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24 juin 2014 2 24 /06 /juin /2014 07:24

Cosmos

Composition d'une vision d'un lieu sans objet

 

  vide

Initialement, le vide n'est pas occupé par des objets tangibles 

 

  immensité

Le vide est immense 

 

illimité

Cet endroit est sans limites apparentes

 

intégralité

Ce lieu est intégralement complet 

 

intégrité

 Le vide est intact, n'ayant subi aucune altération, aucune atteinte intérieure ultérieure 

 

tension

Le lieu est en tension permanente

 

tenségrité

Le vide est une structure stabilisée par des forces de tension et de compression qui s'y répartissent et l'équilibrent

 

mouvement

Le vide est un système mécanique dans un état d'équilibre stable comportant un ensemble de composants comprimés au sein d'un continuum de composants tendus

 

vibration

La tenségrité est marquée par une vibration, mouvement d'oscillation entre la tension et la compression

 

strate

Le mouvement d'oscillation est répartie sur plusieurs niveaux de fréquences ondulatoires de radioéléments fluides 

 

flux

Le mouvement des oscillations est fluide, il oscille entre un mouvement fort et un mouvement faible créant un treillis de tracés tenus ; les mouvements se croisent comme un grillage aux lignes imaginaires. Les lignes imaginaires impactent sur leurs voisines directes et indirectes

 

nodosité

Le flux des ondulations radiodiffusions est corruptible 

 

oedème

Un noeud peut se former à tout instant, à n'importe quel endroit du vide : de sorte qu'un flux de « fils » tenus fait « maille » 

 

calorification

Le noeud provoque une excroissance exponentielle qui emmagasine l'énergie du flux migratoire oscillant

 

distorsion

Lorsque la maille fait masse, l'oscillation radio émettrice fait corps et les ondes se collent les unes aux autres

 

rupture

Jusqu'à un certain point de résistance due à la place entre les ondes radio émettrices, les ondes finissent par s'amalgamer et l'énergie atteint son point de rupture  

 

expulsion

La masse énergétique est expulsée de son centre originel, vers les extérieurs de ce centre d'origine

 

dispersion

Le vide permet la dispersion des éléments contraints qui se sont relâchés d'un coup brusque

 

épanchement

Les flux énergétiques relâchés s'échappent de leur contexte initial vers des zones qui leur sont étrangères

 

accroissement

Du centre originel vers les zones lointaines, la masse énergétique gonfle et s'accroît

 

concentration

La masse énergétique s'accumule dans les zones extérieures du centre d'origine de la rupture créant une concentration de masses énergétiques par la résistance concentratoire des flux oscillatoires radio émettrices

 

corpuscule

La tension et la compression de la tenségrité marque le début d'une ère nouvelle dans les mouvements d'énergies, leur écrasement qui débouche sur une concentration en corpuscule

 

circonvolution

Les échanges énergétiques entre zones éloignées et zones de proximité du centre originel de la rupture contraint à une limitation des mouvements en boucle

 

agglomération

Les mouvements en boucle des masses énergétiques s'agglutinent en une quantité de petits paquets : le quanta énergétique 

 

convulsion

Les zones deviennent mobiles et l'extension les contraint à un schéma d'évolution perpétuel, en boucle et en enchainé comme des violentes contractions conduites par un espace restraint minimum : le quanta d'énergie dans un espace et un schème temporel

 

liquéfaction

La congruité physiologique des mouvements de lignes imaginaires des flux se modifie au profil d'une fluidité facilité par le mouvement en extension vers des zones périphériques au centre d'origine de la rupture énergétique. La perte d'énergie commence par l'opposition entre immobilité extérieure et mobilité des objets quantiques

  

gazéification

La distance entre le centre originel est les efforts produits par la dispersion des masse d'énergie est telle que le temps de trajectoire apparait comme un facteur de longueur. La masse des énergies en perte de chaleur accuse un retrait de son gradient thermique. La fluidité devient naturellement une structure plus volatile : le gaz

  

refroidissement

Un long temps après, le lieu immense et sans limites apparentes absorbe l'énergie dispersée qui finit par ralentir à cause de la trop grande étendue du lieu

 

dégradation

Les masses énergétiques agglutinées en conglomérats de particules serrées les unes aux autres se distancent et se désagrègent lentement, mais de façon irréversibles

 

dégraduation

Les masses éparsent d'énergie changent de strates vibratoires par leurs lenteurs et leurs chaleurs qui décroissent

 

réintégration

L'énergie fondamentale réintègre son niveau d'évolution oscillatoire, c'est-à-dire le niveau le plus bas d'émissions radio émettrices

 

résonance

L'onde non particulaire revient à une résonance initiale

 

vide

Le vide n'est plus occupé par des objets tangibles énergétiques. L'énergie est de nouveau parcourue de frissonnements faits de tension et de compression qui s'y équilibrent

 

Était-ce ce vide que les grecs de l'antiquité nommaient la Grande Architecture : OPIPHEX

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Published by Francis Corsa - dans Vide Stellaire
19 septembre 2012 3 19 /09 /septembre /2012 07:16

L'Arte di SognareRiassunto

 

Nota dell'autore
1°. Gli stregoni dell'antichità: introduzione

2°. La prima porta di sognare
3°. La seconda porta di sognare
4°. Fissa il punto di collegamento

5°. Il mondo degli esseri inorganici
. L'ombra del mondo
7°. L'Esploratore Azzurro
. La terza porta di sognare
9°. La nuova area di esplorazione
10°. Tracciare gli inseguitori
11°. L'inquilino
12°. La donna nella Chiesa
13°. Volare sulle ali di intenti

 

 

 

12 : La femme dans l’église

 

À force de tenter pénétrer le mystère des rêves, le groupe de sorciers de don Juan avait fini par acquérir suffisamment d’expériences pour « quitter ce monde et accéder à d’inconcevables dimensions ». Le Cosmos était un vaste assemblage d’une multitude d’univers, couches épaisses et larges, vibrant chacune à une octave différente des autres. Ce multi-univers éprouvait toutes les situations possibles et inimaginables autour de la diversité des règnes. Il avait tout le temps pour cela ; tant d’espaces disponibles. Un Univers dont les variétés reposaient sur les règnes des élémentaux, minéraux, végétaux, animaux et cellules de vies. Le Cosmos s’étendait bien par-delà la vision de l’horizon des hommes et des femmes.

À l’instar de ses maîtres dans l’art de porter la perception à travers l’action de rêver, ces sorciers rêveurs et sorciers traqueurs s’étaient préparés à entrer de façon énergétique et consciente dans d’autres plans d’existences. Pour ces gens, arrivés au bout de leur étude pratique de l’art de rêver. « Rêver était la voie de la lumière et de l’obscurité de l’univers ». Cette passerelle oubliée vers les mondes derrière les lois mathématiques et les glossaires savants était demeurée accessible à ceux et à celles qui, dans une rigoureuse sobriété de vie, percevait intuitivement d’abord, puis sensiblement ensuite, les passages immatérielles de la nature cachée du vaste espace sidéral. Tous ces rêveurs conscients avaient économisé leur capital énergétique pour sonder l’espace, en manipulant leur point d’assemblage. La compréhension des mondes organisés et des mondes habités dépendait de la cohérence apportait par les brins de lumières cosmiques. Tout était énergie, à quelque échelle de dimension que ce fût.

 

Le défieur de la mort vivait depuis longtemps, parce ce qu’il épargnait son énergie et qui ne se gênait pas pour se saisir de celle d’autrui. Mais c’était aussi un protagoniste fécond. Tout partait du contrôle exercé sur la seconde attention,  à partir de la première attention (la vigilance), confirmait le locataire et défieur de la mort. D’autant, précisait-il que « la position initiale dans laquelle le rêveur place son corps est primordiale ». C’était le nagual du moyen-âge qui allait transmettre plusieurs informations à travailler en fonction de sa logique de raisonnement. Le rêveur Carlos était prévenu. Lorsque “nagual ancien” faisait un don, celui-ci était référencé par l’expression « les positions jumelles ». La position du corps physique transmettait systématiquement une forme et une orientation au corps énergétique du rêveur. C’était de cette position anatomique que le rêveur allait mémoriser son point d’assemblage, le déplacer dans le mouvement voulu et le stabiliser sur l’instant de “rêver” qui lui était nécessaire. Dans le corps endormi, la première attention devait suivre le mouvement afin de passer au champ intérieur de perception consciente, où la deuxième attention devenait familière. La position de l’anatomie et la position de la masse énergétique formait une unité duelle. La seconde gardait l’empreinte de la première. Chaque position parfaite du pôle de connexion énergétique libérait le corps énergétique, qui conservait la mémoire séquentielle et perceptuelle du corps physique au repos. « La position dans laquelle l’on place son corps est de la plus grande importance ». L’énergie avait réputation de “mémoire”, elle enregistrait dans ces agencements subatomiques les influences thermodynamiques et cinétiques de l’ensemble des faisceaux de lumières vives.

 

Au 5e siècle avant notre ère, l’indien Siddhârta Gautama avait prescrit les mêmes positionnements du corps pour dormir et voyager dans l’astral. Ses disciples fondèrent le bouddhisme. Pour donner l’exemple, le Bouddha s’allongeait pour s’endormir sur le côté droit, les jambes légèrement repliées, le bras droit relevant la tête, et le bras gauche posé le long de son corps. L’amérindien yaqui prescrivait aussi « la règle [qui] consiste à maintenir cette position jusqu’à s’endormir ». Différemment, il affirmait qu’en rêvant, l’exercice supposait la pratique de “rêver” comme si l’on maintenait la même position que celle du corps allongé. « Le point d’assemblage reste fixe […] quelle que soit la position où il se trouve à l’instant de ce second retour au sommeil ». Ce faisant, le locataire et défieur de la mort assurait d’« une perception globale » des corps anatomique et énergétique, à la fois.

Pourtant, cet idéal énoncé n’était pas un modèle sans appel. La position du corps malade ou dans le handicap nécessitait le respect de l’habitude. Avant tout, il s’agissait d’un moyen mnémotechnique simple à retenir, pour devancer l’éveil dans le sommeil. Les habitudes de dormir étaient de même portées et avaient même valeurs, pour peu que l’on y prête grande attention. Il fallait juste au rêveur conscient laisser le sommeil venir avec la sensation physiologique de son corps physique.

Dans l’approfondissement de la quatrième porte de rêver, la leçon théorique invitait le sorcier rêveur à rêver le “rêve” d’un autre sorcier ou d’une autre personne. D’ordinaire, rêver renvoyait à un passif corporel et à un actif cérébral. L’art de rêver prévoyait pourtant de s’immiscer dans les projections des intentions maîtrisées d’un sorcier nagual. Un rêve ordinaire était une projection active d’une intention passive dans un corps physique. L’énergie et la conscience qui en découlait avait horreur du vide et de l’inertie.

 

Dans la force de l’âge, le défieur de la mort avait réussi à domestiquer l’art de projeter son intention dans une partie de l’espace de l’univers. « Les sorciers de sa lignée, pratiquaient l’art de projeter leurs pensées dans rêver de façon à obtenir la fidèle reproduction de n’importe quel objet, ou bâtiment, ou caractéristique naturelle du paysage, ou paysage entier de son choix ». Sans doute, plus on s’élevait dans les plans vibratoires d’existence, plus les capacités et les responsabilités s’accroissaient de la même manière. Peut-être s’approchait-on d’autant du mystère de la création, de la source génératrice de tous ces faisceaux d’une extrême brillance ?

L’élève sorcier était aux prises avec le locataire, défieur de la mort. Sous les traits singuliers d’une personne de sexe féminin, “nagual ancien” et rêveur traqueur débutant s’étaient rencontrés dans une église. Le locataire commentait ce qu’était « la première étape de la perception globale ». Les sorciers de sa lignée pratiquaient un acte de rêver, doté d’un objet de forme élémentaire (un vase, un livre, une chaise), mémorisé et importé dans l’acte de rêver, à travers les portes de rêver. L’objectif était de créer une réplique de l’objet simple dans le “rêver”, afin de déployer l’énergie du corps énergétique, de le fractionner et de lui donner une existence propre, indépendante d’un quelconque mode de penser. La forme pensée devait être le premier élément in extenso d’un monde à part, ébauché, de l’Art de Rêver. L’objet séjournerait aussi longtemps que son énergie le lui permettrait. Les sorciers de l’antiquité passèrent ensuite à des objets de formes plus élaborées, qui servirent de modèles et dont les imitations conformes furent entreposées dans le monde particulier du rêveur. Les uns après les autres, ces éléments d’un “rêver” privé étaient une « matérialisation globale » de son essence première extrait du monde tridimensionnel d’où venait le sorcier traqueur. D’un objet à un ensemble d’objets, les mondes de rêver se composèrent successivement d’éléments de plus en plus complexes et volumineux : bâtiments, parties de paysage, végétaux, architecture entière, etc. « Quand chacun […] fut capable de faire ça […], ils purent finalement tirer n’importe qui dans leur intention, dans leur rêve ».

 

C’était comme le monde des êtres inorganiques, où la lecture de ce volume : The Art of Dreaming, nous conviait à remarquer que les sorciers de l’antiquité étaient retenus prisonniers du monde des “élémentaux”, parce que les sorciers avaient choisi de s’y cacher plutôt que de courir le risque d’être agressés par des éclaireurs plus forts qu’eux et qu’ils avaient succombé au fantasme d’éternité proposé par les êtres inorganiques. Apparemment, pas tous. Quoi qu’il en soit, à les en croire, les sorciers de la lignée du locataire, défieur de la mort, étaient devenus fous et dangereux.

C’était néanmoins l’affreuse découverte de la quatrième porte de rêver, dans les rêves d’un sorcier. L’élève de don Juan Matus sondait l’« un des mystères d’avoir l’intention dans la seconde attention ».

Le sorcier Carlos se souvenait que le contrôle des rêves dépendait de l’impeccabilité et de la maîtrise de l’acte de rêver ; attention première, attention seconde importée dans le songe, passage des sas de rêver jusqu’à la liberté de visiter des mondes habités, autres que le sien. Mais le locataire se félicitait « d’avoir un contrôle absolu des rêves [par] l’utilisation de la technique des positions jumelles ». C’était plus qu’il n’en avait paru de prime abord. Car cette fois-ci, c’était nouveau et aberrant pour la rationalité de l’homme ordinaire. L’explication du défieur de la mort s’articulait sur deux points essentiels du pouvoir de rêver. Il prit un exemple pour se faire comprendre. Dans le monde de tous les jours, le sorcier rêveur pouvait rêver de son lieu de résidence avec une perception globale et parfaitement concrète. Si, il s’était endormi dans sa position préférée, et si, dans ce début de rêve, il rêvait s’endormir à nouveau dans la même position que dans celle de son monde, ces deux positions : terre et rêve, étant jumelles, la perception sensible la plus complète et la plus réaliste qui soit l’attendait. Il rêverait être dans sa ville comme si… il y était vraiment.

 

Dans le doute, l’élève sorcier rêveur usait de la technique de voir l’énergie pour localiser le générateur, ou la génératrice énergétique dans les éléments du rêve. « Je veux voir l’énergie » était le maître mot des apprentis sorciers de la lignée de don Juan. Dans les faits, le verbe libérait de l’énergie qui s’étendait jusqu’à rencontrer un obstacle dont l’écho résonnerait en retour jusqu’à sa source. Le locataire, el desafiante de la muerte, lui signifiait que dans les rêves des sorciers expérimentés, « tout ce que nous devons faire est de pointer de notre petit doigt l’élément que nous désirons voir ». Le terme « petit doigt » fait figure de malice. N’importe quel doigt ferait l’affaire en l’occurrence, si un des doigts convenait. Nonobstant, le générateur principal d’énergie étant l’émetteur de l’acte de rêver, la modification de l’énergie se faisait dès qu’un contact énergétique était établi entre la source émettrice et l’amplificateur. De sorte que le canal était ouvert. Ainsi s’exécutait l’invité du locataire. Il put vérifier que rien ne retransmettait de son énergie dégagée quand il tendait l’un de ses doigts. Par contre, « à l’instant où je pointai mon petit doigt vers [la femme de l’église], elle fut un amas d’énergie ». Néanmoins, le rêve du défieur de la mort n’était qu’une nature morte en trois dimensions. Le locataire lui indiquait que le défieur de la mort était la seule génératrice d’énergie pour cet acte de rêve-ci.

Ce qu’avait prévu le vieil indien yaqui s’avérait exact : « elle ressemblait à un énorme coquillage, courbé vers l’intérieur le long d’un clivage qui la traversait tout entier ». Le locataire était scindé en deux dans l’axe du tronc, autour duquel un colimaçon partait du haut vers le bas, en descendant de la droite vers la gauche, comme une plante lévogyre inversée. C’était pour ainsi dire un générateur d’énergie cosmique en forme de galaxie en spirale. Ce monde clos de rêver ressemblait à un dépôt des matières rudimentaires comme un spectre de l’énergie du vivant. Une apparence dont plus rien ne sortirait mais dont la configuration spatiale dénoncerait une cohérence résiduelle. De quelle dimension s’agissait-il ?

 

« Il n’existe pas une seule façon de dire comment ça arrive, mais ça arrive », s’interrogeait encore el inquilino. Ceci était resté une énigme pour les anciens sorciers. Ce qui était certain cependant, c’était que ce mystère irrésolu appartenait au domaine d’« avoir l’intention dans la seconde attention ». L’énergie radiante des univers y participait probablement, d’une façon ou d’une autre, puisqu’au travers de la quatrième porte de rêver, l’énergie des éléments n’interagissait que peu ou pas du tout avec le visiteur. Au moins, ce que l’on sait, c’était qu’elle demeurait coûteuse en énergie. « Dans l’univers, seule l’énergie existe », savait le rêveur Carlos. Mais son benefactor avait ajouté que le grand Univers était fait, à la fois, de lumière et d’obscurité. Nous vivions dans un espace-temps de dualité.

 

13 : S’envoler sur les ailes de l’intention

 

Bien que le rêveur, dans son apprentissage, puisse déplorer de manquer « de fluidité pour fixer instantanément [son]point d’assemblage sur n’importe laquelle des positions où il avait été déplacé », tout projet de rêver avec suffisamment d’énergie, d’acuité et de résistance était nécessairement un travail de longue haleine. L’apprenti rêveur n’avait que ce choix de se faire le maître de son existence terrestre dans le but d’atteindre la partie cachée de son humanité, dissimulée derrière l’ambiance turbulente de ses songes endormis.

Comme dans la geste de Castañeda, chacun des sorciers rêveurs et sorciers traqueurs devait se servir de ses techniques de « rêver » divulguées tout au long de son initiation. Pour le lambda, adhérer à ce genre de culture du passé, ésotérique ou métaphysique, était une toute autre affaire.

 

Pour l’instant, le rêveur Carlos était en difficulté avec la femme de l’église. Il cherchait à rassembler le maximum d’énergie pour changer de niveau de conscience. Mais le rêveur avait un doute. La vigilance du rêveur ne suffisait pas, il fallait encore du temps pour que l’énergie retrouvât sa cohérence. L’énergie était à même de détectait la moindre altération du monde environnant, dans ses fluctuations, ses éclats, ses rythmes.

