde peut bien résider dans « l’une de ces couches », notre attitude demeurerait la vigilance. Si les sorciers de l’ancienne école avaient choisi les changements du point d’assemblage au lieu du déplacement de celui-ci, ils le pratiquaient parce qu’ils se retrouvaient, à chaque fois, face à un phénomène prévisible. Ce sont eux qui avaient consacré le plus de temps à mettre l’acte de rêver en forme théorique et en usage. Différemment, les sorciers de la nouvelle école avaient opté pour les mouvements du point d’assemblage car ils s’étaient orientés vers un inconnu non humain quand leurs aînés recherchaient un inconnu humain, plus rassurant. L’inconnu semblait plus proche de nos réalités et donc de notre compréhension.

 

Ce que les sorciers d’aujourd’hui entendent par l’expression : « l’inconnu non humain », a une résonance très force pour eux. Ils cherchaient avant tout à se libérer de leur propre condition d’humain, dans les sens anatomique, physiologique, métabolique. Ils ne voulaient plus être assujettis à cette forme et cette force énergétiques. Ils tentaient de sortir d’un cadre de vie pour en atteindre un autre, comme le promet le vaste univers protéiforme. Le vieil indien yaqui disait qu’il devait s’agir « de mondes inconcevables qui sont au-delà de la portée de l’homme, mais que nous pouvons néanmoins percevoir », lors d’incursions fantomatiques dans des structures et des ossatures énergétiques dissemblables. Le sorcier Carlos le prend comme un chemin écarté des règles traditionnelles de l’acte de rêver. Bien qu’ils apparaissent comme des mondes visitables, sinon habitables, « ce sont des mondes complets », avec leurs règnes minérales, végétales et animales comme se présente à nous le structure de notre système solaire, dans cette galaxie. Cela garantit des voyages sur les ondes du temps et dans les rayonnements de l’espace, à n’en plus finir. Imaginez des univers avec leur infinité de mondes animés de vitalité.

Évidemment, ces royaumes de savoirs et de pouvoirs se situaient en d’autres pôles de connexions énergétiques, sous d’autres agencements de filaments de lumières, dans le tréfonds ou aux confins de plans vibratoires existentielles. C’est le mode de rêver inédit des sorciers du Mexique et de ceux qui tenteraient d’user d’herbes empoisonnées pour pratiquer l’art de rêver. Était-ce le vieil rêve d’Icare, le fils de Dédale : « la liberté de percevoir des mondes au-delà de l’imagination ».

Pas plus qu’ailleurs, ce rêve fou d’explorer les songes de façon artisanale est une gageure. C’est somme toute une belle invitation à l’aventure que d’exercer ses volontés sur ses climats seconds, une histoire entre l’être épris de liberté et un champ opératoire de sensations infinis. L’auteur de cet écrit publié en 1993, rejoignit assez rapidement son maître sur le terrain de l’expérimentation et du concept principal qui sonne tel un poème animiste, shintoïste, taoïste, bouddhiste ou mystique.

 

« Chercher la liberté est la seule force motivante que je connaisse.

« La liberté de planer dans cette infinité là-bas.

« La liberté de se dissoudre ; de s’envoler ;

« D’être comme la flamme d’une bougie,

« Qui, bien qu’ayant à faire face à la lumière de milliards d’étoiles,

« Reste intacte, car elle n’a jamais prétendu être plus que ce qu’elle est :

« Une simple bougie »

 

Les indiens sorciers précolombiens du continent Méso-Américain ont-ils préservé quelque chose d’identique qu’ils continueraient à partager à leurs semblables ?

   

 

5 : Le monde des êtres inorganiques

 

La première question qui s’imposait à la lecture des précédents chapitres qui abordèrent la description des êtres inorganiques aurait été de savoir pourquoi les êtres élémentaires n’ont pas été décrits dans leur forme énergétique et leur point d’ancrage à leur univers. Les descriptions du sorcier Carlos suivirent l’enseignement de ses maîtres. Dans l’univers des êtres inorganiques, des “élémentaux”, « je volais, écrivit-il, dans ce qui me sembla être un tunnel noir tel un insecte sans poids ».