De tous les chapitres de la biographie de l’auteur de « L’Art de Rêver », le dernier fait la démonstration du danger qu’il y avait à se perdre dans des rêveries sans fin, au risque qu’encourt tout rêveur à s’envoler sur les ailes de l’intention. De tous ses efforts pour garder le contact avec une véracité tangible, le sorcier nagual se devait de ne pas se laisser envahir par un songe éveillé. Ainsi, dirait-il, « si je devais me servir de mes techniques de rêver, il me fallait trouver un point de départ pour me recharger énergétiquement ». L’énergie était la base de toutes les propriétés interactives et intrinsèques de survie. N’importe quel élément à sa portée était une planche de salut qui sauvait du naufrage mental. Après sa chute dans le rêve éveillé du locataire, le défieur de la mort, tournoyant dans une obscurité prédatrice, le sorcier nagual dut utiliser la physionomie de la personne qui s’occupait de lui. De telle sorte que ses facultés naturelles à percevoir son monde lui revenaient lentement, l’imprégnant à nouveau de la réalité quotidienne qui était la sienne. Sa vision et son audition étaient des fonctions très simples ; elles étaient journellement connectées aux flux de données de la vie. Même si le cerveau avait plus de mal à se réaccoutumer, le corps physique servait de limites entre le réel de l’existence et l’irréalité de la pensée vagabonde. Les membres dépendaient eux-mêmes des aires cérébrales de la locomotion et de la préhension, toujours plus longues à revenir.

 

Le sorcier nagual reconnaissait la nagual Carol Tiggs. Le facteur humain s’en trouvait réconforté. Elle aussi avait rencontré la femme de l’église, el inquilino, qui lui avait raconté son histoire. Le sorcier nagual de l’origine fut ravi par les êtres inorganiques. Il devint plusieurs milliers de nos années l’hôte involontaire du royaume des ombres, dans le monde d’en bas. D’après le sorcier nagual d’antan, les inorganiques considéraient le genre féminin comme impérissable, d’où l’idée qu’eut le vieux prisonnier de changer le point d’assemblage de son pôle de connexion à l’Univers. En changeant son point d’assemblage il changea de forme physique, sinon physiologique. Les êtres élémentaires considéraient le genre féminin comme inflexible, insensible et irréductible. Le nagual d’antan prit finalement l’apparence d’une nagual. De telle sorte, que le monde des élémentaux le rejeta hors ses frontières.

La nagual Carol apprit à son coreligionnaire Carlos que « la » locataire restait quand même la cible de ses poursuivants, ceux-ci la harcelaient. Ainsi donc, le nagual Carlos avait franchi la quatrième porte de rêver (porte de communication entre son monde à lui, et son monde à elle). En effet, Carol expliqua à Carlos, que désormais les sorciers rêveurs étaient en permanence capables d’avoir l’intention dans la seconde attention. Le défieur de la mort, maintenant la femme dans l’église, avait endormi la vigilance de l’apprenti sorcier du vieux yaqui, pour lui faire partager son action de rêver permanente. Le « second rêve est d’avoir l’intention dans la seconde attention ». Ce qui s’avèrerait n’être qu’un moyen pratique pour rêver davantage, ou autrement, en dépassant le mécanisme du schéma de la troisième porte de rêver vers une énième porte de rêver. La locataire semblait avoir usé d’un stratagème pour user d’une énergie supplémentaire « de façon à aller en arrière et en avant, dans l’énergie ici-et-maintenant de l’univers ».

Au début de ses rencontres avec don Juan Matus, Carlos Castañeda avait eu du mal à saisir pleinement l’attitude défensive de son vieux professeur mexicain. Celui-ci lui avouait avoir peur de perdre la notion de l’abstrait, le contact de l’esprit. Pas le Manitou des Amérindiens, mais l’esprit de la cohérence du monde et de ses incidences apparentées. C’est cela qu’il dénommait depuis toujours : le nagual. Don Juan cherchait à rester sur une ligne médiane de conduite personnelle qui l’empêcherait de basculer, tôt ou tard, d’un côté ou de l’autre. Il ne parlait pas uniquement du bien ou du mal fait aux gens, il évoquait autre chose de plus précis. Peut-être était-ce la notion de soi, partagé entre l’idée du malfaiteur ou du bienfaiteur.

À la suite de sa rencontre avec « la » nagual, le défieur de la mort, Carlos reconnaissait « que ce qui [le]force à poursuivre est [sa]peur de perdre le nagual », comme son vieux maître de rêver le lui avait soufflé. Carol lui parlait autrement d’affection, de l’intelligence de l’amour ; ce qui le désorienta quelque peu. Le vieux yaqui disait sur le sujet qu’un projet de la sorte était inaccoutumé et déplacé pour les entreprises chamaniques. Les nagual ne s’appariaient pas pour procréer. Leur code génétique n’était pas complet, il était en cours de réfection. « Don Juan nous apprit qu’entre sorciers il n’y avait ni temps ni besoin de tels sentiments ». D’abord parce que le sentiment d’amour naissait d’un modèle canalisé, mobilisant de l’énergie vers une seule cellule de vie. Le contrat de l’école réformé des sorciers rêveurs entrevoyait, depuis assez longtemps, le partage des connaissances vers les cellules alentour, isolées, inexpertes, infécondes. De deux façons différentes Carlos et Carol saisissaient le don du défieur de la mort : les ailes de l’intention. Il s’était agi d’une liberté absolue pour s’évader, selon les uns, pour s’échapper, selon les autres.

Pourtant, l’insistance de sa consœur gêna le rêveur Carlos. Il y avait contradiction avec l’éducation reçue du sorcier yaqui. Après maintes tentatives de conciliation et de raisonnements, l’homme se réveilla d’un mauvais rêve.

 

À son réveil définitif et à son retour près de son vieux maître de Rêver, don Juan accueillit son élève avec étonnement. « Carol n’a jamais été avec nous », lui apprit-on. « Et il y a neuf jours que tu as disparu ». La réalité était amère. La locataire avait retenu le rêveur Carlos par son énergie de rêver, lui communiquant son propre rêve intime. Le défieur de la mort n’avait rien à donner, sinon à prendre sans commune mesure, une énergie disponible sans grande difficulté. Enclaver un sorcier rêveur était une pratique vieille comme le monde des sorciers, plus prédateurs que prodigues. Eux aussi avaient développé l’aptitude de captiver dans la seconde attention un novice pendant plusieurs jours, afin de capter son énergie vitale. Alors que don Juan n’avait fait que l’aider à « changer de niveau de conscience », le locataire l’avait forcé à « changer d’univers », dans la perception d’un microcosme intimiste, presque reclus.

Hors toute imagination, le rêveur Carlos contait ses mésaventures avec un sorcier chevronné susceptible de créer un village, ses gens, son hôtel, ses rues, sa pleine Lune, une Carol Tiggs, avec pour tout support le mental de son hôte rencontré à l’église. Le don du défieur de la mort résidait en une infinie de positions de rêver, même à partir des pensées d’un tiers. Le destin de l’auteur était présenté aux lecteurs comme le destin du locataire, el desafiante de la muerte.

L’hagiographie était complète. Le vieux sorcier yaqui lui apprit peut-être les rudiments de l’animisme chamaniste, mais la culture du jeune étudiant américain en anthropologie était loin de soupçonner et de comprendre les angles de la pensée d’une civilisation disparue. La seule culture hispanisante de l’un et de l’autre avait sans aucun doute permis leur rapprochement.

 

« Qui fait son métier de la lumière aurait pu devenir magicien, alchimiste, enchanteur ou sorcier. Il s’agit au fond de chercher la vérité derrière la vérité, en franchissant des portes, en tutoyant les dieux pour savoir ce qu’ils nous réservent. »

Yann de l’Ecotais 

 

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12 septembre 2012 3 12 /09 /septembre /2012 07:11

A arte de sonharSumário

 

Nota do Autor

1. Feiticeiros da Antigüidade: Una Introdução

2. O Primeiro Portão do Sonhar

3. O Segundo Portão do Sonhar

4. Fixando o Ponto de Aglutinação

5. O Mundo dos Seres Inorgânicos

6. O Mundo das Sombras

7. O Batedor Azul

8. O Terceiro Portão do Sonhar

9. A Nova Área de Exploração

10. Espreitando os Espreitadores

11. O Inquilino

12. A Mulher na Igreja

13. Voando nas Asas do Intento

  

« Romance avec la connaissance »

 

9 : La nouvelle zone d’exploration

 

Dans l’art de rêver, qui diffère de faire un rêve ou d’avoir un rêve, par la présence de la conscience participative, « voir » se signalait par l’intention. Le rêveur, dans son acte de rêver, devait exprimer sa volonté par une phrase prononcée à haute voix. « La façon la plus simple et la plus directe était de formuler son intention de vive voix », ce qui avait un rendement sur le corps d’énergie, augmentait sa capacité. Cela le renforçait et participait à éveiller sa concentration lorsque le rêveur s’entendait s’exprimer ainsi par le verbal. Cette phase précédait celle de vouloir énergétiquement « voir » dans le rêve conscient. Du moment que le rêveur n’observait que des changements de faibles importances dans la composition du songe, il pouvait penser avoir à faire à des images fantomatiques qui n’existaient réellement que dans son attention de rêver. Il fallait, dans le cercle des pouvoirs du corps d’énergie, surpasser ces processus récurrents de montages vidéographiques et acoustiques diffusés strictement personnels, analogiques ou numériques compressés.

 

L’apprentissage de la troisième porte se tournait vers la maîtrise de la mobilité du corps d’énergie par lui-même. L’intention de voir était une manière de déceler l’énergie dans les situations « semblables aux rêves », dans le but de distinguer un monde énergétique, étranger au monde des humains, d’un monde de rêves ordinaires où les images étaient de simples projections de l’empreinte du corps physique dans l’espace du rêve (d’un corps physique ou d’un espace temporel). L’indication à suivre repérait les générateurs d’énergie avec lesquels il était tout de même prudent de se tenir à distance. Dans un univers de générateurs d’énergie, le sorcier rêveur et le sorcier traqueur, devaient se souvenir que l’Univers était prédateur, dans le sens de nuisible. Sa fonction première était l’expansion. Ce qui annonçait que les éléments intérieurs, comme des amoncellements d’énergie, étaient en lutte constante dans la course effrénée aux changements énergétiques.

Le vieil indien yaqui l’interprétait lui-même de la sorte : « Ton corps d’énergie s’est déplacé. Il s’en alla de lui-même […] quelque chose l’attaqua ». Le rêveur Carlos lui avait fait part de ses craintes au sujet d’une agression qu’il avait subie lors de son dernier acte de rêver consciemment. En remémorant quelques bases élémentaires, don Juan s’expliquait. Dans les rêves ordinaires, notre conscience était accaparée par notre quotidien. Les dormeurs qui faisaient des rêves ne pouvaient pas prêter attention à un phénomène autre que commun. Mais derrière le voile du rêve, il y avait toujours un monde réel. Dans les rêves de nos contemporains, c’était leur monde de tous les jours, avec les envies, les soucis, les ressentiments qui ressurgissait en une allégorie recomposée. Dans les rêves particuliers des sorciers, l’attention de rêver a été augmentée pour qu’elle se fixât sur les éléments du monde de tous les jours, c’est-à-dire de notre univers, par-delà le voile du songe allégorique.

Dans les rêves générateurs d’énergie, il n’y avait plus de frontières physiques ou énergétiques. L’intention de « voir » outrepassait les prétextes de l’apparence et s’étendait à d’autres mondes que le monde des êtres organiques. Ce qui rendait possible ces traversées du corps d’énergie était la complétude du corps d’énergie, l’impeccabilité du sorcier rêveur ou traqueur. Le corps d’énergie était un autre agrégat de gerbes énergétiques, infime partie du vaste univers, le Cosmos.

Le point d’assemblage était la position pour pratiquer l’acte de rêver en toute sécurité. « À partir de cette position, le point d’assemblage procure une telle fluidité à l’attention de rêver, qu’en un éclair elle peut se déplacer à des distances incroyables et, ce faisant, elle produit une perception si rapide, si éphémère, qu’un tel état ressemble à un rêve ordinaire ».

 

Un pôle de connexion compacté et équilibré serait le goulet à emprunter pour se déplacer au-delà des limites physiologiques du corps humain. Cependant que ce dernier garantissait la captation des filaments d’énergie qui nous étaient exposés comme la substance consciente (ici personnifiée) de l’Univers des hommes. Entre autre capacité, le pôle de connexion s’appropriait les ressorts d’autres brins énergétiques dont la course et l’algorithme feraient participer le récepteur à des perceptions sensibles autres que celles émanant de son environnement le plus accessible. Le sorcier yaqui soutenait que « voir l’énergie, dans ton rêve implique qu’au travers du voile de rêver, tu perçois un monde réel ». Certainement parce qu’ils s’y trouvaient des choses et des natures génératrices d’énergie. De sa seule présence, lorsque déplacé, le rêveur devenait, lui-même, un objet générateur d’énergie inconnue dans les autres « couches de l’univers oignon ».

Puisque l’univers tridimensionnel avait été présenté tel un bulbe d’oignon alimentaire, celui-là nous avait été décrit ayant plusieurs peaux épaisses séparées par de fines pellicules. Le monde que nous habitons n’était autre que l’une de ces peaux épaisses. Voyager consciemment dans l’acte de rêver amenait à croiser les bords immatérielles, énergétiques, de notre « peau d’univers » pour finalement pénétrer celle qui se trouvait avoisinante. Ces mondes n’étaient pas tous organisés de la même et identique façon, dans leur composition ou leurs propriétés intrinsèques.

C’était en l’un de ces endroits que l’interlocuteur de Castañeda situait les sorciers d’antan et les anciens de sa lignée. Il les voyait dans une autre de ces couches superposées. Leurs connaissances les avaient sans doute rendus capables d’exercer leurs pouvoirs sur le corps d’énergie et de vivre dans une autre formule d’univers. « Le pivot de la sorcellerie est le mystère du point d’assemblage ».

Ne pourrait-on pas dire à l’avenir le pivot de l’acte conscient de rêver était la découverte et la maîtrise du pôle de connexion énergétique ?

 

Mais le mode de penser des communautés de sorciers de l’époque pré-classique ancienne n’avait plus rien de commun avec le mode de penser des sociétés post-industrielles que nous connaissons à ce jour. La conscience et la perception sensible (de tous les sens physiologiques) se révélaient beaucoup plus présentes dans l’esprit des peuples de l’antiquité. Notre homme moderne n’avait qu’une relation partielle, parce qu’embrouillée, avec les récepteurs sensitives et sa notion personnelle de conscience. Les premières sont desservies par un mode langagier changeant, la seconde est enclose dans des examens traditionnels sans intérêt. La conception de l’homme moderne dépendait d’un ordre social préétabli, dans une hiérarchisation des valeurs à la verticale, et des possibles déboires avec cette verticalité. L’horizontalité des consciences d’appartenir à un même moule ne provoquait que très peu de conflits inter-ethniques ou familiaux dans les groupes sociaux de l’antiquité. Seul, notre mode de penser, radical, à générer des guerres interplanétaires depuis Napoléon Bonaparte. Les apprentis rêveurs du monde post-technologique avaient affaire, quant à eux, à un système de spéculation propre à l’antiquité des hommes d’hier. Tous leurs codes sociaux, symboliques et spirituels étaient à redécouvrir, à interpréter et à s’approprier, sans détournement d’un fond de connaissance porteur. Il fallait de la pondération et du sang-froid pour œuvrer dans la pratique de rêver. L’indien yaqui avait du mal à établir le contact entre ces deux civilisations post-mortem. « J’essaie de construire un pont, un pont sur lequel tu puisses t’avancer entre les conceptions des hommes des temps anciens et celles des hommes modernes », avait-il avoué à son apprenti.

 

C’était ainsi que les hommes de l’antiquité devenus sorciers, d’abord par curiosité puis par opportunité, avaient visé l’immortalité dans leurs pratiques quotidiennes secrètes, mystérieuses et délirantes. Longtemps, une différence énorme de compréhension et de disposition, autour du seul phénomène “Rêver”, creusait un écart, sans cesse grandissant, entre la minorité de pratiquants et la majorité de ceux qui étaient maintenus à l’écart de ces expérimentations.

Finalement, le peuple eut de la chance. Il ne fut pas tenter « de vendre son âme au diable », en contrepartie de pouvoir demeurer énergétiquement dans le royaume des êtres inorganiques. Ces peuplades ignoraient tout de la condition génératrice d’énergie, dans l’acte de rêver, voir ou être impeccable. Quand ceux-là s’endormaient, leur rationalité les protégeait en interrompant leur rêve en cas de danger. Leur raisonnement était pragmatique. « Peu importe ce qui se [passait], à un moment donné le rêve s’[évanouissait] et [ils] se [réveillaient] ». Don Juan Matus inculquait cela à son élève Carlos qui commettait parfois des erreurs de jugement sur sa pratique. Le vieux sorcier yaqui lui disait que « pour la première fois, tu peux comprendre que les rêves ordinaires sont des dispositifs d’ajustage utilisés pour entraîner le point d’assemblage à atteindre la position qui crée cette condition génératrice d’énergie que nous nommons [rêver] », et l’élan donné par ce regain d’énergie était utilisable pour tous ceux qui avaient amplifié leur perception visuelle, principalement, et leur acuité de vigilance dans la permanence.

Malgré cela, on sentait chez don Juan Matus de la prudence dans son instruction. Il recommandait sans cesse de « considérer rêver comme quelque chose d’extrêmement dangereux », au point de vue énergétique. C’était une charge de puissance difficile à anticiper et à corriger. De sorte que, pour « voir l’énergie en rêvant », il fallait une longue pratique de tous les jours. Don Juan appelait à « contrôler [son] agilité » pour acquérir de l’aisance dans les déplacements du point d’assemblage. De l’aisance signifiait de la maturité de contrôle et d’utilisation pour rassembler son énergie, sa cohérence et sa conscience d’agir pour le mieux, sans s’exposer inutilement. Voir l’énergie dans l’acte de rêver faisait discerner la brillance et le scintillement de cette énergie lumineuse.

 

Elle tremblotait selon les dires du rêveur Carlos. Ainsi, les objets et les êtres vivants étaient-ils chargés de la même énergie dans notre monde tridimensionnel. Cette force énergétique luisait dans les éléments de notre univers d’une lumière intérieure visible qui émanait de leur composition atomique, de leur organisation moléculaire, de leur course dans l’espace. « L’énergie de notre monde se compose de couches chatoyantes. La couche supérieure est blanchâtre, celle au-dessus, immédiatement adjacente, est chartreuse, et la plus basse, mais plus espacée, est ambre ». Ces teintes majeures étaient le reflet de l’évolution de l’humanité de notre monde. Le chatoiement de la couche « blanchâtre », laiteuse, indiquait la position actuelle du point d’assemblage du commun des mortels. Le chatoiement de la teinte « chartreuse », champagne, évoquait encore la position du pôle de connexion du début du moyen-âge, soit vers l’an 1050 après notre ère. Le chatoiement de la teinte « ambre », jaune doré, correspondait à l’époque de l’antiquité, soit vers 1050 ans avant J.-C. Les sorciers de cette lointaine civilisation avaient une énergie ambrée qui les nimbait entièrement. Ils étaient sur une certaine longueur d’onde, sur une inéluctable voie d’évolution qui parvint, non sans mal, à léguer leurs connaissances à la lignée des sorciers réformateurs d’aujourd’hui. « Le grand œuvre des sorciers [fut] de promouvoir l’idée que, pour évoluer, l’homme doit en premier lieu libérer sa conscience de ses attaches avec l’ordre social », celui de type pyramidal. Un seul meneur au-dessus de la presse, les suiveurs au-dessous avec, entre les deux espaces divisés, quelques fidèles bien établis. Un tel modèle social antédiluvien était dépassé, d’où son aura ambrée.

 

Deux autres repères de couleurs énergétiques se présentaient à la perception des sens intérieurs des sorciers rêveurs. L’énergie la plus connue était celle des êtres inorganiques, de leurs émissaires, et des éclaireurs. Cette énergie étrangère au monde des êtres organiques n’émettait pas de signal sonore particulier. Le frétillement marquait tout de même l’effervescence d’une conscience vive, « comme d’une eau prête à bouillir ». Celle-ci grésillait, comme de petits parasites sur l’écran de télévision, ou dans l’émission de radiodiffusion. Les éclaireurs n’étaient pas tous issus du monde des « élémentaux ». Certains venaient de contrées éloignées. Leur énergie était puissante, considérable, ce que sollicitait ce genre de sortie. Cette énergie s’exprimait par une vibration contenue « comme s’ils étaient remplis de gaz sous pression ». Leur coloration énergétique allait du rose à l’orange vif, en passant par une teinte rougeâtre. Ces trois variétés d’éclaireurs du vaste Cosmos étaient à éviter, selon les dires de l’indien yaqui. Il nécessitait d’être agressif afin d’exceller dans une pérégrination exploratoire avec un corps d’énergie.

 

Ce serait donc par faiblesse, par peur de l’inconnu, que les sorciers d’autrefois s’étaient expatriés dans le monde des êtres inorganiques, pour ne plus avoir à les fuir, et gagner par là-même quelque repos. Pour ces maîtres de « Rêver », c’était, un endroit concevable où se protéger de tous les maraudeurs venus de toutes parts de ces multiples univers qu’était le Cosmos. En définitive, ils échangèrent leur liberté pour des connaissances toutes relatives, en y consignant leur corps énergétique. Ce monde était clos, « personne ne peut entrer ou sortir sans l’approbation des êtres inorganiques ». Même si c’était un espace où la parole était extrêmement porteuse, comme dans tout vase clos, on ne voyait guère l’intérêt d’attendre la « presque » fin d’une éternité. Ce monde insondable se présentait encore aujourd’hui comme le « règne » qui préservait la conscience sur presque tout le temps de la survie énergétique. À ce sujet, le rêveur Carlos apprit de son mentor que le royaume des « élémentaux » fournissait lui-même l’énergie indispensable à déplacer le pôle des connexions des apprentis rêveurs.

Si tel était le cas, la matière première à toute vie symbiotique serait produite dans ces réservoirs énergétiques, un palier en dessous la troisième dimension. L’éternité apparaîtrait d’autant comme un cycle long, mais en boucle, plutôt que comme le début d’un voyage sans finalité. Un tore au lieu d’une sphère aplanie aux pôles par sa force cinétique de rotation. L’héritage des sorciers de l’antiquité était ainsi fait qu’il renfermait une tragédie pour l’humanité. Pour ces gens d’un lointain passé, cela semblerait avoir été la seule perspective viable de ressourcement énergétique, si l’on considérait que ce fut la seule vers laquelle ils se seraient finalement tournés, en quête d’une immortalité, d’un paradis antidépresseur contre les risques d’attaques d’avant-coureurs venus d’ailleurs.

 

De par le monde, les sorciers rêveurs de nos jours avaient fondé d’autres aspirations sur l’énergie vacillante, de teinte blanchâtre, s’éloignant de l’énergie incomplète, grésillante, de coloration ambrée. Même s’il était impossible de les ignorer, les êtres inorganiques n’étaient évidemment pas si évolués que cela. À ce propos, don Juan Matus était confiant dans une nouvelle pratique de rêver : « l’art de traquer ». À partir de ce qu’il dénommait « une poussée d’énergie obscure », les sorciers rêveurs de notre époque, post-hispanique, s’étaient résolument orientés vers « une inflexible intention de liberté ». Sauf qu’elle est encore sujette à caution dans l’utilisation massive de plantes toxiques. Il existe sûrement une autre méthodologie à suivre.

 

Probablement, l’Univers disposait d’autres ressources viables que les sorciers d’antan n’avaient pas entrevues. Un redéploiement d’énergie était indispensable. Notre monde organisé et habité pouvait fournir cette force (alimentation, relaxation, relation non conflictuelle, séjour de dépaysement, apprentissage des arts, et tant d’autres encore). « Afin de commencer à rêver, les sorciers ont besoin de redéfinir leurs prémisses et d’économiser leur énergie ; mais cette redéfinition n’est valable que pour disposer de l’énergie nécessaire pour mettre en œuvre rêver » dans notre univers. L’espace-temps tridimensionnel était forcément chargé d’énergies à découvrir dans leurs interactions avec l’organisme vivant. Le simple acte de vivre dans notre monde, notre système solaire, notre galaxie, suffisait bien à extraire de telles énergies.

« Tous les sorciers de notre lignée doivent le faire », affirmait le vieux yaqui. 

 

 

10 : Traquer les traqueurs

 

Traquer rimait avec fixer. Il s’agissait d’immobiliser son pôle de connexion énergétique sur une position précise afin de laisser la cohérence s’organiser et la compréhension se faire d’elle-même. Dans le vaste univers qui nous occupait, la conscience était l’énergie qui captait, restructurait et conservait en elle-même les informations issues de la perception sensible et des expériences du corps d’énergie, en dedans et en dehors du corps physique. « La conscience est pour les sorciers et pour les hommes en général, une zone infinie d’exploration ». La rêverie éveillée, en période d’activité du cerveau, était élaborée en toute conscience, d’aucuns diraient en toute connaissance de cause. Rêvasser était une expression diurne de l’acte de rêver. Songer était un acte de composition à partir de matériaux énergétiques que la pensée restituait. Mais au contraire des pratiques à risque d’intoxication de l’organisme, l’esprit sain et un corps sain étaient désormais les premières résolutions des sorciers rêveurs et des rêveurs en général. D’autant que les sorciers de l’antiquité, locataire intermittent du monde des êtres inorganiques, avaient adopté des conduites lâches et mortifères.

 

L’un des exercices à maîtriser parfaitement, après le passage de la troisième porte de rêver, consistait en « une manœuvre très mystérieuse ». Dans la pratique de l’art de rêver, le sorcier traqueur devait réussir l’exploit d’« extraire délibérément de l’énergie du royaume des êtres inorganiques », ce qui correspondait chez ces maîtres à rêver à une performance de “sorcellerie”. Les sorciers yaqui expliquaient la raison de cet encouragement dans ces termes. L’eau était une des grandes caractéristiques de notre monde habité. Sans eau, pas de vie. Certains de ce monde en faisaient même usage pour voyager. La conscience était reconnue comme un des éléments fondamentaux de l’Univers par les scientifiques.

Pour autant, certains systèmes d’univers avaient la conscience pour hydrogène. Cette conscience servait à se déplacer dans d’autres mondes organisés. C’était donc cette “conscience”, sensible et diffuse, qui était le milieu ambiant et dont les éclaireurs se servaient pour venir jusqu’à nous. Au contraire d’être une caractéristique élémentaire, comme l’élément hydrogène, la conscience se posait telle une caractéristique énergétique. « Les caractéristiques, autres que la conscience, existent dans notre univers ». C’était cette ressource d’énergie qui fonda la pratique antique de la célèbre sorcellerie. Elle permit cependant la transmission d’un ésotérisme archaïque, au sein de groupes sociaux semi-sédentaires et de culture pastorale. L’acte de rêver s’effectuait chez les sorciers, en trois temps.

 

1° Suivre les consignes des maîtres sorciers, pour canaliser son énergie mentale, lui donner un directive et libérer la volonté des résidus de pensées retardataires.

2° Prendre au bond cette disposition mentale pour emmagasiner de l’énergie, par un travail de relaxation, de concentration et de maîtrise du mode de penser. En faire une discipline de maîtrise de l’acte de rêver, à partir du corps physique.

3° Laisser la conscience physiologique se positionner dans le corps du rêve, c’est-à-dire dans le corps d’énergie et traquer le moindre mouvement de dérive des scènes oniriques jusqu’à composer soi-même la direction et le niveau énergétique de conscience, et l’aider à devancer le voile du rêve ordinaire.

 

Don Juan stipulait qu’« il existe deux genres de voyages énergétiques dans d’autres mondes ». La conscience suscitée et concentrée sur le corps d’énergie conduisait celui-ci, avec toute sa réalité physique acquise du monde, vers d’autres espaces. Ensuite, le rêveur agissait clairement sur l’énergie de l’univers présente partout, à tous les niveaux de perception et de sensibilité. Puisque l’énergie du Cosmos était conscience, elle servait de lien et de support. Les ouvertures successives des trois portes de rêver servaient à capitaliser l’énergie physique pour qu’elle entretienne le corps d’énergie, et que la conscience, dans le corps physique, transite dans le corps d’énergie. Tel apparaît l’égrégore des contes fantastiques. « Pour accomplir le second [genre de voyage], il faut une colossale discipline » personnelle et une partie de son existence ésotérique orientée vers ces efforts de recherche métaphysique.

Dans la vie d’un sorcier, il fallait prévoir prendre des risques. La conscience était un rayonnement énergétique influent qui se manifestait par des ondes, puis une intensité lumineuse et enfin une interactivité constante. La vitesse de croisière dépasserait probablement celle du son et celle de la lumière, puisque il s’agissait de la vitesse d’une pensée… si conscience, il y avait, bien entendu.

Sur ces longueurs d’ondes, le sorcier rêveur et le sorcier traqueur avaient besoin d’être impeccables. L’énergie de la conscience était, certes vitale aux mondes structurés et habités, mais pour le moins fatale pour l’amateur qui manquait encore de pureté énergétique. Autant dire que les rêves, pour l’homme ordinaire, étaient un excellent moyen terme, pour faire ses preuves d’authenticité. Pas d’envies, pas de soucis, pas de dilution par absorption. À ce stade de connaissance et de pratique chez les sorciers yaqui, la décision de porter le corps d’énergie sur la conscience intersidérale, après la troisième porte de rêver, se pratiquait rarement en solo.

Un tel doublonnage des rêveurs traqueurs avait pour rôle d’anticiper et d’annuler l’influence des “élémentaux” sur les sorciers rêveurs inexperts. Un duo de rêveurs nagual convenait mieux pour déborder les limites énergétiques du monde ordinaire, par le jeu combiné de deux corps d’énergie et des deux forces de conscience. « Cette façon de briser et d’entrer revient à traquer les traqueurs », clamait le vieil indien yaqui. Une femme nagual allait travailler avec l’élève rêveur Carlos. Don Juan avait déjà prévenu que les êtres inorganiques étaient de typologie énergétique féminine, tout comme l’univers l’était, pour les anciens sorciers. « Les êtres inorganiques sont femelles et que, dans sa plus grande partie, l’univers entier était femelle », lui aussi.

 

Ici, il faut faire une digression. La traduction de l’anglais au français proposait un substantif mal adapté pour notre langue maternelle. Il eût mieux valu écrire : féminin, plutôt que : femelle. Bref, les femmes étaient montrées, selon la terminologie des sorciers yaqui, comme ayant un penchant naturel pour le monde des êtres inorganiques, dont peut-être la fréquence énergétique leur correspondait.

Les femmes nagual développaient « une énergie somptueuse » et une « conscience plus élevée ». Une énergie admirable et brillante contrastait franchement avec l’énergie des êtres inorganiques, qu’on nous présentait crépitante et obscure. Toutefois, ces propriétés féminines leur ouvraient plus facilement les portes de rêver dans le royaume des “élémentaux”.

Au cours de sa saga, Castañeda devait subir des épreuves dans un monde où l’acte de rêver faisait appel au plus grand nombre possible de connaissances de l’univers des sorciers, à l’énergie, et à toute la vigilance d’un rêveur dans un univers fait d’éclaireurs.

Dans les lignes qui vont suivre, le vieux sorcier yaqui souhaiterait s’assurer de la résistance énergétique de deux de ses pupilles : une femme nagual et son élève Carlos. Don Juan ambitionnait d’aider son élève rêveur à se soustraire à l’emprise que l’énergie du monde des êtres inorganiques avait sur les sorciers rêveurs. « Une fois dans le monde des êtres inorganiques, nous devions manifester de vive voix notre intention de transférer notre conscience ordinaire dans nos corps d’énergie », nous expliquait l’auteur. Le poids de la conscience dans le rêve était un poids symbolique énergétique tel qu’elle s’exprimait dans la volonté, la détermination, l’endurance, l’intuition et l’instinct. Ne disait-on pas à un indécis : « De l’énergie, bon sang ! ». L’objectif premier était de verser le pouvoir énergétique de la conscience de rêver sur le corps d’énergie, pour augmenter sa capacité de déplacement ou de retour vers le corps physique. Pour ce faire, le vieil indien yaqui proposait à ses élèves d’user, dans l’acte de rêver, de leur énergie pour exprimer verbalement la volonté de transférer cette dose d’énergie indispensable à leur départ et à leur sécurité dans le vaste monde de la conscience énergétique.

La conscience énergétique qui était une infime partie de la résolution graphique du vaste Univers, pouvait être s’offrir tels les flots qui menaient vers d’autres mondes d’énergie. Pour faire pencher la balance en sa faveur, le rêveur traqueur devait compter aussi sur l’énergie du corps physique pour obtenir un niveau de dynamisme obligatoire au départ d’une expédition. Deux corps physiques équivalaient deux masses énergétiques pour une seule entité en déplacement. La femme nagual et l’élève traqueur s’exécutèrent, en sachant que leur pôle de connexion serait toujours établi à sa position habituelle dans leur corps physique.

 

Dans notre ordinaire, don Juan n’ignorait pas que la stabilité d’un point d’assemblage soutenait la cohérence et la compréhension du monde où nous vivions au quotidien. La fixité était un élément de garantie pour une participation active. C’était de cette position statique que venaient à notre perception les seules informations lumineuses (formes, éclats, éloignement, volumes, perspectives, etc.) dont nous avions besoin pour discerner notre monde. « Si nous voulions briser cette force si totalement inclusive, tout ce que nous avions à faire était […] de déplacer le point d’assemblage en ayant l’intention de le déplacer ». Plus que d’habitude, l’objectif du vieil homme était que ces deux sorciers s’affranchissent de l’énergie du monde des “élémentaux”. Avoir l’intention seul, après s’être débarrassé d’un émissaire et d’un éclaireur du royaume des êtres inorganiques, signifiait, pour les nouveaux sorciers, ne compter que sur sa propre maturité énergétique. Elle devait préalablement avoir été parachevée et rendu inattaquable.

Dans cette nouvelle expérience de rêver, la femme nagual et l’homme traqueur arrivèrent à un endroit anormal qui n’était pas le but désiré qu’ils s’étaient fixés au départ. Ils cherchèrent une solution de sortie, par le seul effort de leur supplément d’énergie du monde physique. Ils comparèrent les éléments qui les entouraient avec les éléments de leur monde, afin de s’extraire de cette mauvaise passe. Ils firent objection à tous les éléments du monde particulier où ils étaient arrivés, en recherchant leur origine dans ce qui leur restait de mémoire, puis se défirent peu à peu des énergies parasites du secteur où ils avaient abouti. « Nous étions entrés dans ce monde avec nos réalités physiques, la fixation de nos points d’assemblage sur la position présélectionnée par les êtres inorganiques fut si dominante qu’elle créa un genre de brouillard qui effaça tout souvenir du monde où nous vivions ».

L’intuition de don Juan avait été la bonne. Prendre sur soi toute la réalité de son monde aide à se souvenir de la société où l’on vit, et à en détacher tous les objets connus qui font son ordinaire. Ce fut comme une renaissance après une chute aux enfers. Le vieil indien analysa avec eux leur pénible situation.

En comparant avec notre sens des réalités quotidiennes, nous autres, hommes ordinaires, pouvions tirer profit de cette dangereuse mission expérimentale, pour décider sans hésitation si le rêve était un monde réel ou irréel, tout simplement en comparant les éléments du rêve avec ce que l’on a retenu de son monde et de son contenu.

Le monde des “élémentaux” était le monde de la matière inanimée et des êtres énergétiquement peu chargés qui montraient une bien meilleure connaissance des mondes énergétiques, en générale, et de l’énergie, en particulier. Don Juan Matus était parti d’un principe simple, une observation réalisée pendant des siècles pour aguerrir les sorciers d’antan. D’une part, le rêveur traqueur devait considérer la conscience comme une caractéristique environnementale du vaste univers. S’il considérait également que cette conscience était la structure élémentaire de nombre de mondes organisés et/ou habités au-delà du nôtre, il avançait dans la compréhension de l’organisation de l’univers. D’après les sorciers rêveurs, pour utiliser cette conscience puissante et tirer le meilleur parti de la propre force de sa conscience, il lui fallait s’adresser, en premier lieu, au monde des êtres inorganiques.

D’autre part, le rêveur traqueur pouvait concevoir sa conscience comme une énergie de base pour s’élancer dans un autre monde, grâce à ce surplus d’énergie.

 

C’était ce qu’avaient fait la femme nagual et l’élève Carlos. Mais avant de ressortir du monde des “élémentaux”, ces derniers avaient eu le temps d’agir sur leur point d’assemblage du corps physique. Cela les précipita dans un monde inconnu, privé de leurs souvenirs. Le sorcier yaqui leur confia qu’il pensait qu’ils n’avaient pas eu le temps de rassembler leur conscience énergétique pour en faire une unité de puissance sur laquelle ils escomptaient pour se propulser et passer outre l’énergie de ce bas monde. Leur véhicule énergétique fut pourtant bien leur conscience associée. 

 

 

11 : La quatrième porte de rêver ou Le locataire

 

Pour des raisons personnelles, don Juan se proposait, un temps, de confier son élève Carlos sous la protection de deux femmes nagual d’un groupe de sorciers rêveurs autre que celui auquel le californien faisait partie initialement. « Leur enseignement ne concernait pas les portes de rêver, mais différentes façons de se servir du corps d’énergie », bien qu’il ait moyennement apprécié leur pratique et leur méthode pédagogique. Mais avant ces leçons de choses la perception du monde et de l’univers n’était pas terminée. D’autant qu’elle concernait la clé de voûte du système énergétique et du fonctionnement mécaniste du vaste monde : le Cosmos. Un jour, son mentor lui annonça que « tout est entre les mains de l’esprit, le vrai joueur. Nous ne sommes pas des joueurs. Nous sommes de simples pions dans ses mains ».