Le monde à part le nôtre était déjà devenu la résidence des sorciers de l’ancien temps. Pour parvenir à ce climat second de perception fortuite, leurs rêves, quand lucides, faisaient suite à une tension intérieure pour tenir leur point d’assemblage et canaliser leur seconde attention sur les éléments et les détails de leur songe éveillé. Ainsi apprit à le faire le sorcier yaqui, mentor de Carlos. Ainsi faisait l’élève.

 

Se sentant propulsé d’une sorte de tuyau sans lueur, le rêveur eut la sensation quasi physique d’une présence matérielle près de lui. Il observa les détails qui se présentaient à sa conscience éveillée et découvrit que « c’était poreux et caverneux ». La texture de la matière légèrement lumineuse était « fibreuse ». Un tissu fibreux qu’il compléta du terme de « rugueux ». L’immense objet qui lui faisait face avait une luminance sombre et elle était de coloration brune. L’endroit était parfaitement silencieux. Le tout paraissait figé. L’homme énergétique estimait que le pouvoir d’attraction de ce qui pouvait être une « gigantesque éponge » lui paraissait réel. Le rêveur avait été amené en ces lieux énigmatiques par l’un des “élémentaux”. L’être inorganique manifestait un « amas de pure énergie », pas plus gros d’un insecte, qu’une « luciole » qui virevoltait autour de lui. Il discernait que cette énergie crépitait, capable d’être au courant de la position du rêveur.

La petite chose énergétique l’avait amené ensuite à se déplacer « au travers d’une lumineuse caverne ». L’intérieur était semblable à l’extérieur, mais l’aspect rugueux n’était pas, ici, dupliqué. La texture de la masse était moins raboteuse, avec des irrégularités d’aspect général dans la substance. Le rêveur s’imaginait être à « l’intérieur d’une ruche », avec ses multitudes de passages de géométrie régulière, qui rayonnaient dans diverses directions. L’intérieur était faiblement éclairé, mais la vision du rêve le restituait sans peine. « Les tunnels me semblaient vivants et conscients », et l’ensemble, chargé d’énergie ténue, émettait le même grésillement que l’élémental.

On l’invita formellement à demeurer dans ce qui était présenté comme un autre être inorganique, plus massif. À cet instant, le rêveur se rendit compte qu’il n’avait plus sa forme organique, mais qu’il était devenu « un amas d’énergie semblable à [son] éclaireur ». C’est de cette façon qu’il présentait son accompagnateur, sous forme de luciole grésillante. « L’éclaireur » lui fit les honneurs de la maison, en lui vantant tous les mérites de son prochain séjour parmi eux.

 

Dans son voyage dans l’inconnu, à figure non humaine, essentiellement énergétique, le rêveur eut de nombreux doutes sur ce qu’il percevait et quant à admettre ou contester une telle “réalité” au songe éveillé. Sa conscience et sa cohérence se réorganisaient lentement, en fonction des informations qui se succédaient et de son aptitude à terminer sa position inconfortable. Lorsqu’il revint de cette première errance onirique, il en parla à son référent. Celui-ci se décida à lui rappeler les règles vitales de bonne conduite d’un rêve dans l’art de rêver. « Pour parfaitement rêver, la première chose à faire est de cesser le dialogue intérieur ». L’émissaire inorganique lui avait presque fait la même réponse en affirmant que « s’endormir à un moment de silence complet assure une parfaite entrée dans rêver […] et cela garantit aussi l’amplification de votre attention de rêver ».

Le sorcier yaqui qui ne cache pas qu’il déteste ces modalités d’échange d’énergie contre de futiles connaissances, ne cessait de prévenir son protégé du risque d’adhérer à des pratiques anciennes, aujourd’hui révolues. La liberté de choisir, d’aller, de se tromper étaient les meilleures assurances d’une connaissance par l’expérience et l’expérimentation, dans le cadre d’une “sorcellerie” corrigée. Cet univers est hostile, lui fit-il la remarque.