À cet endroit de la lecture, il faudrait pouvoir comparer quelques versions autres de The Art of Dreaming, pour savoir si le mot français « esprit » avait été publié avec une minuscule ou une majuscule. Nous pourrions supposer alors que « l’esprit » désignait simplement le mental de l’homme. Autrement, le mot “Esprit” imprimé avec une majuscule aurait désigné une source amérindienne telle que Manitou ou une déité collective. Le sens littéraire à accorder au substantif “esprit” changerait grandement. À défaut de savoir contentons-nous du vocable “esprit” dans une acception absolue, tout en supputant que dans la pensée de don Juan Matus, il s’agissait d’une tutelle de plus grande importance que de la seule pensée intelligente de l’être vivant.

 

« Je dois, pour suivre les ordres de l’esprit, te dire en quoi consiste la quatrième porte de rêver ». Admettons que le vieil indien yaqui parlait de la “conscience” en tant qu’énergie et dépositaire de toutes les expériences et connaissances des univers. « L’esprit ne laisse ce choix ni à toi ni à moi », se désolait-il pourtant. Le franchissement de la quatrième porte de rêver était, de loin, la plus dangereuse, et pouvait aboutir à la perte de la conscience totale du monde réel. Le passage à cette ouverture, produite par l’énergie de la conscience du rêveur, amenait parfois le sorcier rêveur à se déplacer dans des zones de projections fantasmagoriques de sorciers rêveurs préoccupés. Ainsi le corps d’énergie se déplaçait-il jusqu’à des espaces occupés par des créations artificielles, par la volonté d’un rêveur et maintenues en l’état par l’énergie de celui-ci. Mais cela réclamait de l’énergie et donc un renouvellement énergétique régulier.

Le benefactor de Carlos se justifiait. Cette énième percée de “concevoir” faisait accéder : 1° à des places concrètes de notre monde organisé ; 2° à des contrées extérieures à notre univers ; 3° à des configurations générées de toutes pièces, élément par élément, énergétiquement parlant, par une conscience génératrice d’énergie.

Son élève doutait d’être capable de réussir une telle performance d’entrer « dans l’intention des autres » aussi facilement. « Le faire repose dans les mains de l’esprit », se fit impératif son maître sorcier. L’exercice semblait une mise au point de tous les savoirs “rêver” de l’acte de rêver sorcier et d’aboutir à un art de rêver exemplaire. L’expérience débutait au moment de la rencontre avec « el inquilino ». Le locataire en question était une énigme. Le vieil indien yaqui cherchait, avant tout, à le mettre en garde contre certaines pratiques de « sorcellerie » véritable, qui ne servait en rien l’intérêt du rêveur traqueur, ni dans cette vie-ci, ni ailleurs. Les nouveaux sorciers étaient amenés à être confronté à ce personnage que les vieux sorciers dénommaient « el desafiante de la muerte ».

 

En gardant un œil critique sur le passé des hommes qui fit tant de tort au terme même de “sorcellerie”, don Juan Matus n’hésitait pas à renseigner son élève Carlos sur les réalités fratricides d’antan. « Ces sorciers, poussés par des questions d’intérêt extrêmement personnel, placèrent tous leurs efforts dans le perfectionnement de pratiques qui les écartèrent de plus en plus de la sobriété et de l’équilibre mentale ». De fait, la sorcellerie restait dans les mémoires comme des agissements pervers et criminels - tel que de jeter du poison en guise de jeteur de sort, et d’être pourvue d’une mentalité obsédée d’égaré, tournée exclusivement vers le pouvoir sur les gens et la maîtrise des circonstances.

Le mentor de la lignée que rencontrait Carlos entendait bien appeler à la plus grande vigilance sur son impeccabilité. « Les sorciers de notre époque ont appris une bien dure leçon […] S’ils maintiennent un détachement absolu, ils peuvent disposer de l’énergie qui permet la liberté. Leur détachement est […] de la conviction » dans chacun de leur acte de rêver et chacune de leurs entreprises concernant l’enseignement de leur art de rêver.

Le passage de la quatrième porte de rêver équivalait à un test de « détachement complet » afin de s’éloigner radicalement d’« une totale complaisance » envers ses propres actes décalés. À son corps défendant, don Juan Matus assurait à son élève sorcier rêveur qu’il n’avait rien à soumettre de mieux que ce que « l’esprit » avait de « pouvoir de faire surgir des tests ». Le vieil indien yaqui se présentait seulement comme un simple médiateur. Le novice sorcier avait rendez-vous avec son destin, si c’était “l’esprit” de la conscience cosmique qui créait les règles du jeu.

 

Quelques principes de bases furent rappelés au postulant rêveur de la quatrième porte de rêver. « Percevoir l’énergie est pour les sorciers modernes une question d’accomplissement personnel. Grâce à notre autodiscipline, nous manœuvrons le point d’assemblage », seul, de telle manière qu’il n’échappe pas à notre perception et à notre compréhension. Autrefois, l’autodiscipline n’existait pas. Elle était supplantée par la sujétion du disciple par le maître qui réalisait lui-même, ces déplacements, comme de simples dons de pouvoir. En réalité, les hommes qui avaient plus de pouvoir et d’expérience énergétique, manipulaient le point d’assemblage et le novice par là-même. La lignée de don Juan Matus se voulait impeccable, elle convenait au besoin de laisser agir l’élève.

La sorcellerie avait cet antécédent que « les sorciers d’antan […], avec leur acharnement constant pour dominer les autres, ils créèrent une situation d’obscurantisme et de terreur qui se transmit de maître à disciple », des siècles durant, jusqu’à l’ère préhispanique.

Si l’on comptait huit sorciers avant la nouvelle école de l’art de rêver, huit personnes, vivant en moyenne cinquante ans, donnerait une estimation de lignage sur quatre cents ans d’école intermédiaire avant la lignée à laquelle appartiendrait don Juan.

Avant lui, il y eut le nagual Julian, le nagual Elias, le nagual Rosendo, le nagual Lujan, le nagual Santisteban. Ces sept personnes recouvreraient donc, sept fois cinquante ans, en moyenne, trois cent cinquante ans de la nouvelle lignée.

 

L’an 1950 – 350 ans = l’an 1600 (l’époque de Galilée), Santisteban à don Juan ;

l’an 1600 – 400 ans = l’an 1200 (l’époque de Marco Polo), les huit sorciers d’avant. La sorcellerie d’antan aurait pris fin vers 1200, laissant sa place à une école de transition.

Dans la tradition des sorciers de l’antiquité, les nouveaux sorciers accréditaient l’idée qu’il existait encore une personne, un sorcier nagual d’antan, qui aurait tant de compétence au sujet du pôle de connexions énergétiques, qu’il serait à l’origine de la réforme profonde de l’acte de rêver. Les sorciers lui prêtaient le pouvoir d’avoir vécu plusieurs siècles. Pour cela « le vieil sorcier mythique » avait été surnommé « le défieur de la mort ». Don Juan Matus lui accordait une nature si particulière que sa conscience avait eu le temps de parfaire toutes les positions du point d’assemblage possibles. Il avait acquis une prédisposition de cohésion inhabituelle. « La nature spéciale de ces dons est ce qui modifia le cours de notre lignée ». Nul ne savait d’ailleurs si c’était un homme ou une femme, tant son aptitude à changer de nature, au gré des positions de son pôle de connexion énergétique n’était plus qu’une commodité de parcours.

Il apprit lui-même aux sorciers de la nouvelle école que « la féminité et la masculinité ne sont pas des états définitifs, mais qu’ils résultent d’un acte spécifique de positionnement du point d’assemblage […] Cet acte est, naturellement, une affaire de volonté et d’entraînement ». À cela, toute personne censée pouvait objecter sur les principes biologiques du genre mâle ou femelle. Don Juan expliquait alors que tout cela n’était qu’une réalité universelle « pour aussi longtemps que notre point d’assemblage demeure sur [cette] position habituelle ».

 

Tout déplacement captait d’autres faisceaux de lumières vives et la cohésion de la conscience prenait ensuite une autre forme et gérait une autre cohérence. Ainsi, la sphère qui se situait à la hauteur de l’omoplate droite de l’individu, recevait-elle d’autres indices de conscience et d’énergie. L’assemblement était diffusé dans la grande enveloppe ovoïde du vivant. Lequel héritait d’un faisceau de filaments de lumières et de consciences autrement focalisés et sensibles. La membrane ovoïde, ou ronde chez ceux de notre siècle, servait d’écran aux données holographiques contenues dans le point d’assemblage.

Apparemment, le « défieur de la mort », el desafiante de la muerte, avait eu l’opportunité de parachever un travail collégial de concision des informations énergétiques et de calquer sa cohérence physique sur la conscience cosmique, dans tous les états reconnaissables. « Le locataire n’est plus soumis aux mêmes forces que celles qui te lient maintenant », disait don Juan à son élève Carlos. Le locataire et défieur de la mort étaient les attributs de ce personnage inhabituel. Sa rencontre était inéluctable. Le rêveur Carlos l’apprit de la voix même de son émissaire de chez les êtres inorganiques. En cas de refus, « une force incroyable [provoquerait une] tachycardie pour [l’obliger] à revenir à l’église », lieu de rendez-vous avec le sorcier d’un autre temps.

Carlos s’était déjà mis en marche vers la maison de don Juan Matus, pensant vraiment avoir eu le choix. De toute évidence, un tel choix n’était pas pensable. Ce qui contredisait les affirmations du mentor et les règles de la nouvelle école libre de rêveurs. Obliger quelqu’un c’était d’abord le priver de sa liberté de choisir. Pris de cours, et sous la menace explicite de mort, le rêveur Carlos n’avait pas d’autre chose à faire que de se soumettre. « Il n’existe pas la moindre façon d’échapper à ce rendez-vous », affirmait le vieil indien yaqui. L’esprit était-il le meneur de ce jeu mortel ?

 

En tous cas, l’élève était contraint et forcé de payer un tribut énergétique au locataire contre un don de positionnement sur son point d’assemblage. Cela semblait être une vieille règle. Ce qui s’expliquait peut-être dans le caractère antipathique du sorcier légendaire parmi les groupes de sorciers qui travaillaient avec le sorcier yaqui. Le locataire était marqué par une indulgence excessive à son égard. Don Juan ne voyait chez cet ancêtre que la marque de fabrique des anciens sorciers. Il dénotait trop d’implications négatives dans ces pseudos compensations, choisies d’avance, par le défieur de la mort. Ces implications supposaient naturellement la dépendance du donneur au suborneur. Une reconnaissance éternelle en payement d’un sacrifice, son énergie et une partie de sa conscience. « Avec ses dons, le défieur de la mort nous a fait devenir une lignée de sorciers très dépendants et imbus de leur suffisance ». En effet, ce n’était ni plus ni moins que du “vampirisme”. À moins que ce ne fût un exemple de vampirisme ancestral par la captation avide d’un bien naturel, la vitalité.

 

Le défieur de la mort était un personnage étrange, sans âge, plus fragile de constitution qu’autre chose. Celui-ci prétendait avoir vu passer « les casques des conquérants espagnols », de Cortès en 1520. Ce qui remontait à près de trois cent cinquante années. Ce défieur de la mort était réputé le seul être sur la terre à pouvoir faire don d’une de ses facultés, résultat de la connaissance globale de tous les sorciers d’antan. Il détenait l’énergie capable pour maintenir son point d’assemblage sur une position pendant très longtemps afin d’obtenir une perception complète et une compréhension du monde de rêver parfaite.

Les sorciers d’aujourd’hui ne savaient rien des centaines de positions accessibles au sorcier rêveur. Leur point d’assemblage devait rester à l’état stationnaire sur des endroits précis pour accéder aux mondes de rêver. Il y avait donc une façon spéciale d’accommoder son corps d’énergie. « La perception globale, ainsi que la cohésion totale, sont ce que les sorciers d’antan recherchaient à n’importe quel prix, et que, dans le cas de son don de pouvoir, la perception globale ne lui vint que suite à un processus délibéré qu’il dut apprendre, étape par étape, comme quelqu’un apprend à travailler avec une machine très compliquée ».

Les mouvements ou les déplacements que connaissaient les sorciers rêveurs et les sorciers traqueurs étaient de faible ampleur en comparaison avec leurs aînés. Mais, ils atteignaient tout de même « un mince faisceau de filaments lumineux d’énergie à l’intérieur de l’œuf lumineux » du sorcier rêveur. Ce groupement de brins énergétiques qui correspondait au schéma général d’une « caractéristique purement humaine de l’univers énergie » pouvait provenir de l’intérieur de l’enveloppe ovoïde de n’importe quel individu ordinaire. Au-delà de ce schème structurel et fonctionnel, sous l’enveloppe, toutes les positions se prêtaient et concourraient au voyage dans l’acte de rêver, de manière compréhensible et cohérente. Les sorciers de l’époque préhispanique savaient fixer leurs points d’assemblage sur des positions spécifiques aussi longtemps qu’ils le voulaient. Leur mémoire gardait intact les processus de déplacement et de fixité. « Chaque grand changement a sa propre mécanique intérieure » dans l’assemblage des filaments énergétiques lumineux.

Mais don Juan n’y voyait toujours aucun avantage, ni pour lui, ni pour ses élèves, ni pour la lignée des sorciers rêveurs et traqueurs de maintenant. La connaissance des positionnements tournait souvent à l’obsession et à une lente perte de facultés sociales avec ses contemporains. Le moindre échantillon de ces savoir-faire pouvait même faire chuter les nouveaux sorciers dans un obscurantisme primaire. Ce qui n’était pas concevable pour les sorciers de la lignée actuelle. À les lire, le lecteur pouvait légitimement être consterné que « l’esprit » puisse souscrire à de telles embûches dont l’issue paraissait fatale. « Le locataire n’inspire pas seulement de la terreur, mais suscite la révolte » parmi les meilleurs. C’était assurément des procédés révoltants.

 

L’ancien sorcier nagual avait en lui une énergie aux propriétés distinctes des autres sorciers d’aujourd’hui. C’était en s’appuyant sur ces particularités connues que le vieil indien yaqui, don Juan Matus, faisait la différence entre notre représentation du genre masculin et du genre féminin et celle qu’il fallait savoir. Pour les filles, exposait-il, « la partie la plus brillante du point d’assemblage fait face à l’extérieur » de l’enveloppe en forme d’œuf. Pour les garçons, cette partie la plus luisante du pôle de connexion énergétique était tournée vers « l’intérieur ». Pour le défieur de la mort, il fallait accepter comme vérité, que le locataire « changea en [.../] retournant [/son point d’assemblage tourné vers l’intérieur] et en transformant son énergie en forme d’œuf en une forme semblable à un coquillage enroulé sur lui-même ». Ainsi fait, on devint une personne sans aucune connotation sexuelle. Il ne devait plus être ni homme ni femme, mais quelque chose d’indéfinissable entre les deux. 

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4 septembre 2012 2 04 /09 /septembre /2012 07:14

 el arte de ensonar

 

Contenido

 

Nota del autor (p. 7)

Los brujos de la antigüedad (p. 13)

La primera compuerta del ensueño (p. 35)

La segunda compuerta del ensueño (p. 51)

La fijación del punto de encaje (p.75)

El mundo de los seres inorgánicos ((p. 103)

El mundo de las sombras (p. 129)

El explorador azul (p. 153)

La tercera compuerta del ensueño (p. 167)

La nueva área de exploración (p. 193)

Acechar a los acechadores (p. 211)

El inquilino (p. 229)

La mujer de la iglesia (p. 253)

Volando en alas del intento (p. 275)

 

 

« Romance avec la connaissance »

 

 

7 : L’éclaireur bleu

 

« Je rêvais un rêve absolument absurde ». Dans la geste de Carlos Castañeda, il arrivait que le héros soit prisonnier. Le rêveur était alité, en transe. Il n’arrivait plus à s’extirper de son dernier voyage au pays des êtres inorganiques. Il était englué dans un espace de brume ocrée, sans fond, ni contour. Effectivement, le pays des brumes paraissait, depuis fort longtemps, aux sorciers rêveurs et aux sorciers traqueurs, tel « un brouillard jaune ». C’était bien plus réel que des histoires de sorciers pour faire peur.

Le contrecoup de cet épisode néfaste durant son acte de rêver fut une perte remarquable de son énergie qui se manifestait par « des accès de fièvre », de la « température [qui] montait brusquement » et un front « brûlant et en sueur ». Malgré l’état nauséeux  d’un organisme qui aurait pu, tout bonnement, réagir à une surabondance de toxines dues à l’ingestion de potions d’herbes empoisonnées et de décoctions de champignons vénéneux, le rêveur Carlos comparait ses accès de fatigue à une réaction du métabolisme qui se rechargeait en énergie de façon désespérée. Son état pathologique était celui d’un sujet inhabituellement éreinté et qui « semblait dessécher l’intérieur de [son] corps ».

Grâce aux soins de son entourage, prodigués par les autres élèves de l’indien yaqui, le rêveur Carlos se remettait peu à peu, nécessitant, tout de même, quatre semaines complètes d’attentions particulières. Celui-ci eut le temps de faire un examen de conscience sur ses actes de rêver. Il considérait « une nouvelle facette de [son] être » qui répondait avec un certain détachement aux derniers événements. Il reconnaissait « une touche de froideur nouvelle » dans sa manière de revenir à son monde. À la suite de sa convalescence forcée, l’élève de don Juan se découvrit une autre personnalité pourvue « d’un strict contrôle de [soi-même] », l’inquiétant de nouveau à l’étude d’un tel déterminisme « si neuf et si fort ».

 

C’est que le sorcier rêveur avait sauvé un « éclaireur bleu », d’un autre monde humain, dans les tunnels du monde des êtres inorganiques. Il était venu à son chevet sous les traits d’une fillette humaine de sept années d’âge, « aux yeux bleu acier […] brûlants de silencieuse émotion qui […] exprimaient gratitude et loyauté ». Pendant un bref moment d’absence, le rêveur eut un doute sur son bon rétablissement. Il eut de la peine à saisir complètement ce qui se passait et ce qui se disait autour de lui. La visiteuse paraissait avoir le regard intense et bouleversant. Pour qu’il saisisse ce qu’elle pouvait exprimer, « elle [lui] dit que pour comprendre ce qu’elle disait, [il] devait transférer [sa] conscience de [son] corps physique à [son] corps d’énergie ».

Ce qui équivaudrait à accepter que la conscience et l’énergie étaient séparables et distinctes. Le vieil indien yaqui n’en avait pas dit autant. À moins que l’énergie du corps physique ne serve de réservoir de secours au corps d’énergie qui pouvait y recourir.

Bien que le mentor du rêveur sauvé n’était pas content des risques que prit son élève, il était quand même soulagé de le revoir sain et sauf. Il lui expliqua alors que « le manque d’énergie » pouvait bloquer la mémoire des événements, et laisser un douloureux vide à l’esprit. Une telle mémoire occupe une position secondaire dans les dépendances énergétiques. Pour se remémorer un quelconque fait passé, il fallait l’énergie nécessaire pour travailler à prospecter les aires cérébrales dédiées aux mémoires. Le vieil indien lui confia un jour : « Tu peux désirer tout ce que tu veux, mais si ton niveau d’énergie n’est pas ajusté à l’importance de ce que tu sais, tu peux tout aussi bien dire adieu à ta connaissance ».

Faute d’énergie, le métabolisme puise dans les réserves… et si les mémoires s’y trouvent, un sacrifice est à consentir. Ainsi est bâti l’édifice humain, que la génétique modèle suivant des principes savants de sauvegarde et de priorités incontournables. Même si « l’énergie a tendance à se cumuler », la sagesse était d’en user avec économie. Ainsi donc, depuis des lunes, une alimentation surveillée et équilibrée a toujours fait partie du fondement de la vie, de la vitalité des êtres vivants de notre vieux monde. Dans l'organisme, les toxiques ne s’ingèrent pas, elles s'altèrent.

Certains rêveurs n’avaient pas encore admis cette règle de vitalité. Si les mémoires de connaissance n’étaient pas brisées et digérées par l’organisme, il était encore possible qu’elles soient inaccessibles faute d’une vitale énergie pour faire le chemin jusqu’à elles. C’est le juste conflit entre le monde des êtres inorganiques et le monde des êtres organiques. Les premiers étaient « en permanence en quête de conscience et d’énergie ». Les derniers ne savaient quasiment rien des principes premiers qui font le nutriment et l'équilibre. 

    

8 : La troisième porte de Rêver

 

« La troisième porte de rêver est atteinte lorsque tu t’aperçois que tu es dans un rêve, en train de regarder quelqu’un endormi […]. Et tu découvres que ce quelqu’un, c’est toi » : ainsi débuta la leçon suivante de l’élève de don Juan. Tous les acteurs animistes du rêve éveillé parlaient de la sorte. Il arrivait qu’un rêveur se perçoive autrement, comme un simple corps étranger.

Les sorciers rêveurs et les sorciers traqueurs durent apprendre à repérer l’« impulsion d’énergie » qui se manifestait en eux et restructurait dans l’instant tout écart dans l’attention première, l'attention seconde et l’intention de rêver. Tout comme dans la vie de tous les jours, la concentration faisait parfois fausse route et s’engageait sur le plan de la rêverie éveillée. De même, dans la période d’endormissement, la concentration défaillait et se tournait vers une construction de l’esprit relâchée et meuble. La tâche était de suivre son attention de rêver sur le cheminement de la même concentration focale mentale, jusqu’à ce que, comme pour le rêveur Carlos, il y ait une sorte d’éveil dans l’acte de rêver. Un champ de vision intérieur irréfutable.

Ce qui rend possible cette apparente « attention seconde », prémisse de l'intention de rêver, venait peut-être d'une faculté d'accommodation intellectuelle, semblable à l'accommodation visuelle, semblable ou en résultant, si l'on considère que l'accommodation des yeux fut un premier geste, ou une première mimique, pour gagner en faculté d'approche.

Néanmoins, le but était de se retrouver en position de corps d’énergie rêvant en train de regarder le corps physique sommeillant. « En rêvant […] te voir endormi, tu es arrivé à la troisième porte », lui assurait son benefactor.

Il restait à ces hommes et à ces femmes de cette nouvelle école d’apprentis rêveurs, d’acquérir la maîtrise de se déplacer par-delà le corps physique endormi ; preuve vivante qu’ils et elles existaient bien tels, ou telles, qu’on avait pu leur promettre. Plus complexe encore était de « fusionner la réalité de rêver avec la réalité du monde quotidien » afin de ne pas dériver vers ses propres projections fantomatiques. Pour cela, le corps d’énergie devait être dégagé des entraves mentales du corps organique. C’était cette maîtrise que les sorciers de l’antiquité nommèrent allusivement : rendre complet un corps énergétique.

Le sorcier don Juan signalait également, qu’après le passage de ce troisième niveau de compétence énergétique, tout rêveur devait prendre garde à ne pas détailler les éléments du rêve-réalité. L’énergie des détails existaient de par leur nature réelle calquée sur le monde de tous les jours. Seulement, se focaliser risquait de glisser dans cette énergie, comme pour les tourbillons énergétiques de feuilles dans l’arbre où le rêveur Carlos s’était arrêté. « Voir les choses avec le plus grand soin […] signifie résister à la tentation quasiment irrésistible de plonger dans les détails », soutenait son professeur. Chaque rêveur sorcier en faisait l’expérience, il devait s’attacher à densifier sa masse énergétique pour qu’elle puisse renaître instantanément d'elle-même et être prête à réagir à son nouvel environnement. De telles recommandations s’adressaient directement au corps d’énergie, en tant qu’interlocuteur silencieux, mais très réactif.

 

Après tout, le corps d’énergie, émulsion du grand Cosmos, présentait des analogies avec le corps physique qui n’était qu’un autre système d’énergie massif. Le mentor de Carlos lui suggérait, à toute fin utile, d’entrevoir l’idée que la position du point d’assemblage résonnait tel un catalogue de connaissances universelles. Chaque filament de lumière consciente était une partie d’une conscience, plus grande qu’elle. Les brins de lumières brillantes connectaient à un réseau de savoirs groupés qui pénétraient la petite sphère sous la surface de l’enveloppe ovoïde, ou ronde, selon les époques présentées.

Une fois cette énergie consciente desserrée, elle accédait à l’immense océan de sagesse de l’Univers. De sorte que « le corps d’énergie a accès à la richesse de l’immensité » des mondes apparents et plausibles. Le Cosmos était cette souche en forme d’« oignon » composée de particules d’expériences microscopiques.

« La position du point d’assemblage est tel un coffre » qui enregistrait tous les changements du pôle de connexion à l’Univers. À tel point que le vieux sorcier emmena, un jour, son élève californien au Musée national d’anthropologie et d’Histoire de Mexico. Jusqu'à ce jour, l’indien yaqui n’avait eu que des mots à dire. À partir de « certaines pièces d’archéologies », il voulait que son élève fasse sa propre « lecture » des archives du temps que les sorciers précolombiens avaient fixées dans les couches de la matière des objets votifs, sacrificiels ou totémiques. Le vieil homme avait besoin de mettre son protégé devant des pièces à conviction. Au Musée d’anthropologie, don Juan lui donna une orientation à suivre. « Dans cette salle, chaque pièce archéologique constituait des archives […] enregistrées par les gens de l’antiquité ». Ce qui fournissait un début d’explication au sujet de la tyrannie exercée par des lignées de sorciers, au cours des âges, sur des générations d’individus. Ces sorciers, de la sorcellerie primitive, apparaissaient comme des testateurs qui auraient tenté de laisser un témoignage vivant de leur passage sur Terre, et de leurs connaissances en matière de « métaphysique ».

 

Les sorciers d’aujourd’hui, les réformateurs de l’ancienne école égoïste et homicide, avaient la chance d’avoir pu déceler de telles documentations. Si la tradition orale de ces gens n’avait pas perduré durant tout ce temps, la lignée des sorciers se serait naturellement tarie. Elle ne s’était peut-être qu’essoufflée. « Chaque pièce est conçue, pour changer [le] point d’assemblage » du sorcier rêveur, qui a su passer la troisième porte en faisait taire ses propres considérations.

Tout comme un roman consigné qui prend vie à chaque lecture, les archives compulsées dans des objets du passé étaient inscrites dans la position d’assemblage d’un lecteur probable. Ce qui tendrait à assurer que l’énergie qui avait donné une forme, plus dilatée, à la conscience et à l’acquisition de la cohérence des groupes de faisceaux de lumière dans le corps d’énergie, était devenu apte à saisir d’emblée les émanations énergétiques des brins de lumières lumineuses provenant de n’importe quel objet naturel ou façonné par des mains humaines. La relecture de l’essence de ces récits focalisés naîtrait de la sympathie du rêveur à partir des ondes reçues. Une participation par l’imagination remettait en forme les données essentielles de dynamique, de longueurs d’ondes, de couleurs, de résonances et lui ferait participer à l’expérience par elle-même. Les sorciers actuels y croyaient comme un principe immuable de l’univers garantissant ce que la tradition orale avait de plus fort dans ces sociétés. L’écrit a amoindri son impact sur les mémoires et la sympathie de la lecture s’était déplacé sur d’autres contenus dans d’autres contenants.

Bien évidemment, et cela de tout temps, l’individu lambda ne dispose que de son point d’assemblage, à son emplacement habituel, pour tout commerce avec son monde. Ce même lambda, initié à déplacer son pôle de connexion, saurait augmenter le champ opératoire de sa conscience, en attestant de la réorganisation spontanée de sa cohérence de référencement par une dynamique énergétique endogène. « Ainsi, la position du point d’assemblage devint l’enregistrement de l’expérience » pour faire du point d’assemblage le récepteur et le décodeur des vibrations ondulatoires. C’était d’ailleurs la prochaine pierre d’achoppement du sorcier apprenti. À ce stade de ses efforts pour mettre en place son acuité, ce dernier devait savoir, en outre, « revenir à toutes les positions » occupées initialement pour que l’accomplissement de sa nouvelle nature soit entier. À lui de réviser les positions de rêver, de les réutiliser pour acquérir de la fluidité énergétique.

 

Carlos éprouvait des difficultés à maîtriser ce genre de déplacement, au passage de la troisième ouverture de sa conscience de rêver. Une telle attraction de la pensée quotidienne rendait foncièrement terriens tous les quidams qui passaient beaucoup de leur temps libre à revivre leurs expériences sur toutes les aspects ludiques possibles.

Le sorcier rêveur de la troisième porte de rêver ne pouvait plus être encombré d’aucune pensée d’aucune sorte, car la pensée était elle-même l’énergie qui court-circuitait le flux de l’attention seconde et de l’intention de rêver. Dans le cours de ses études, le sorcier rêveur se voyait assigner à une tâche supplémentaire.

Il était censé récapituler les moments forts de sa vie privée, en restituant les détails les plus enfouis dans le subconscient et ses mémoires locatives ou centrales. Pour qu’un tel acte puisse se faire sans faille, du mieux que le pouvait le rêveur, le mentor de Carlos préconisait une « respiration » associée à une « récapitulation ».

« Les sorciers de l’antiquité, les inventeurs de la récapitulation, considéraient la respiration comme un acte magique, donneur de vie, et, par conséquent, ils en faisaient usage comme véhicule magique ; l’expiration pour rejeter l’énergie étrangère demeurée en eux depuis l’interaction avec l’être récapitulé, et l’inspiration pour retirer l’énergie qu’ils avaient eux-mêmes laissée derrière eux au cours de la relation ». L’indien yaqui poussait son enseignement au-delà des limites de la simple compréhension cartésienne, comme la psychanalyse personnelle des temps modernes, en assurant à son élève qu’il s’agissait plutôt d’un moyen de déclencher un déplacement, ne serait-ce qu’infime, du point d’assemblage. À revivre ces événements relationnels, le point d’assemblage glisse lentement vers l’endroit qui correspondait au moment vécu par le passé. Pour lui, cette démarche représentait la récapitulation recommandée.

 

Il faut dire que l’élève Carlos accédait ainsi dans l’art de rêver, à l’une des cosmogonies des sociétés préclassiques anciennes. Il découvrait une version pessimiste de l’Univers, chez les peuples d’Amérique Centrale. Son mentor lui retraça rapidement les déductions que firent ses devanciers. Pour ces gens, l’Univers émanait une force de création incontestable. Mais celui-ci recyclait notamment les basses énergies lourdes pour les rehausser à son niveau le plus haut. Cette force de « dissolution », comme l’appelaient les sorciers d’antan, laissait vivre les organismes en leur prêtant « sa conscience ». Cette même force implacable faisait disparaître les organismes, d’où les cycles de vies minérales, végétales et animales, de façon à reprendre possession de la partie de conscience (ici, les traces bioénergétiques), pour en extraire les énergies nées des « expériences » (ici, des empreintes et des indices) dans leurs nombreuses existences.

Ces sorciers cherchèrent un stratagème pour échapper à cette finalité arbitraire, qui réduisait le vivant au néant. Ils étaient persuadés que « puisque cette force convoite l’expérience de notre vie, il était d’une extrême importance qu’elle puisse se satisfaire d’un fac-similé de l’expérience de notre vie », en lui laissant s’approprier une énergie récapitulative. Ils espéraient de la sorte que la force de l’Univers se contenterait de cet effet placebo afin de continuer à être et à « élargir leur faculté de percevoir », et pourquoi pas « d’atteindre les confins du temps et de l’espace ». C’était devenu un combat de tous les jours contre une fatalité partiale. C’était une lutte au corps à corps pour la vie et contre l’utilisation de pauvres êtres jetés dans des situations désespérantes au profit de la seule douleur et souffrance pour nourrir la sinistre curiosité d’une force énergétique aveugle, sans état d’âme.

 

D’un autre côté, le rêveur Carlos finit par comprendre que son vieux maître lui permettait de se « construire, sans aucun ordre apparent, un puzzle des divers événements de [sa] vie », au risque de voir le chaos s’installer dans la frise historique de son existence. Le vieil instructor le rassura en lui indiquant que l’esprit de l’homme, son mental, savait choisir et aller directement vers les événements marquants, et bien évidemment, manquants.

L’élève Carlos avait une certaine maîtrise de l’acte de rêver, si l’on veut bien prendre en considération les nombreux volumes qu’il fit publier. Il s’exécuta et travailla à réduire, encore davantage, au silence ses pensées de l’instant. « Lorsque je réduisais mes pensées au silence, une force en apparence indépendante de ma volonté plongeait dans les moindres détails d’une mémoire d’un événement de ma vie ». Le tout opérait de façon efficace et ordonnée. Il se rendait compte qu’il restait un lot d’émotions enfouies et inaccessible à son autoanalyse de récapitulation. Quand son travail débuta, il s’en trouvait soulagé, et ses actes de tous les jours prirent une toute nouvelle tournure mentale. Son aspiration n’était plus la même.

 

Plus tard, don Juan fit venir une conversation sur un sujet à réfléchir et à mesurer dans le quotidien. Cet engagement homologuait l’idée de comparer la vision d’un corps endormi dans la réalité et la vision du corps endormi dans le rêve, passé la troisième porte de rêver. En effet, la « procédure de validation » était de s’assurer que le rêveur, au cours de son rêve éveillé, fasse la différence avec le monde réel et le monde qui lui ressemble, le rêve. Ladite procédure était basée sur l’instinct du mode de déplacement dans le rêve même. Le maître de Carlos disait que ce déplacement ne pouvait pas être une copie du déplacement emprunté dans la vie courante. On ne pouvait donc pas s’y déplacer en marchant, en utilisant ses membres inférieurs. Le corps d’énergie n’a pas de membres.

Pour se déplacer, la faculté première devait être un réflexe conditionné, fruit d’un long apprentissage. Pour se déplacer dans une songerie éveillée, quel réflexe aurait suffi : « si ce n’est que marcher s’impose en premier lieu à nos pensées », reconnaissait don Juan Matus. Rêver reproduit certains gestes établis de longue date. Tandis qu’après la troisième porte de rêver, le déplacement s’opère autrement.

Ce type de validation, entre la réalité physique du monde et la nature du monde de rêver, certifiait la bonne position du pôle énergétique du rêveur. Les sorciers d’antan stipulaient que « à la troisième porte de rêver, le corps d’énergie peut se déplacer exactement comme un corps d’énergie : rapidement et directement. […] Il peut se déplacer comme il se déplace dans le monde des êtres inorganiques ». C’était là, effectivement, l’une des phases de libération du corps d’énergie envers les « élémentaux » et à l’endroit des dernières réticences, des hésitations légitimes face à l’inconnu. Son mentor lui assura pourtant que l’art de rêver comprenait de nombreuses positions et diverses vérifications de contrôle tout au long de l’expérimentation. Pas étonnant alors que l’auteur de ce long document : The Art of Dreaming, puisse reconnaître que cette expérience couvrait treize années de travail le plus régulier possible. « Sois impeccable » l’avait encouragé son benefactor.

 

Pour être dans l’« impeccabilité », le sujet rêvant devait donner un sens à sa vie, pour justifier ses actions et chercher à donner le meilleur de lui-même jusqu’à ce que ses actions soient menées à leur terme selon leur objectif du départ. Dans la vie comme dans l’acte de rêver, le fait de ne pas décider par soi consistait à s’en remettre au hasard. Mais, n’était-ce pas plutôt une adversité ?

C’est ce qu’était appelé à faire le rêveur Carlos : à décider une action énergique pour que son déplacement à l’intérieur de la pratique de la troisième porte de rêver fût le résultat de cette décision. L’énergie était conscience (ici, l’effet) de l’Univers, et partant de ce constat, l’énergie était action  (ici, mouvement). Au lieu d’attendre d’être sollicité ou guidé par une tierce personne, le sorcier rêveur pouvait tout aussi bien agir de son propre chef. Ainsi, don Juan espérait que son apprenti progresserait de lui-même, en prenant des initiatives, sans s’en remettre tout le temps à son maître de rêver, ou aux êtres inorganiques. « Au cours des rêves qui suivirent, je vérifiais qu’assurément la seule façon pour le corps d’énergie de se déplacer était de planer ou de glisser dans les airs ». Ce qui eut pour résultat bénéfique d’ouvrir de nouvelles perspectives de voyages et d’expériences.

 

Sans doute y avait-il encore d’autres façons, en dehors de rêver, d’appliquer ces modes résolutifs qui amenaient à utiliser son énergie d’initiative et de persuasion – tels l’art, la musique, la recherche, l’étude, l’écriture, la guérison, et d’autres choses encore. Les rêveurs de la nouvelle école réformée estimaient légitimes de léguer la partie noble de leurs examens de conscience de sorciers et de leurs expérimentations concernant les phases de recouvrement de la pensée consciente lors du phénomène de l’endormissement du corps physique. C’était d’autant se forger une énergie volontariste dans une vie courante et apprendre à retenir sa perception consciente jusqu’au rêve éveillé, dans le corps d’énergie.

 

Dans sa pratique de rêver, inventant sa procédure récapitulative de validation du rêve éveillé dans le corps d’énergie, au seuil du corps physique endormi, l’élève de don Juan reçut une indication de la part de la voix qu’il appelait l’émissaire. Ce dernier lui faisait savoir que « tous les éléments des rêves qui n’étaient pas des rêves banals étaient en réalité des configurations d’énergie différentes de celles de notre monde normal », pour qu’il découvre dans cette procédure de vérification un moyen terme pour valider un rêver dans la rubrique : lucide.