 

Dans ses visites suivantes, dans un état second de rêver, le rêveur et traqueur Carlos détailla mieux les parois de « l’éponge inorganique » et lui accorda quelques termes choisis et vraisemblables. Les parois avaient des « protubérances compliquées, un peu comme l’écriture braille ». Dans ce bas monde, habité par des élémentaux d’énergie, il fallait craindre que bon nombre d’êtres, trop curieux et trop vulnérable, aient succombés à ce miroir aux alouettes. Don Juan Matus transmettait des astuces de “percevoir” comme de “voir”. « Fait bien attention à la conscience qui est immobile. Une telle conscience doit rechercher le mouvement ». Le vieil homme pensait sans ambiguïté à la conscience de la seconde attention dans l’acte de rêver. C’était d’autant plus surprenant que les sorciers avaient une conception très ancienne de la notion actuelle d’“hologramme”. « Elle [la conscience] le fait en créant des projections, parfois des projections fantomatiques ». C’était très proche de la théorie quantique de Sitter des années quatre-vingt de notre calendrier.

 

Ainsi donc, il y aurait, par analyse un peu poussée, une strate vibratoire sous forme d’un monde intermédiaire, peuplé dans son essence énergétique de projections holographiques reproduisant des formes d’êtres inorganiques dont la clameur ne pourrait dépasser une certaine octave, c’est-à-dire une amplitude d’oscillation.

Selon les expériences du vieil sorcier rêveur, « les êtres inorganiques se branchent sur les sentiments les plus enfouis des rêveurs, et […] jouent avec. Ils créent des fantômes pour satisfaire ou effrayer les rêveurs ». Dans ce cas, nos rêves seraient-ils de la même matière que ces hologrammes venus d’outre-tombe ?

Cela signifierait-il également que dans le monde des élémentaux, les locataires des lieux auraient des pouvoirs de refléter une certaine réalité cachée du rêveur ? L’incompréhensible identité de ces personnalités sinistres fut délivrée par une confidence du benefactor de Carlos. « Les êtres inorganiques […] étaient de l’énergie ténue projetée au travers des mondes, comme dans un cinéma cosmique ». Ce qui ajoute à la conjecture. Entre deux mondes, les êtres élémentaux seraient des faisceaux de lumières éthérées projetées telles des négatifs en trois dimensions.

 

Essayons de prendre cela aussi sérieusement que possible. Don Juan a déjà évoqué l’univers tel un « oignon » dont les mondes sont les « couches » qui le constituent. Partons de la notion la plus ancienne de la culture occidentale : la culture grecque à qui nous devons le vocable de Cosmos.

Le cosmos serait dépeint tel un oignon composé de couches. Le cosmos est le plus grand de tous les “grand tout”. Chaque couche abrite des mondes, habités ou pas, c’est-à-dire des systèmes solaires dans des galaxies, dans des amas galactiques. Après, nous ne saurions que dire. Sauf, qu’une couche est un univers complet, à x dimension.

De la sorte, chaque univers serait séparé de son voisin par une fine membrane. Celle-ci pouvait être une protection, à la fois mécanique, quantique, thermodynamique et énergétique. Ce serait bien évidemment nécessaire pour préserver l’espace et le facteur temps du lieu.

Tous les univers sont des puissances énergétiques dont les rayonnements lumineux partent dans toutes les directions.

Ce sont ces faisceaux de lumière qui se combinent en mondes, peut-être par interférences. C’est le principe même de la fabrication d’un hologramme par heurts de deux ou plusieurs faisceaux d’énergie.

Si une couche d’oignon est un plan d’existence lié à une vibration fossile, toutes les couches de l’oignon n’ont pas forcément la même couleur, la même texture, la même brillance, la même sensibilité, la même attraction. Ce qui expliquerait que l’univers des êtres inorganiques soit si différent du nôtre.

En considérant que leur monde est séparé du nôtre par une fine membrane énergétique, leur unique mode de communication serait la projection de silhouettes d’eux, en, au moins, trois dimensions, pour être capté.

 

De ce fait, naîtrait sans doute un instinct de propriété, et une attitude d’auto-défense spontanée, créant la confusion chez l’hôte arrivant. D’autant que si l’énergie se fait aussi rare dans ce monde qu’on le dit, telle la denrée la plus précieuse du Cosmos, une course poursuite pourrait s’en suivre, pour s’en approprier. Peut-être est-ce là le lot de toutes les structures universelles du Cosmos. Les sorciers rêveurs « partagent l’opinion que l’univers est prédateur ». Par conséquent, tout rêveur, à l’état de conscience éveillée, ne devrait pas oublier dans son activité de “Rêver” cette injonction de conscience vigilante. Dans le cosmos, immensité de mondes univers, à multiples dimensions, à diverses fréquences radioactivités dans leur radiodiffusion, la science de l’astrophysique a bien su démontrer que le principal mouvement de l’univers est l’expansion tous azimuts. La lumière, nous disaient les sorciers de l’antiquité, était en état de “conscience”. Si elle est « contrainte de s’accroître […] sa seule façon de le faire est la lutte, les confrontations à la vie ou à la mort ». La place vacante dépendra de celle laissée par la voisine.

Des poètes optimistes écrivirent que dans l’univers, rien ne se perd, tout se transforme. Mais une conscience qui a la prescience de sa forme et de sa force pourrait montrer des réticences à changer de forme et de force au profil d’une autre, aux dépens de la sienne. Don Juan répètera maintes fois les leçons qu’il a apprises et dont il retient l’essentielle en ces termes : « Les rêveurs doivent en permanence être sur leurs gardes. Dès l’instant où ils s’aventurent dans cet univers prédateur, ils deviennent une proie potentielle ». L’énergie est la manne des mondes.

On saisit mieux toute la portée du mot “économie”.

 

Il est d’autant plus déroutant que les sorciers rêveurs pensèrent l’univers telle une énergie au féminin, dont l’énergie au masculin était, selon eux, une émanation plus inhabituelle. Ce qui faisait dire à don Juan : « La rareté des mâles est peut-être sur notre planète, la cause de la domination injustifiée des hommes ». Il était parfaitement irrationnel de situer dans une énergie une essence qui s’associerait à la féminité, en s’approchant peu de la masculinité. Carlos Castañeda nous en fit pourtant la relation fidèle.

Le lecteur a été longuement édifié sur l’apparence de l’espèce humaine, dotée d’un organisme, et dont la spécificité était d’être une source d’énergie dont la forme et la force dépendraient de la position du pôle de connexion des faisceaux de lumières brillantes, diffusion d’une conscience cosmique. L’énergie changerait à chaque mouvement ou déplacement du point d’assemblage puisque l’énergie de l’univers passerait de façon concentrée dans la petite sphère dorsale sous l’enveloppe lumineuse ovoïde.

 

6 : Le monde des ombres

 

Si les termes changent, ils continuent à définir les mêmes objets. Ainsi, les « ombres » sont-ils les êtres inorganiques qui ressemblaient à leur nature élémentaire, tels des “élémentaux”. Le sorcier yaqui prévenait régulièrement son élève pour qu’il fasse attention aux objectifs des êtres inorganiques. Pour ce faire, il revenait quelquefois sur une explication qu’il avait déjà fournie et commentée. Au-delà de l’acte de porter son attention seconde sur la trame d’un rêve, et sur son énergie, il y avait un autre acte moins connu des novices qui faisait jour à la pratique. C’était « l’acte de suivre un éclaireur ». C’était toujours un être inorganique qui faisait semblant d’être dévoué et au service exclusif des rêveurs sorciers.