Dans l’un de ses rêves sorciers, et par la voix d’un émissaire entêté, le rêveur Carlos s’entendait annoncer que les murs devaient lui paraître liquides. De fait,  il sentit la différence de texture lorsqu’il s’immergea dans l’un des murs de sa chambre à coucher, alors qu’il adoptait la procédure de validation. Une paroi dont les proportions gigantesques différaient de celles de sa chambre lui parut anormalement différente. Ce qu’il ressentait ne fut pas « la sensation [froide] physique de plonger dans de l’eau ». C’était plutôt une « pensée de plonger » augmentée d’« une sensation visuelle de traverser une matière liquide » telle qu’on peut bien se l’imaginer par la pensée. L’apprenti rêveur se déplaçait dans un rêve banal. L’émissaire lui avait joué un tour à sa façon, tout était bon pour prendre ou faire perdre de l’énergie à son contradicteur. Le vieil homme yaqui se moqua de sa duplicité.

À l’initiative de son maître, le jeune sorcier rêveur dut prendre une décision irrévocable quant aux interventions fortuites de l’émissaire : ne plus accepter d’entendre raison lorsqu’une voix insidieuse s’en mêlerait, en se disant : elle a peut-être raison.

C’était le « peut-être » qui faussait toute la réflexion autour d’une juste décision à tenir. Quand cela lui arriva de nouveau, il fut si sincère de se débarrasser du diablotin que l’affaire fut faîte. « Si vous vous retenez d’exprimer votre requête, je vous promets de ne jamais interférer avec votre pratique de rêver et de ne parler que si vous me questionnez manifestement ». Le vieux sorcier le félicita car il avait pris la bonne décision, d’un cœur sincère. « La seule exigence était d’être sincère ». Ainsi le rêveur Carlos eut l’esprit tranquille pour œuvrer à son impeccabilité. C’était aussi une nouvelle approche pour perfectionner son corps d’énergie. C’était presque à dire que la connaissance du corps d’énergie revenait à lui inculquer un nouvel instinct. Les sorciers de l’antiquité avaient passé une vie entière à consolider leur corps d’énergie.

 

Voici le sorcier rêveur parvenu au chapitre du rêveur traqueur. Les sorciers traqueurs étaient des sorciers rêveurs qui avaient perfectionné leur corps d’énergie en l’aidant à mûrir et en le complétant tout en dirigeant ses agissements. Le corps d’énergie a la faculté de se déplacer par lui-même, sur les ondes vibratoires de l’Univers. « Tout ce qui concerne le corps d’énergie dépend de la position appropriée du point d’assemblage » pour le sorcier rêveur. Dès lors que son corps d’énergie se déplaçait et changeait de position à la surface de l’enveloppe ovoïde, la position idéale du pôle de connexion était atteinte, et le champ opératoire de « Voir » était rendu cohérent.

La suivante initiative à réaliser était celle de « traquer » le point d’assemblage, de manière à le maintenir dans une position de rêver et de cohérence impeccable.

Traquer signifiait : repérer et fixer son point d’assemblage afin de l’aider à se consolider et à émerger de son horizon – le corps physique. Il fallait, là encore, avoir le dessein et la conviction profonde, avant de « traquer ». L’intention conquérait par la pratique.

Pour ce faire, il convenait d’avoir un double objectif dans l’intentionnalité. « Laisse ton corps d’énergie atteindre la position de rêver […] Laisse ton corps d’énergie demeurer à cette position », c’était ainsi qu’opéraient les sorciers rêveurs qui traquaient leur point d’assemblage. Ils atteignaient deux mouvements successifs : déplacer le point d’assemblage et immobiliser le point d’assemblage.

Bien sûr, « la position optimale » était une image idéalisée pour dire que le corps d’énergie serait complet et cohérent à cet endroit par ce maintien. Don Juan se rappelait les instructions mais aussi les explications théoriques des lignées de sorciers préhispaniques. « La matière inanimée possède vraiment une force immobilisatrice » que les sorciers rêveurs connaissaient bien. Ils la voyaient tel un rayonnement de faible luminosité. Cette force attractive énergétique se retrouvait dans tous les détails des éléments du rêve.

 

On pouvait même considérer que le corps d’énergie était complet et mûr, lorsque les détails n’avaient plus d’intérêt dans l’acte de rêver. « En se déplaçant, ton corps d’énergie abrège son obsession pour les détails », ainsi s’accomplissait l’exercice fastidieux du passage de la troisième porte de rêver vers un état de consolidation énergétique nécessaire à endurer le grand Univers. L’étape suivante se nommait : voir l’énergie avec le corps d’énergie. Les sorciers rêveurs et les sorciers traqueurs avaient entériné une consigne innovatrice pour distinguer un monde réel d’un monde qui ne l’était pas. Dans le monde de tous les jours, voir l’énergie dans chaque élément du monde stipulait que l’énergie du sorcier était complète et impeccable.

Dès lors, dans leurs rêves, voir l’énergie des éléments, chaque fois qu’ils fixaient leur attention, stipulait que le monde dans l’acte de rêver était réel, c’est-à-dire générateur d’énergie. Si les sorciers ne voyaient pas le produit de l’Univers : l’énergie dans n’importe quel détail qu’ils fixaient, cela stipulait qu’il s’agissait d’un monde rêvé, un rêve ordinaire. « Un monde [réel est un monde] qui produit de l’énergie ; l’inverse est un monde fantomatique de projections où rien ne produit de l’énergie ; ainsi sont la plupart de nos rêves, où rien n’a d’effet énergétique », ainsi parlait don Juan et tous les sorciers de sa lignée : le nagual Julian, le nagual Elias, le nagual Rosendo, le nagual Lujan, le nagual Santisteban, avant il y eut bien huit naguals, mais ils furent assez différents.

 

Dans la pratique journalière, en fait, l’art de rêver était une série de vérification qui permettait à n’importe qui d’éclairé de relever les positions appropriées du point d’assemblage qui rendaient le plus d’effets proche de la réalité du quotidien. Ces positions étaient adaptées dès lors qu’elles recelaient des éléments de rêve énergétique dans des conditions « semblable au rêve ». La structure du rêve n’excluait pas d’avoir affaire à un monde organisé, autre qu’humain. Nous l’avons bien vu. C’était le corps d’énergie qui servait à ce moment-là d’étalon, parce qu’il avait la particularité de refléter les énergies différentes à celles du monde de tous les jours. Le corps d’énergie était une partie infime de l’énergie de l’Univers. Par exemple, le monde des êtres inorganiques, comme eux-mêmes, était une énergie qui grésillait. Le monde des êtres organiques, comme celui des sorciers rêveurs était une énergie qui frémissait.

L’Art de Rêver était la connaissance des dissemblances entre un monde fait d’éléments producteurs d’énergie commune et un monde de projections fantomatiques (comme le rêve ordinaire) ou, un monde fait d’éléments producteurs d’énergie étrangère, ce qui était toujours possible.

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4 septembre 2012 2 04 /09 /septembre /2012 07:14

L'at de rêverNote de l’auteur (p.vii)

Les sorciers de l’antiquité : une introduction (p.1)

La première porte de Rêver (p.20)

La deuxième porte de Rêver (p.35)

La fixation du point d’assemblage (p.57)

Le monde des êtres inorganiques (p.82)

Le monde des ombres (p.106)

L’éclaireur bleu (p.128)

La troisième porte de Rêver (p.141)

Une nouvelle aire d’exploration (p.166)

Traquer les traqueurs (p.183)

Le locataire (p.199)

La femme dans l’église (p.220)

Voler sur les ailes de l’intention (p.241)

 

« Romance avec la connaissance »

 

4 : La fixation du point d’assemblage

 

Pour les sorciers rêveurs d’aujourd’hui, l’acquisition de leur capacité de manipulation de leur point d’assemblage remonte à l’époque où les rêveurs devinrent tristement sorciers, avides de pouvoir, négatifs et dangereux pour leur société. C’était une période très ancienne. L’indien yaqui les situe dans leur déclin, il y a 3.000 ans.

C’est-à-dire que leur chute daterait de 1.000 ans avant notre ère calendrier. La Chine voyait la dynastie de Zhou remplacer celle des Shang. En Asie-Mineure, les Grecs colonisaient le littoral asiatique de la mer Égée. Le roi David unifiait les douze tribus d’Israël sous une capitale commune : Jérusalem. Le Mexique connaissait la civilisation Olmèques (- 1.500 à – 300). C’est la culture des têtes colossales en basalte plantés à même l’herbe. « Il y a trois millénaires, ils disparurent presque ». Dans le même temps, la société des sorciers rêveurs fit de son mieux pour préserver la connaissance de l’art de rêver.

Avant cela, pendant 4.000 ans des générations de sorciers, énigmatiques, tyranniques, furent à leur apogée en Méso-Amérique. C’était une civilisation qui aurait séjourné sur le sol de notre planète Terre quand, au Proche-Orient, Jéricho fêtait ses mille ans d’âge, quand la cité état de Çatal Höyük qui avait jeté ses bases dans l’actuelle Turquie abritait déjà cinq mille habitants. L’archéologie situe l’essor de la poterie à cet endroit de l’Histoire de l’homme néolithique (Japon, Chine) et de la céramique noire. La pyramide de Gizeh n’existait pas encore… l’écriture non plus.

 

« La gloire des sorciers d’antan commença il y a environ sept mille ans ». Ce qui remonterait à la civilisation urbaine de la période préclassique ancienne de Teotihuacan (Tehuacàn) et la découverte d’une denrée miraculeuse : le maïs.

Les sorciers amérindiens du Mexique, de la culture Mexicatl, commencèrent à pactiser avec les êtres élémentaires de l’univers. Ces formes sombres déléguaient l’un des leurs comme représentant pour induire les consignes de “Rêver”. Le sorcier rêveur, preneur de plantes psychotropes, entendait, en son for intérieur, un « émissaire » lui suggérer une attitude. Ces anciens maîtres puissants, les « négus » de don Juan Matus, représentait avant toute chose une énergie, une conscience éveillée, avec juste ce qu’il fallait de sobriété pour sembler opérante. Mais l’indien yaqui relativisait leur apport dans la connaissance des êtres organiques. « Le problème avec l’émissaire de rêver est qu’il ne peut dire que ce que le sorcier sait déjà ou est supposé savoir ». Autant dire que les cours particuliers à domicile avaient tendance à avoir un ascendant sur les rêveur novice, tandis que la recette qui consistait à occuper le terrain en permanence par du remplissage laconique était usé parmi l’élite.

C’est somme toute, une force d’énergie très particulière, sans grande personnalité. Mais à qui il ne fallait pas accorder la qualité du devin (apte à deviner d’avance) relative à nos problèmes existentiels personnels. Cette voix doucereuse, faussement amicale et désintéressée, qui s’exprimait par mot isolé ou groupe de mots voilés, n’était pas non plus sexuée. Don Juan expliqua à son élève que sont les mentalités des sorciers qui avaient fait de cette forme de conscience énergétique étrangère une force toute personnelle, en lui accordant un statut d’intime.

La raison technique invoquée par le sorcier yaqui tenait et tient toujours, du point d’assemblage. Ladite voix du pseudo messager de “Rêver” est la conséquence du déplacement et de l’établissement du point d’assemblage sur un autre champ de perception. Pour ne pas avoir ce genre de désagrément émotionnel, il suffit encore aujourd’hui de rester détaché émotionnellement afin de se concentrer sur son attention seconde de rêver. « L’émissaire reste ce qu’il est : une force impersonnelle qui agit sur nous à cause de la fixation du point d’assemblage ». C’est une réponse à l’énergie déployée quand le rêveur passe de la seconde porte de “Rêver”. Voilà une énergie exotique qui ne peut savoir et dire que ce qu’elle apprend de nous. L’énergie de l’Univers, immensité de conscience et de cohérence, faite de filaments de lumière, ne fait que révéler ce que le rêveur a déjà appris. C’est une résonance désagréable, parfois, des affections intimes.

 

En ce qui concerne le mystère de notre monde, Carlos en découvrait plus qu’il n’aurait jamais demandé. L’homme finit, à force de travail sur lui, à rendre la voix impersonnelle à sa véritable fonction d’incidence énergétique. Sans lien étroit avec ses besoins. « Je n’ai trouvé aucun intérêt à devoir devenir leur élève […] Leur prix est bien trop élevé », lui confie, un jour, son benefactor. Il voyait cet attachement à la voix comme une perte de liberté de penser par soi-même, de choisir seul et d’évoluer avec l’aléa supposé. Notre énergie est le sel de notre vie. Inutile de vouer un culte d’amitié avec une substance noirâtre, ni de pactiser pour une inconscience et une subconscience mises à mal. Ce fut l’erreur fatale que les sorciers précolombiens firent. Ils firent de leur « émissaire de rêver », l’entité la plus efficace pour progresser rapidement. Ces gens hallucinés rêvaient de s’établir dans le monde des êtres élémentaires. Ils y convoitaient les savoir-faire, les connaissances et les pouvoirs, d’où leur attitude despotique, antisocial, avec leurs contemporains. Ce qui les perdit.

 

Leurs savoirs étaient certes exceptionnels dans leur capacité énergétique de mémoriser et d’actualiser plusieurs centaines de positions différentes du pôle de connexions avec cette vision grand angle du monde. Ce qui ne subsiste d’ailleurs de leurs efforts à s’immiscer dans la perception globale des deux hémisphères cérébraux, ne restituent que l’art de rêver et un autre art, de « traquer ». « L’art de rêver concerne le déplacement du point d’assemblage », déclarait don Juan. Il disait notamment que « l’art de traquer » s’apparentait à l’art d’immobiliser le point d’assemblage où qu’il fût déplacer. Ce qui voulait dire : gagner en cohésion et en conscience. C’est ce qui se passait quand la voix de l’émissaire s’imposait. Elle pouvait être aussi le résultat de l’acquis d’une conscience qui prend de la cohésion. « L’attention de rêver, le corps d’énergie, la seconde attention, la relation avec les êtres inorganiques […] sont les sous-produits de la fixation d’assemblage ».

Pendant le sommeil réparateur du corps, le rêveur, qui n’est autre qu’une conscience absorbée, reçoit les énergies de l’univers. Elles se déplacent en l’enveloppe charnelle comme on le sait, en traversant le corps d’énergie et deviennent cohérentes par le truchement de cette conscience préoccupée que l’on a du monde qui nous entoure. Une perception lucide émigrant dans l’endormissement ou dans la phase du sommeil paradoxal, permet au rêveur de garder de la cohérence de perception. Ce qui est vu, entendu, ressenti est compris, parce qu’en tous points semblables à la période d’activité. La focalisation de la conscience éveillée sur un scénario, un défilement spectaculaire, du songe amène le dormeur rêveur, si lucide, à entretenir un rapport interactif intelligible avec son inconscient, et peut-être aussi avec son subconscient.

 

Quand l’apprenti sorcier devient maître de ses émois passagers, diurnes et nocturnes, qui sont des reflets d’un chemin de vie à l’échelle humaine, il sait garder la seconde attention en période d’activité. On osera dire que l’hémisphère droit, ou gauche, a ponté l’autre hémisphère pour générer un flux sanguin renforcé, de façon permanent et irréversible. Sa perception globale du monde, s’en trouve modifiée, sans doute améliorée. Aux dires de l’indien yaqui et de l’écrivain de The Art of Dreaming, l’autre partie de l’univers qui nous fait défaut au niveau de nos sens, se manifesteraient tout de même. L’énergie atomique du vivant est visible pour les êtres organiques, tout comme les sorciers d’antan découvrirent qu’elle l’était pour les êtres inorganiques.

Don Juan Matus n’a guère confiance dans les êtres inorganiques parce qu’ils sont malicieux et qu’ils trompent tout nouveau venu pour lui échanger quelques brides d’informations glanées en son alter ego contre de l’énergie nouvelle. C’est pour l’indien yaqui une bonne raison pour se passer de leur service et de mettre fin à une peur hérité des sorciers de l’antiquité. Quand les sorciers de la nouvelle génération comprirent leurs trucs, ils se sentirent libres. Ils étaient libérés d’une tutelle envahissante. De même, pendant le sommeil du corps, la conscience de ces individus réalisèrent ce qu’était une « position de rêver ». Au cours du sommeil, le point d’assemblage, fait de millions de filaments luminescents, peut être déplacé et arrêter en une nouvelle position. Rêver change de décor, mais également de forme et force d’énergie. Par contre, la cohérence est à rétablir en rassemblant sa conscience énergétique. Lorsque nous focalisons notre perception, notre attention, sur les éléments qui composent tout rêve, nous exerçons une force sur le point d’assemblage. Traquer, c’est cet exercice libre, ou exercé, sur la conscience et la cohésion des énergies. Il semble évident au mentor de Carlos que : changer de point s’assemblage, est n’est pas le déplacer. « Les changements du point d’assemblage conduisent à d’infimes déplacements, pratiquement imperceptibles ».

La gloire des sorciers fut d’avoir su maîtriser leur pôle de connexions énergétiques à l’univers, pour qu’il ne leur échappe pas comme avant, alors qu’ils ignoraient jusqu’à son existence. Ceci autorise à le guider, à le mouvoir, et de le fixer sans jamais perdre de la compréhension de ce qui est perçu. La cohésion de l’univers et de sa visée grand angle (+ de 45° de focale) et à ce prix d’expérimentation et d’expériences multiples. La cohésion est fortement marquée dans la netteté des détails, la clarté des événements oniriques et la véritable compréhension de ce qui a été vécu. Une meilleure mémoire événementielle en témoigne. Ce sont là les leçons des sorciers rêveurs d’autrefois.

 

Dans une analyse que fait Carlos d’une vision au milieu d’un rêve, il emploie un néologisme qui contraste avec le vocabulaire de son mentor yaqui. Il avait rêvé se trouver dans un arbre, pris au piège du feuillage avec lequel il eut une étrange expérience « multi sensorielle » qui le dérouta. Il voyait l’énergie de l’arbre puis, des branches puis, des feuilles. Chacune d’elles l’attirait comme s’il avait été fait prisonnier dans un filet de rayonnements lumineux énergétiques, de tourbillons d’énergie pure. Il utilise en conséquence l’idée d’avoir été retenu par l’attraction du magnétisme végétal. Le sorcier rêveur se sentit « mesmérisé » par l’attraction magnétisme de l’arbre jusqu’à sentir son énergie décroître alors qu’il manipulait des feuilles balancées par le vent. Le médecin allemand Franz Mesmer développa au 19e siècle une théorie du magnétisme animal, appelé le mesmérisme.

Il se souvint que, dans notre monde de tous les jours, « la raison n’est qu’un dérivé de la position habituelle du point d’assemblage », lui avait annoncé son benefactor. En la matière, il n’y aurait pas d’esprit qui soit sain par rapport à un autre qui ne le serait pas… mais un esprit dont la seule conscience peut rendre cohérent et tolérable une expérience. Ce qui se passe compte beaucoup plus que de dire : « ce qui s’est passé à bien eu lieu », après introspection rétroactive. Notre esprit cartésien façonné de religion et de civisme est le résultat de l’immobilité du pôle de connexions. Il en est de même chez tous les Homo sapiens. L’habitude, professe-on chez les sorciers rêveurs, n’est pas un cadre formel et fermé qui autoriserait de poser des hypothèses du vaste Univers. C’est ainsi que nous avons si souvent confiance en nous, confie l’indien yaqui. Toutes les analogies de situations garantissant notre cheminement et une certaine foi dans les événements. Certainement, il faut une vie pour faire le tour des affectations et des aléas d’une existence. Nos anciens nous diront bien que c’est toujours pareil, ça ne valait pas le bon temps.

La planète bleue pourrait tout aussi bien être vue comme une école parmi d’autres situées dans d’autres galaxies, dans d’autres systèmes solaires. « Ce que rêver fait est de nous accorder […] la fluidité d’entrer dans d’autres mondes », répète sa leçon le vieil homme de Sonora. On ne peut prévenir et guérir qu’en fonction des indices que nous possédons. C’est l’expérience de cette dimension, de cette petite planète bleue.

 

Ce sont les représentants inorganiques qui servent de guide dans ce système de mondes imbriqués les uns dans les autres. Si ceux-là sont perceptibles aux sorciers rêveurs, c’est aussi parce que les sorciers utilisaient des plantes aux toxines redoutables qui faisaient s’accélérer les processus mentaux de vision, de sensation, de perception. Sans ces plantes hallucinogènes, le développement des apprentis sorciers n’auraient peut-être pas été aussi rapide. Don Juan tenait à « faire ingérer des potions de plantes hallucinogènes » pour “performer” le mental et le métabolisme de son élève pour lui faire accéder à des connaissances soumises à une fluidité du point d’assemblage. Le sorcier indien escomptait sur une secousse libératrice de son pôle d’énergie. Pour le vieil homme, la motivation des sorciers allait de pair avec leur volonté de connaître. Ils l’avaient nommé quelque chose comme « pure compréhension ». Au-delà des mots et des représentations, il y avait encore le terrain de l’expérimentation, en connexion directe avec l’état énergétique, sinon physiologique du commencement. Notre modernité devrait nous choisir un passage plus sûr et moins à risque.

Don Juan Matus préfère, pour sa part, employer un autre langage. « La romance avec la connaissance », semblait mieux lui convenir. Ceci afin de garder toute la tranquillité d’esprit du lecteur pour saisir un événement de sa propre perception. La vraie réussite de notre espèce de grands singes, poursuit-il, est de « bloquer notre point d’assemblage à sa position habituelle ». Seulement, c’est notre éducation ancestrale qui a oublié les autres positions inhabituelles. Ces mondes, en dehors de notre actuelle perception équilibrée, fruit des connexions à d’autres réseaux d’énergie universelle, existent dans le regroupement de la conscience et de la cohésion à chaque positionnement du point d’assemblage.

La perfection de cette nouvelle éducation réside dans l’état continu du point d’assemblage, ce qui rend possible de percevoir de façon cohérente. « Notre expérience serait alors un kaléidoscope d’images dissociées », à la grande différence d’avoir rêvé plutôt que de faire un rêve, pendant l’acte conscient de rêver. Rêver, déplacé sur point d’assemblage, et traquer, immobiliser ce point d’assemblage est toute la difficulté de la seconde attention. Les sorciers précolombiens usèrent à l’envi leur point de connexion énergétique, à la surface et en dehors de leur forme d’énergie ovoïde. Ces exercices de fixation faisaient conserver leur faculté de cohérence. « La faculté de cohérence des sorciers d’antan était telle qu’elle leur permettait de devenir physiquement et perceptiblement tout ce que dictait la position spécifique de leur point d’assemblage » : cette vérité absolue ne faisait foi qu’à l’époque reculée de l’antiquité.

 

Quand ils agissaient ainsi, ils cherchaient à libérer leur perception. Parce qu’ils percevaient le monde par son énergie, ils comprirent que ce qu’ils voyaient et ressentaient était un monde inconnue, auquel ils étaient liés énergétiquement et pouvaient être bloqués intégralement. Il leur paraissait être une même réalité que la réalité de leur monde habituel. Ces pionniers dans la science du psychisme avaient toutes les raisons de croire en leur pouvoir, et de la foi dans leur mode de vie scolastique. Chacun tirait des enseignements des expériences des autres.

L’indien mexicain pensait sincèrement que « l’usage des techniques de rêver dans le monde de tous les jours fut un des procédés les plus efficaces des sorciers d’antan ». Il en fut l’un des élèves et le gardien actuel de la lignée survivante. « Au lieu d’avoir une perception de l’énergie totalement chaotique, [l’usage des techniques de rêver] la rendait directement semblable à un rêve, jusqu’au moment où quelque chose réorganisait la perception et le sorcier se trouvait face à un monde nouveau ».

Il est tout de même contestable de prendre des drogues pour faire ce genre de voyage mental en toute “conscience”. Le meilleur des protocoles expérimentaux requerrait une garantie plus exigeante de santé publique et d’hygiène mentale personnelle. Un champignon vénéneux, une herbe nocive ne peuvent que déranger l’organisme et réduire les perceptions embrouillées dues à un conglomérat de sensations physico-chimiques et d’images hypnotiques.

Pour que de tels mondes nouveaux existent pour nous également, même si ils étaient proposés « enveloppés l’un dans l’autre, comme les couches d’un oignon ». Notre monde peut bien résider dans « l’une de ces couches », notre attitude demeurerait la vigilance. Si les sorciers de l’ancienne école avaient choisi les changements du point d’assemblage au lieu du déplacement de celui-ci, ils le pratiquaient parce qu’ils se retrouvaient, à chaque fois, face à un phénomène prévisible. Ce sont eux qui avaient consacré le plus de temps à mettre l’acte de rêver en forme théorique et en usage. Différemment, les sorciers de la nouvelle école avaient opté pour les mouvements du point d’assemblage car ils s’étaient orientés vers un inconnu non humain quand leurs aînés recherchaient un inconnu humain, plus rassurant. L’inconnu semblait plus proche de nos réalités et donc de notre compréhension.

 

Ce que les sorciers d’aujourd’hui entendent par l’expression : « l’inconnu non humain », a une résonance très force pour eux. Ils cherchaient avant tout à se libérer de leur propre condition d’humain, dans les sens anatomique, physiologique, métabolique. Ils ne voulaient plus être assujettis à cette forme et cette force énergétiques. Ils tentaient de sortir d’un cadre de vie pour en atteindre un autre, comme le promet le vaste univers protéiforme. Le vieil indien yaqui disait qu’il devait s’agir « de mondes inconcevables qui sont au-delà de la portée de l’homme, mais que nous pouvons néanmoins percevoir », lors d’incursions fantomatiques dans des structures et des ossatures énergétiques dissemblables. Le sorcier Carlos le prend comme un chemin écarté des règles traditionnelles de l’acte de rêver. Bien qu’ils apparaissent comme des mondes visitables, sinon habitables, « ce sont des mondes complets », avec leurs règnes minérales, végétales et animales comme se présente à nous le structure de notre système solaire, dans cette galaxie. Cela garantit des voyages sur les ondes du temps et dans les rayonnements de l’espace, à n’en plus finir. Imaginez des univers avec leur infinité de mondes animés de vitalité.

Évidemment, ces royaumes de savoirs et de pouvoirs se situaient en d’autres pôles de connexions énergétiques, sous d’autres agencements de filaments de lumières, dans le tréfonds ou aux confins de plans vibratoires existentielles. C’est le mode de rêver inédit des sorciers du Mexique et de ceux qui tenteraient d’user d’herbes empoisonnées pour pratiquer l’art de rêver. Était-ce le vieil rêve d’Icare, le fils de Dédale : « la liberté de percevoir des mondes au-delà de l’imagination ».

Pas plus qu’ailleurs, ce rêve fou d’explorer les songes de façon artisanale est une gageure. C’est somme toute une belle invitation à l’aventure que d’exercer ses volontés sur ses climats seconds, une histoire entre l’être épris de liberté et un champ opératoire de sensations infinis. L’auteur de cet écrit publié en 1993, rejoignit assez rapidement son maître sur le terrain de l’expérimentation et du concept principal qui sonne tel un poème animiste, shintoïste, taoïste, bouddhiste ou mystique.

 

« Chercher la liberté est la seule force motivante que je connaisse.

« La liberté de planer dans cette infinité là-bas.

« La liberté de se dissoudre ; de s’envoler ;

« D’être comme la flamme d’une bougie,

« Qui, bien qu’ayant à faire face à la lumière de milliards d’étoiles,

« Reste intacte, car elle n’a jamais prétendu être plus que ce qu’elle est :

« Une simple bougie »

 

Les indiens sorciers précolombiens du continent Méso-Américain ont-ils préservé quelque chose d’identique qu’ils continueraient à partager à leurs semblables ?

   

 

5 : Le monde des êtres inorganiques

 

La première question qui s’imposait à la lecture des précédents chapitres qui abordèrent la description des êtres inorganiques aurait été de savoir pourquoi les êtres élémentaires n’ont pas été décrits dans leur forme énergétique et leur point d’ancrage à leur univers. Les descriptions du sorcier Carlos suivirent l’enseignement de ses maîtres. Dans l’univers des êtres inorganiques, des “élémentaux”, « je volais, écrivit-il, dans ce qui me sembla être un tunnel noir tel un insecte sans poids ».

Le monde à part le nôtre était déjà devenu la résidence des sorciers de l’ancien temps. Pour parvenir à ce climat second de perception fortuite, leurs rêves, quand lucides, faisaient suite à une tension intérieure pour tenir leur point d’assemblage et canaliser leur seconde attention sur les éléments et les détails de leur songe éveillé. Ainsi apprit à le faire le sorcier yaqui, mentor de Carlos. Ainsi faisait l’élève.

 

Se sentant propulsé d’une sorte de tuyau sans lueur, le rêveur eut la sensation quasi physique d’une présence matérielle près de lui. Il observa les détails qui se présentaient à sa conscience éveillée et découvrit que « c’était poreux et caverneux ». La texture de la matière légèrement lumineuse était « fibreuse ». Un tissu fibreux qu’il compléta du terme de « rugueux ». L’immense objet qui lui faisait face avait une luminance sombre et elle était de coloration brune. L’endroit était parfaitement silencieux. Le tout paraissait figé. L’homme énergétique estimait que le pouvoir d’attraction de ce qui pouvait être une « gigantesque éponge » lui paraissait réel. Le rêveur avait été amené en ces lieux énigmatiques par l’un des “élémentaux”. L’être inorganique manifestait un « amas de pure énergie », pas plus gros d’un insecte, qu’une « luciole » qui virevoltait autour de lui. Il discernait que cette énergie crépitait, capable d’être au courant de la position du rêveur.

La petite chose énergétique l’avait amené ensuite à se déplacer « au travers d’une lumineuse caverne ». L’intérieur était semblable à l’extérieur, mais l’aspect rugueux n’était pas, ici, dupliqué. La texture de la masse était moins raboteuse, avec des irrégularités d’aspect général dans la substance. Le rêveur s’imaginait être à « l’intérieur d’une ruche », avec ses multitudes de passages de géométrie régulière, qui rayonnaient dans diverses directions. L’intérieur était faiblement éclairé, mais la vision du rêve le restituait sans peine. « Les tunnels me semblaient vivants et conscients », et l’ensemble, chargé d’énergie ténue, émettait le même grésillement que l’élémental.

On l’invita formellement à demeurer dans ce qui était présenté comme un autre être inorganique, plus massif. À cet instant, le rêveur se rendit compte qu’il n’avait plus sa forme organique, mais qu’il était devenu « un amas d’énergie semblable à [son] éclaireur ». C’est de cette façon qu’il présentait son accompagnateur, sous forme de luciole grésillante. « L’éclaireur » lui fit les honneurs de la maison, en lui vantant tous les mérites de son prochain séjour parmi eux.

 

Dans son voyage dans l’inconnu, à figure non humaine, essentiellement énergétique, le rêveur eut de nombreux doutes sur ce qu’il percevait et quant à admettre ou contester une telle “réalité” au songe éveillé. Sa conscience et sa cohérence se réorganisaient lentement, en fonction des informations qui se succédaient et de son aptitude à terminer sa position inconfortable. Lorsqu’il revint de cette première errance onirique, il en parla à son référent. Celui-ci se décida à lui rappeler les règles vitales de bonne conduite d’un rêve dans l’art de rêver. « Pour parfaitement rêver, la première chose à faire est de cesser le dialogue intérieur ». L’émissaire inorganique lui avait presque fait la même réponse en affirmant que « s’endormir à un moment de silence complet assure une parfaite entrée dans rêver […] et cela garantit aussi l’amplification de votre attention de rêver ».

Le sorcier yaqui qui ne cache pas qu’il déteste ces modalités d’échange d’énergie contre de futiles connaissances, ne cessait de prévenir son protégé du risque d’adhérer à des pratiques anciennes, aujourd’hui révolues. La liberté de choisir, d’aller, de se tromper étaient les meilleures assurances d’une connaissance par l’expérience et l’expérimentation, dans le cadre d’une “sorcellerie” corrigée. Cet univers est hostile, lui fit-il la remarque.

 

Dans ses visites suivantes, dans un état second de rêver, le rêveur et traqueur Carlos détailla mieux les parois de « l’éponge inorganique » et lui accorda quelques termes choisis et vraisemblables. Les parois avaient des « protubérances compliquées, un peu comme l’écriture braille ». Dans ce bas monde, habité par des élémentaux d’énergie, il fallait craindre que bon nombre d’êtres, trop curieux et trop vulnérable, aient succombés à ce miroir aux alouettes. Don Juan Matus transmettait des astuces de “percevoir” comme de “voir”. « Fait bien attention à la conscience qui est immobile. Une telle conscience doit rechercher le mouvement ». Le vieil homme pensait sans ambiguïté à la conscience de la seconde attention dans l’acte de rêver. C’était d’autant plus surprenant que les sorciers avaient une conception très ancienne de la notion actuelle d’“hologramme”. « Elle [la conscience] le fait en créant des projections, parfois des projections fantomatiques ». C’était très proche de la théorie quantique de Sitter des années quatre-vingt de notre calendrier.

 

Ainsi donc, il y aurait, par analyse un peu poussée, une strate vibratoire sous forme d’un monde intermédiaire, peuplé dans son essence énergétique de projections holographiques reproduisant des formes d’êtres inorganiques dont la clameur ne pourrait dépasser une certaine octave, c’est-à-dire une amplitude d’oscillation.

Selon les expériences du vieil sorcier rêveur, « les êtres inorganiques se branchent sur les sentiments les plus enfouis des rêveurs, et […] jouent avec. Ils créent des fantômes pour satisfaire ou effrayer les rêveurs ». Dans ce cas, nos rêves seraient-ils de la même matière que ces hologrammes venus d’outre-tombe ?

Cela signifierait-il également que dans le monde des élémentaux, les locataires des lieux auraient des pouvoirs de refléter une certaine réalité cachée du rêveur ? L’incompréhensible identité de ces personnalités sinistres fut délivrée par une confidence du benefactor de Carlos. « Les êtres inorganiques […] étaient de l’énergie ténue projetée au travers des mondes, comme dans un cinéma cosmique ». Ce qui ajoute à la conjecture. Entre deux mondes, les êtres élémentaux seraient des faisceaux de lumières éthérées projetées telles des négatifs en trois dimensions.

 

Essayons de prendre cela aussi sérieusement que possible. Don Juan a déjà évoqué l’univers tel un « oignon » dont les mondes sont les « couches » qui le constituent. Partons de la notion la plus ancienne de la culture occidentale : la culture grecque à qui nous devons le vocable de Cosmos.

Le cosmos serait dépeint tel un oignon composé de couches. Le cosmos est le plus grand de tous les “grand tout”. Chaque couche abrite des mondes, habités ou pas, c’est-à-dire des systèmes solaires dans des galaxies, dans des amas galactiques. Après, nous ne saurions que dire. Sauf, qu’une couche est un univers complet, à x dimension.

De la sorte, chaque univers serait séparé de son voisin par une fine membrane. Celle-ci pouvait être une protection, à la fois mécanique, quantique, thermodynamique et énergétique. Ce serait bien évidemment nécessaire pour préserver l’espace et le facteur temps du lieu.

Tous les univers sont des puissances énergétiques dont les rayonnements lumineux partent dans toutes les directions.

Ce sont ces faisceaux de lumière qui se combinent en mondes, peut-être par interférences. C’est le principe même de la fabrication d’un hologramme par heurts de deux ou plusieurs faisceaux d’énergie.

Si une couche d’oignon est un plan d’existence lié à une vibration fossile, toutes les couches de l’oignon n’ont pas forcément la même couleur, la même texture, la même brillance, la même sensibilité, la même attraction. Ce qui expliquerait que l’univers des êtres inorganiques soit si différent du nôtre.

En considérant que leur monde est séparé du nôtre par une fine membrane énergétique, leur unique mode de communication serait la projection de silhouettes d’eux, en, au moins, trois dimensions, pour être capté.

 

De ce fait, naîtrait sans doute un instinct de propriété, et une attitude d’auto-défense spontanée, créant la confusion chez l’hôte arrivant. D’autant que si l’énergie se fait aussi rare dans ce monde qu’on le dit, telle la denrée la plus précieuse du Cosmos, une course poursuite pourrait s’en suivre, pour s’en approprier. Peut-être est-ce là le lot de toutes les structures universelles du Cosmos. Les sorciers rêveurs « partagent l’opinion que l’univers est prédateur ». Par conséquent, tout rêveur, à l’état de conscience éveillée, ne devrait pas oublier dans son activité de “Rêver” cette injonction de conscience vigilante. Dans le cosmos, immensité de mondes univers, à multiples dimensions, à diverses fréquences radioactivités dans leur radiodiffusion, la science de l’astrophysique a bien su démontrer que le principal mouvement de l’univers est l’expansion tous azimuts. La lumière, nous disaient les sorciers de l’antiquité, était en état de “conscience”. Si elle est « contrainte de s’accroître […] sa seule façon de le faire est la lutte, les confrontations à la vie ou à la mort ». La place vacante dépendra de celle laissée par la voisine.

Des poètes optimistes écrivirent que dans l’univers, rien ne se perd, tout se transforme. Mais une conscience qui a la prescience de sa forme et de sa force pourrait montrer des réticences à changer de forme et de force au profil d’une autre, aux dépens de la sienne. Don Juan répètera maintes fois les leçons qu’il a apprises et dont il retient l’essentielle en ces termes : « Les rêveurs doivent en permanence être sur leurs gardes. Dès l’instant où ils s’aventurent dans cet univers prédateur, ils deviennent une proie potentielle ». L’énergie est la manne des mondes.

On saisit mieux toute la portée du mot “économie”.

 

Il est d’autant plus déroutant que les sorciers rêveurs pensèrent l’univers telle une énergie au féminin, dont l’énergie au masculin était, selon eux, une émanation plus inhabituelle. Ce qui faisait dire à don Juan : « La rareté des mâles est peut-être sur notre planète, la cause de la domination injustifiée des hommes ». Il était parfaitement irrationnel de situer dans une énergie une essence qui s’associerait à la féminité, en s’approchant peu de la masculinité. Carlos Castañeda nous en fit pourtant la relation fidèle.