Comme « la seconde porte s’ouvre […] en leur donnant accès à l’univers qui existe au-delà », la vigilance était d’importance parce que l’univers était prédateur et que les élémentaux étaient la seule forme de relation non humaine avec laquelle il fallait compter. Un tel univers restait potentiellement accessible, mais le commun des mortels n’y avait pas encore fait son passage en toute conscience, car il manquait singulièrement de maîtrise et d’énergie. Et un certain courage était une des expressions de cette énergie. « La seconde porte de rêver est […] l’entrée dans le monde des êtres inorganiques, et rêver est la clé qui ouvre cette porte », réitérait l’indien yaqui. Il est impossible de ne pas avoir affaire avec un être inorganique, qu’il se présentait sous les motifs d’émissaire ou d’éclaireur. Ces titres solennels ne changeaient rien à l’affaire.

« Rêver, invention des sorciers d’antan, devait être pratiqué selon leurs règles », disaient les anciens. Ces prescriptions mises en place par des hommes qui découvraient le vaste univers, sous toutes ses formes visibles et invisibles, avaient finalement fait la découverte physiologique et neurologique de quelques codes normatifs se déclinant comme suit :

 

- C’était l’action de changer de rêve dans l’acte de rêver qui faisait se manifester les éclaireurs inorganiques, maîtres des lieux ;

- Les éclaireurs menaient les nouveaux venus où ils voulaient. Mais c’était toujours un véritable univers par ses propres lois universelles ;

- Une fois dans un tel monde, par l’acte de rêver, et en s’y éternisant, les nouveaux venus apprenaient, à leurs dépens, de tels conventions interactives et cosmiques.

 

La pratique de rêver a toujours été parasitée par l’investissement des êtres inorganiques à la recherche d’énergie. Les sorciers rêveurs qui croyaient au « leurre des êtres inorganiques » finissaient par ne plus ressortir de cet univers pour rejoindre le leur. Les maîtres rêveurs de nos jours, s’était fait un « défi […] de prendre dans ce monde seulement ce dont [ils avaient] besoin ».

Cet univers parallèle, intermédiaire au nôtre (sous la forme d’une fine membrane de protection), était doté de sa propre puissance dynamique énergétique, qui se concevait comme une agression. C’était une strate vibratoire, un plan d’existence, où les facultés des rêveurs étaient soumises à rude épreuve, telle une dramatique perte de cohérence de perception. D’aucuns affirmaient que c’était depuis fort longtemps, une sorte de « filtre naturel » pour purifier tout ce qui reste d’altérations mentales dans l’inconscient et dans le subconscient de l’être organique. « Ce terrain d’expérimentation » faisait œuvre de valeur constante pour l’être organique, le débarrassant au passage d’un reste de pensées vaines. Les êtres inorganiques étaient des créatures à part entière dans cet univers. Ils répondaient à leur nature profonde et interagissaient avec les visiteurs selon la perception qu’ils avaient de leur monde et du bienfait de recevoir une visite. Autant dire qu’une intime prudence dans nos pensées s’avérait de rigueur au contact d’élémentaux prompts à renvoyer notre plus inaccessible identité mentale.

L’éclaireur emmena son client à l’éternité, dans le dédale de galeries jusqu’à un endroit insolite où tout « autour de [Carlos] était obscurité ». C’était pourtant ce moment qu’avait choisi l’être inorganique pour le mettre en rapport direct avec le peuple de l’obscurité. Le royaume des ombres étaient peuplé de silhouettes vivantes. « Je distinguais vaguement des formes sombres et mouvantes », écrivait-il.

 

Les êtres élémentaux sont classifiés de par leur combinaison spatiale. Les uns étaient arrondis « comme des boules », d’autres avaient la forme de « cloche » d’animaux, les derniers ressemblaient à des « flammes de bougie » qui ondulaient doucement. Ces élémentaux avaient une taille approximativement de « soixante à quatre-vingt-dix centimètres de diamètre ». La masse des élémentaux donnait à l’endroit une impression de réservoir où des milliers d’êtres de petites sections et de formes simplistes étaient assemblés. Leur couleur était uniforme, brun pour les uns et gris pour les autres. Le sorcier Carlos les prit pour des bêtes monstrueuses.

L’émissaire lui expliqua ce qu’était cette « vision étrange et sophistiquée ». Les êtres étaient animés d’un mouvement péristaltique. Ces contorsions antipathiques créaient chez le rêveur un sentiment profond de mésaise. Celui-ci se sentait tout de même en sécurité parce qu’il avait la possibilité d’évoluer au-dessus la mêlée que l’émissaire lui présenta comme étant « l’unité mobile de notre monde ». Bien que sous la forme d’énergie, chaque individu d’en bas n’avait pas l’énergie disponible pour attraper ou toucher le visiteur. L’émissaire avait la forme d’une cloche pour animal et les éclaireurs étaient « comme des flammes de bougie ».

Un phénomène surprenant se produisit quand le rêveur se rapprocha d’eux pour les voir mieux. Le peu de consistance, ou le fait d’être des projections de lumière impénétrable, eut pour effet que le rêveur passa littéralement à travers d’eux, sans les toucher matériellement. Les êtres inorganiques étaient aussi aériens que des volutes de fumée ombreuse. Le rêveur ressentit à ce contact inopiné une certaine douceur. « Elles étaient impersonnelles, froides et détachées ». Ce fut presque un plaisir pour le visiteur de voir sa sécurité garantie au travers la nature élémentaire de ces créatures sombres.

 

À l’occasion d’une autre visite, le rêveur Carlos apprendra les véritables motifs dissimulés sous l’attitude ponctuelle de l’éclaireur qui avait pris le relais de l’émissaire. « Voici le monde des ombres », lui dit-on aussitôt son arrivé dans ce monde fantasmagorique. L’éclaireur tenait à lui faire savoir que les « ombres » émettaient tout de même une brillance feutrée, discrète. Cette « unité mobile » proclamée tenait à dire que les ombres étaient la luminosité des tunnels de cette espèce d’éponge gigantesque. L’éclaireur continuait sa visite sur le mode des explications fortuites. « Nous sommes une autre sorte d’êtres inorganiques » vivant ici. Trois genres d’êtres élémentaires coexistaient. Il y avait le « tunnel immobile », ce qui apparait comme une « ombre animée ». L’éclaireur s’était présenté comme une autre.

Puis il se tut. Quand le sorcier rêveur lui demanda quelle était la troisième forme d’être inorganique, réponse lui fut faite, en ces termes : « La troisième sorte n’est révélée à nos visiteurs que lorsqu’ils choisissent de rester en notre compagnie ». On peut discerner dans ces propos toute la réserve du vieil indien à l’égard des créatures de l’ombre. Sa connaissance des déboires des sorciers de l’antiquité avait fait de lui un homme sage.

Maintenant, il fallait se sortir du piège dans lequel le rêveur se trouvait. La trop grande confiance en soi avait rendu possible cette venue en ce monde obscur et peu hospitalier. Ensuite, sur le mode des échanges mondains, un débat eut lieu entre le rêveur et l’éclaireur sur la notion à accorder au mensonge. L’un affirmait que, dans son monde, « seule existe l’intention ; derrière le mensonge il n’y a pas d’intention ». Le rêveur Carlos prétendait à son tour que « derrière un mensonge, il y a une intention ». Ce à quoi l’être inorganique apporta une précision notable : « Derrière le mensonge il y a un but, mais que ce but n’est pas une intention ». Cet échange académique avait tout l’air de permettre de gagner du temps sur l’être inorganique et de trouver un moyen de confondre l’éclaireur caché derrière le mensonge de son assistance.

Tant que le visiteur se tint à l’écart de ce qu’il voyait comme « un troupeau d’animaux étranges et enfantins », il était relativement à l’abri d’une offensive sur son potentiel énergétique. Son égo le perdit à l’invite de prendre part à un exercice facile. Il s’agissait de se mêler au troupeau et d’user de sa force pour les tirer ou les pousser afin de les déplacer un peu. Mais l’astuce consistait à épuiser le visiteur en venant de plus en plus nombreux autour de lui, faire le coup de force. Dès que le rêveur pensa qu’ils étaient venus de toutes parts pour participer et se servir de son énergie, les ombres disparurent d’un coup. L’éclaireur expliqua que sa chaleur était réconfortante et que les ombres qui en avaient besoin venaient « ressentir » son énergie.

La conscience du sorcier rêveur était si largement réceptive qu’il entendait, ressentait et pensait comme en dehors d’un rêve. Ce qui lui fit écrire plus tard : « En prenant pour référence la clarté de ma perception, j’en conclus que j’étais dans un monde réel ». Cet univers membraneux, intercalé entre deux autres univers ne pouvaient être que vraisemblable, si on en jugeait pas la démonstration à partir d’un Cosmos en forme d’oignon. À la différence près que le monde des êtres inorganiques n’avait que très peu de consistance, ou de substance.

Ce monde anormal pouvait apparaître et disparaître d’un instant à l’autre. L’éclaireur fit une remarque très importante pour la compréhension du système énergétique qui faisait loi dans ces strates de lumière consciente. L’éclaireur remarqua que « pour les êtres inorganiques, percevoir [un] monde commençait et s’achevait de la même manière, en un clin d’œil. Mais lorsqu’ils percevaient le leur ce n’était pas le cas, parce qu’il existait un grand nombre d’entre eux le maintenant en place par leur intention ». Don Juan Matus avait fait cette proposition concernant la fixation de l’intention sur un point d’assemblage précis, ce qui rendait l’instant du monde cohérent.

C’était l’acte de conscience énergétique qui organisait les faisceaux de lumière consciente à travers le canal de la petite sphère brillante dans le dos de l’être organique. Le rêveur Carlos se réveilla, disait-il, en ayant l’impression de refaire surface. Il était bien décidé à continuer et à en savoir davantage sur ce royaume des ombres animées.

 

Le monde des élémentaux était forcément surprenant à plus d’un titre. On jurerait une pouponnière de formes d’énergie prêtes à l’emploi. C’était ce que fit entrevoir, à son visiteur, l’éclaireur. « Une relation interactive et coordonnée existait entre les ombres mobiles et les tunnels stationnaires », se voulait-il perspicace, À l’entendre, les êtres inorganiques ne sauraient survivre hors cette combinaison de propagation énergétique. L’éclaireur se montrait fier de ses connaissances et intarissable au sujet de son univers. Il semblait content d’appartenir à ce monde. Il n’hésitait d’ailleurs pas à se servir de l’énergie de son visiteur pour lui faire faire l’expérience d’ « une relation de cette nature », qui se révélait être plus que de l’adhésion empathique, mais rien moins « que d’être dépendant », de l’énergie livrée au compte-goutte.

Les élémentaux ne seraient-ils pas otages de leur forme et de leur faible énergie ?

 

Quoi qu’il en soit, l’éclaireur montrait au rêveur lucide ce petit plus que dépendant. « J’étais, se souvint-il, à l’intérieur de ce que je peux décrire comme le tissu même du tunnel. Je vis alors des protubérances, telles des glandes assemblées grotesquement, qui émettaient une lumière opaque ». Le rêveur sorcier était au cœur du système de procréation d’unités de vie, dans un monde qu’on aurait pu croire de matière densifiée pesante. À deux dimensions, tout au plus. Les protubérances étaient ces caractères braille qu’il décrivit à sa première introduction dans l’« éponge gigantesque ». Ces monceaux d’énergie avaient une dimension étonnante : de un mètre à un mètre vingt de diamètre.

Le rêveur s’interrogeait sur la signification de tout ceci. L’éclaireur s’empressait d’y apporter une précision. « L’énergie de ce monde est une sorte différente d’énergie ; ses caractéristiques ne coïncident pas avec celles de l’énergie de votre monde, mais ce monde est aussi réel que le vôtre ». Le mot “monde” a valeur de monde habité, sans aucun doute. Il arrive souvent d’hésiter à traduire par univers tridimensionnel.

Don Juan avait déjà prévenu son élève que notre monde d’univers était relié à quelques autres et qu’il était possible de les visiter, de les parcourir, d’y apprendre, en utilisant de l’espace de temps qu’on appelle : Rêver. De fait, l’éclaireur le disait pareillement : « Rêver est le véhicule qui mène les rêveurs dans ce monde », à propos du sien. D’autant que les sorciers détenaient ce savoir des êtres inorganiques qui le leur avait suggéré par convoitise de leur haute énergie et à la découverte de leur grande crédulité.  

L’éclaireur expliqua au rêveur Carlos que les proéminences sur les murs des galeries étaient des êtres inorganiques. Il les appelait à l’occasion « des êtres d’ombre ». Il en était un, lui aussi. Ces élémentaux sombres se déplaçaient dans ces tunnels, en adhérant à la paroi, pour vivre plaqué à l’énergie diffuse sur les surfaces.

C’était une sorte de relation pré-organique qui donnait la forme élémentaire et la force première énergétique à des objets substantiels, peu chargés en puissance dynamique. Ces éléments vivaient en relation étroite tout à fait indispensable à leur survie, avec le corps corpusculaire de l’unité immobile, c’est-à-dire de l’éponge gigantesque qui les générait.

 

Plus le rêveur passait de temps de rêve en ces lieux fantasmagoriques, plus sa « vision du monde des ombres devint […] plus vraie que la vie ». Pour lui, le monde de tous les jours, faisait naître pareillement des « pensées ordonnées », des « impulsions sensorielles auditives et visuelles ordonnées », de « réponses ordonnées » que cette expérience impensable, pour aussi longtemps qu’elle perdura, à l’invite de l’éclaireur du monde des êtres inorganiques.

Son mentor, qui recevait ses visites aussi, s’inquiétait pour lui. Celui-ci lui conseillait de s’extraire de la tutelle possessive de l’être inorganique. « Je te recommande de ne fixer ton regard sur rien », dans le but explicite d’échapper au sort des sorciers d’antan. Ce sont eux qui regardaient fixement selon la méthode qu’ils entendaient utiliser. Les sorciers d’aujourd’hui avaient réformé ces techniques de l’acte de rêver. Ils n’y trouvaient aucun intérêt, sinon la perte de leur liberté. Cette technique se résumait à regarder fixement les objets et les détails pour y trouver l’énergie des mondes réelles. Mais les sorciers pensaient qu’elle « m’amène rien qui puisse accroître [leur] sobriété et [leur] aptitude à rechercher la liberté », avant toute chose précieuse. Le rêveur Carlos sentait bien que son benefactor voyait juste.

L’éclaireur le traquait partout où il se trouvait, lui parlant même à voix basse dans l’oreille de temps en temps. Il lui proposait un univers où il n’y avait même pas besoin de respirer. « Avec voir et entendre, vous pouvez faire l’expérience de toutes choses », convia-t-il.

 

Dans l’acte de rêver, il demeurait pourtant une connexion énergétique entre le moi rêvant et le corps physique, endormi quelque part dans notre monde terrestre organisé. Cette liaison était vitale car elle servait de pont énergétique d’un côté comme de l’autre. Imaginez un pont établi entre l’hémisphère droit et l’hémisphère gauche, afin de donner libre cours au mental dans d’autres aires de récréations physiologiques et neurologiques. Un voyage intérieur dans les méninges, le cortex cérébral et les canons ioniques.

Cette discrète association est le réceptacle de bien des perceptions sensorielles du moi rêvant. Car celui-là canalise aussi les perceptions sensorielles du corps physique. Lors de son endormissement, le corps est soumis à des contraintes physiologiques internes et externes, par exemple, l’attraction terrestre, la température ambiante, l’humidité de l’air, le rythme cardiaque, l’amplitude respiratoire, le poids des vêtements, le passage de l’air, les bruits, les sons, et d’autres choses encore.

Voilà de quoi inspirer un événement onirique à l’insu du moi rêvant, en générant une source de réelles perceptions, situées en amont du peuple des ombres animées.

 

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