Le lecteur a été longuement édifié sur l’apparence de l’espèce humaine, dotée d’un organisme, et dont la spécificité était d’être une source d’énergie dont la forme et la force dépendraient de la position du pôle de connexion des faisceaux de lumières brillantes, diffusion d’une conscience cosmique. L’énergie changerait à chaque mouvement ou déplacement du point d’assemblage puisque l’énergie de l’univers passerait de façon concentrée dans la petite sphère dorsale sous l’enveloppe lumineuse ovoïde.

 

6 : Le monde des ombres

 

Si les termes changent, ils continuent à définir les mêmes objets. Ainsi, les « ombres » sont-ils les êtres inorganiques qui ressemblaient à leur nature élémentaire, tels des “élémentaux”. Le sorcier yaqui prévenait régulièrement son élève pour qu’il fasse attention aux objectifs des êtres inorganiques. Pour ce faire, il revenait quelquefois sur une explication qu’il avait déjà fournie et commentée. Au-delà de l’acte de porter son attention seconde sur la trame d’un rêve, et sur son énergie, il y avait un autre acte moins connu des novices qui faisait jour à la pratique. C’était « l’acte de suivre un éclaireur ». C’était toujours un être inorganique qui faisait semblant d’être dévoué et au service exclusif des rêveurs sorciers.

Comme « la seconde porte s’ouvre […] en leur donnant accès à l’univers qui existe au-delà », la vigilance était d’importance parce que l’univers était prédateur et que les élémentaux étaient la seule forme de relation non humaine avec laquelle il fallait compter. Un tel univers restait potentiellement accessible, mais le commun des mortels n’y avait pas encore fait son passage en toute conscience, car il manquait singulièrement de maîtrise et d’énergie. Et un certain courage était une des expressions de cette énergie. « La seconde porte de rêver est […] l’entrée dans le monde des êtres inorganiques, et rêver est la clé qui ouvre cette porte », réitérait l’indien yaqui. Il est impossible de ne pas avoir affaire avec un être inorganique, qu’il se présentait sous les motifs d’émissaire ou d’éclaireur. Ces titres solennels ne changeaient rien à l’affaire.

« Rêver, invention des sorciers d’antan, devait être pratiqué selon leurs règles », disaient les anciens. Ces prescriptions mises en place par des hommes qui découvraient le vaste univers, sous toutes ses formes visibles et invisibles, avaient finalement fait la découverte physiologique et neurologique de quelques codes normatifs se déclinant comme suit :

 

- C’était l’action de changer de rêve dans l’acte de rêver qui faisait se manifester les éclaireurs inorganiques, maîtres des lieux ;

- Les éclaireurs menaient les nouveaux venus où ils voulaient. Mais c’était toujours un véritable univers par ses propres lois universelles ;

- Une fois dans un tel monde, par l’acte de rêver, et en s’y éternisant, les nouveaux venus apprenaient, à leurs dépens, de tels conventions interactives et cosmiques.

 

La pratique de rêver a toujours été parasitée par l’investissement des êtres inorganiques à la recherche d’énergie. Les sorciers rêveurs qui croyaient au « leurre des êtres inorganiques » finissaient par ne plus ressortir de cet univers pour rejoindre le leur. Les maîtres rêveurs de nos jours, s’était fait un « défi […] de prendre dans ce monde seulement ce dont [ils avaient] besoin ».

Cet univers parallèle, intermédiaire au nôtre (sous la forme d’une fine membrane de protection), était doté de sa propre puissance dynamique énergétique, qui se concevait comme une agression. C’était une strate vibratoire, un plan d’existence, où les facultés des rêveurs étaient soumises à rude épreuve, telle une dramatique perte de cohérence de perception. D’aucuns affirmaient que c’était depuis fort longtemps, une sorte de « filtre naturel » pour purifier tout ce qui reste d’altérations mentales dans l’inconscient et dans le subconscient de l’être organique. « Ce terrain d’expérimentation » faisait œuvre de valeur constante pour l’être organique, le débarrassant au passage d’un reste de pensées vaines. Les êtres inorganiques étaient des créatures à part entière dans cet univers. Ils répondaient à leur nature profonde et interagissaient avec les visiteurs selon la perception qu’ils avaient de leur monde et du bienfait de recevoir une visite. Autant dire qu’une intime prudence dans nos pensées s’avérait de rigueur au contact d’élémentaux prompts à renvoyer notre plus inaccessible identité mentale.

L’éclaireur emmena son client à l’éternité, dans le dédale de galeries jusqu’à un endroit insolite où tout « autour de [Carlos] était obscurité ». C’était pourtant ce moment qu’avait choisi l’être inorganique pour le mettre en rapport direct avec le peuple de l’obscurité. Le royaume des ombres étaient peuplé de silhouettes vivantes. « Je distinguais vaguement des formes sombres et mouvantes », écrivait-il.

 

Les êtres élémentaux sont classifiés de par leur combinaison spatiale. Les uns étaient arrondis « comme des boules », d’autres avaient la forme de « cloche » d’animaux, les derniers ressemblaient à des « flammes de bougie » qui ondulaient doucement. Ces élémentaux avaient une taille approximativement de « soixante à quatre-vingt-dix centimètres de diamètre ». La masse des élémentaux donnait à l’endroit une impression de réservoir où des milliers d’êtres de petites sections et de formes simplistes étaient assemblés. Leur couleur était uniforme, brun pour les uns et gris pour les autres. Le sorcier Carlos les prit pour des bêtes monstrueuses.

L’émissaire lui expliqua ce qu’était cette « vision étrange et sophistiquée ». Les êtres étaient animés d’un mouvement péristaltique. Ces contorsions antipathiques créaient chez le rêveur un sentiment profond de mésaise. Celui-ci se sentait tout de même en sécurité parce qu’il avait la possibilité d’évoluer au-dessus la mêlée que l’émissaire lui présenta comme étant « l’unité mobile de notre monde ». Bien que sous la forme d’énergie, chaque individu d’en bas n’avait pas l’énergie disponible pour attraper ou toucher le visiteur. L’émissaire avait la forme d’une cloche pour animal et les éclaireurs étaient « comme des flammes de bougie ».

Un phénomène surprenant se produisit quand le rêveur se rapprocha d’eux pour les voir mieux. Le peu de consistance, ou le fait d’être des projections de lumière impénétrable, eut pour effet que le rêveur passa littéralement à travers d’eux, sans les toucher matériellement. Les êtres inorganiques étaient aussi aériens que des volutes de fumée ombreuse. Le rêveur ressentit à ce contact inopiné une certaine douceur. « Elles étaient impersonnelles, froides et détachées ». Ce fut presque un plaisir pour le visiteur de voir sa sécurité garantie au travers la nature élémentaire de ces créatures sombres.

 

À l’occasion d’une autre visite, le rêveur Carlos apprendra les véritables motifs dissimulés sous l’attitude ponctuelle de l’éclaireur qui avait pris le relais de l’émissaire. « Voici le monde des ombres », lui dit-on aussitôt son arrivé dans ce monde fantasmagorique. L’éclaireur tenait à lui faire savoir que les « ombres » émettaient tout de même une brillance feutrée, discrète. Cette « unité mobile » proclamée tenait à dire que les ombres étaient la luminosité des tunnels de cette espèce d’éponge gigantesque. L’éclaireur continuait sa visite sur le mode des explications fortuites. « Nous sommes une autre sorte d’êtres inorganiques » vivant ici. Trois genres d’êtres élémentaires coexistaient. Il y avait le « tunnel immobile », ce qui apparait comme une « ombre animée ». L’éclaireur s’était présenté comme une autre.

Puis il se tut. Quand le sorcier rêveur lui demanda quelle était la troisième forme d’être inorganique, réponse lui fut faite, en ces termes : « La troisième sorte n’est révélée à nos visiteurs que lorsqu’ils choisissent de rester en notre compagnie ». On peut discerner dans ces propos toute la réserve du vieil indien à l’égard des créatures de l’ombre. Sa connaissance des déboires des sorciers de l’antiquité avait fait de lui un homme sage.

Maintenant, il fallait se sortir du piège dans lequel le rêveur se trouvait. La trop grande confiance en soi avait rendu possible cette venue en ce monde obscur et peu hospitalier. Ensuite, sur le mode des échanges mondains, un débat eut lieu entre le rêveur et l’éclaireur sur la notion à accorder au mensonge. L’un affirmait que, dans son monde, « seule existe l’intention ; derrière le mensonge il n’y a pas d’intention ». Le rêveur Carlos prétendait à son tour que « derrière un mensonge, il y a une intention ». Ce à quoi l’être inorganique apporta une précision notable : « Derrière le mensonge il y a un but, mais que ce but n’est pas une intention ». Cet échange académique avait tout l’air de permettre de gagner du temps sur l’être inorganique et de trouver un moyen de confondre l’éclaireur caché derrière le mensonge de son assistance.

Tant que le visiteur se tint à l’écart de ce qu’il voyait comme « un troupeau d’animaux étranges et enfantins », il était relativement à l’abri d’une offensive sur son potentiel énergétique. Son égo le perdit à l’invite de prendre part à un exercice facile. Il s’agissait de se mêler au troupeau et d’user de sa force pour les tirer ou les pousser afin de les déplacer un peu. Mais l’astuce consistait à épuiser le visiteur en venant de plus en plus nombreux autour de lui, faire le coup de force. Dès que le rêveur pensa qu’ils étaient venus de toutes parts pour participer et se servir de son énergie, les ombres disparurent d’un coup. L’éclaireur expliqua que sa chaleur était réconfortante et que les ombres qui en avaient besoin venaient « ressentir » son énergie.

La conscience du sorcier rêveur était si largement réceptive qu’il entendait, ressentait et pensait comme en dehors d’un rêve. Ce qui lui fit écrire plus tard : « En prenant pour référence la clarté de ma perception, j’en conclus que j’étais dans un monde réel ». Cet univers membraneux, intercalé entre deux autres univers ne pouvaient être que vraisemblable, si on en jugeait pas la démonstration à partir d’un Cosmos en forme d’oignon. À la différence près que le monde des êtres inorganiques n’avait que très peu de consistance, ou de substance.

Ce monde anormal pouvait apparaître et disparaître d’un instant à l’autre. L’éclaireur fit une remarque très importante pour la compréhension du système énergétique qui faisait loi dans ces strates de lumière consciente. L’éclaireur remarqua que « pour les êtres inorganiques, percevoir [un] monde commençait et s’achevait de la même manière, en un clin d’œil. Mais lorsqu’ils percevaient le leur ce n’était pas le cas, parce qu’il existait un grand nombre d’entre eux le maintenant en place par leur intention ». Don Juan Matus avait fait cette proposition concernant la fixation de l’intention sur un point d’assemblage précis, ce qui rendait l’instant du monde cohérent.

C’était l’acte de conscience énergétique qui organisait les faisceaux de lumière consciente à travers le canal de la petite sphère brillante dans le dos de l’être organique. Le rêveur Carlos se réveilla, disait-il, en ayant l’impression de refaire surface. Il était bien décidé à continuer et à en savoir davantage sur ce royaume des ombres animées.

 

Le monde des élémentaux était forcément surprenant à plus d’un titre. On jurerait une pouponnière de formes d’énergie prêtes à l’emploi. C’était ce que fit entrevoir, à son visiteur, l’éclaireur. « Une relation interactive et coordonnée existait entre les ombres mobiles et les tunnels stationnaires », se voulait-il perspicace, À l’entendre, les êtres inorganiques ne sauraient survivre hors cette combinaison de propagation énergétique. L’éclaireur se montrait fier de ses connaissances et intarissable au sujet de son univers. Il semblait content d’appartenir à ce monde. Il n’hésitait d’ailleurs pas à se servir de l’énergie de son visiteur pour lui faire faire l’expérience d’ « une relation de cette nature », qui se révélait être plus que de l’adhésion empathique, mais rien moins « que d’être dépendant », de l’énergie livrée au compte-goutte.

Les élémentaux ne seraient-ils pas otages de leur forme et de leur faible énergie ?

 

Quoi qu’il en soit, l’éclaireur montrait au rêveur lucide ce petit plus que dépendant. « J’étais, se souvint-il, à l’intérieur de ce que je peux décrire comme le tissu même du tunnel. Je vis alors des protubérances, telles des glandes assemblées grotesquement, qui émettaient une lumière opaque ». Le rêveur sorcier était au cœur du système de procréation d’unités de vie, dans un monde qu’on aurait pu croire de matière densifiée pesante. À deux dimensions, tout au plus. Les protubérances étaient ces caractères braille qu’il décrivit à sa première introduction dans l’« éponge gigantesque ». Ces monceaux d’énergie avaient une dimension étonnante : de un mètre à un mètre vingt de diamètre.

Le rêveur s’interrogeait sur la signification de tout ceci. L’éclaireur s’empressait d’y apporter une précision. « L’énergie de ce monde est une sorte différente d’énergie ; ses caractéristiques ne coïncident pas avec celles de l’énergie de votre monde, mais ce monde est aussi réel que le vôtre ». Le mot “monde” a valeur de monde habité, sans aucun doute. Il arrive souvent d’hésiter à traduire par univers tridimensionnel.

Don Juan avait déjà prévenu son élève que notre monde d’univers était relié à quelques autres et qu’il était possible de les visiter, de les parcourir, d’y apprendre, en utilisant de l’espace de temps qu’on appelle : Rêver. De fait, l’éclaireur le disait pareillement : « Rêver est le véhicule qui mène les rêveurs dans ce monde », à propos du sien. D’autant que les sorciers détenaient ce savoir des êtres inorganiques qui le leur avait suggéré par convoitise de leur haute énergie et à la découverte de leur grande crédulité.  

L’éclaireur expliqua au rêveur Carlos que les proéminences sur les murs des galeries étaient des êtres inorganiques. Il les appelait à l’occasion « des êtres d’ombre ». Il en était un, lui aussi. Ces élémentaux sombres se déplaçaient dans ces tunnels, en adhérant à la paroi, pour vivre plaqué à l’énergie diffuse sur les surfaces.

C’était une sorte de relation pré-organique qui donnait la forme élémentaire et la force première énergétique à des objets substantiels, peu chargés en puissance dynamique. Ces éléments vivaient en relation étroite tout à fait indispensable à leur survie, avec le corps corpusculaire de l’unité immobile, c’est-à-dire de l’éponge gigantesque qui les générait.

 

Plus le rêveur passait de temps de rêve en ces lieux fantasmagoriques, plus sa « vision du monde des ombres devint […] plus vraie que la vie ». Pour lui, le monde de tous les jours, faisait naître pareillement des « pensées ordonnées », des « impulsions sensorielles auditives et visuelles ordonnées », de « réponses ordonnées » que cette expérience impensable, pour aussi longtemps qu’elle perdura, à l’invite de l’éclaireur du monde des êtres inorganiques.

Son mentor, qui recevait ses visites aussi, s’inquiétait pour lui. Celui-ci lui conseillait de s’extraire de la tutelle possessive de l’être inorganique. « Je te recommande de ne fixer ton regard sur rien », dans le but explicite d’échapper au sort des sorciers d’antan. Ce sont eux qui regardaient fixement selon la méthode qu’ils entendaient utiliser. Les sorciers d’aujourd’hui avaient réformé ces techniques de l’acte de rêver. Ils n’y trouvaient aucun intérêt, sinon la perte de leur liberté. Cette technique se résumait à regarder fixement les objets et les détails pour y trouver l’énergie des mondes réelles. Mais les sorciers pensaient qu’elle « m’amène rien qui puisse accroître [leur] sobriété et [leur] aptitude à rechercher la liberté », avant toute chose précieuse. Le rêveur Carlos sentait bien que son benefactor voyait juste.

L’éclaireur le traquait partout où il se trouvait, lui parlant même à voix basse dans l’oreille de temps en temps. Il lui proposait un univers où il n’y avait même pas besoin de respirer. « Avec voir et entendre, vous pouvez faire l’expérience de toutes choses », convia-t-il.

 

Dans l’acte de rêver, il demeurait pourtant une connexion énergétique entre le moi rêvant et le corps physique, endormi quelque part dans notre monde terrestre organisé. Cette liaison était vitale car elle servait de pont énergétique d’un côté comme de l’autre. Imaginez un pont établi entre l’hémisphère droit et l’hémisphère gauche, afin de donner libre cours au mental dans d’autres aires de récréations physiologiques et neurologiques. Un voyage intérieur dans les méninges, le cortex cérébral et les canons ioniques.

Cette discrète association est le réceptacle de bien des perceptions sensorielles du moi rêvant. Car celui-là canalise aussi les perceptions sensorielles du corps physique. Lors de son endormissement, le corps est soumis à des contraintes physiologiques internes et externes, par exemple, l’attraction terrestre, la température ambiante, l’humidité de l’air, le rythme cardiaque, l’amplitude respiratoire, le poids des vêtements, le passage de l’air, les bruits, les sons, et d’autres choses encore.

Voilà de quoi inspirer un événement onirique à l’insu du moi rêvant, en générant une source de réelles perceptions, situées en amont du peuple des ombres animées.

 

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23 août 2012 4 23 /08 /août /2012 08:36

ou

 

« Romance avec la connaissance »

 

Carlos Castañeda , The Art of Dreaming. Editor: New York, NY: Harper Collins Pub. 1993. 2-266-06632-3

 

L'art de RêverContenu du volume anglais :

 

Author's note (p.vii)

Sorcerers of antiquity: an introduction (p.1)

The first gate of dreaming (p.20)

The second gate of dreaming (p.35)

The fixation of the assemblage point (p.57)

The world of inorganic beings (p.82)

The shadow's world (p.106)

The blue scout (p.128)

The third gate of dreaming (p.141)

The new area of exploration (p.166)

Stalking the stalkers (p.183)

The tenant (p.199)

The woman in the church (p.220)

Flying on the wings of intent (p.241)

 

 

Au cours des années soixante-dix, un auteur américain : Carlos César Salvador Castañeda, né à Cajamarca, au Pérou,  avait rédigé et proposé à la publication toute une série de livres relatant son apprentissage auprès d’un sorcier du Mexique : don Juan Matus.

 

 

Visiblement, ce nom du mexicain, à consonance hispanique, ne dévoilait en rien son identité naturelle d’indien Yaqui.

 

À l’époque, en 1959, le jeune auteur est étudiant en anthropologie à l'Université de Californie à Los Angeles (à l’U.C.L.A.). Il publiera dès 1968 son mémoire : The Teachings of Don Juan. A Yaqui Way of Knowledge.

Dans ce document, il relate sa rencontre avec un certain don Juan, un sorcier yaqui, au tout début des années soixante.

Une monographie traduite de l’original sort en France, en 1972, sous le titre français : L'Herbe du diable et la petite fumée.

Carlos Castañeda obtiendra son doctorat (Ph. D) en anthropologie en 1973 sur la base de cet ouvrage.

 

Note de l’auteur

 

Dans la geste de Castaneda, la note aux lecteurs nous fait savoir que l’auteur a fréquenté, au Mexique, un indien présenté sous les traits d’un « sorcier » de l’ethnie des Yaquis, auprès duquel il a fait son apprentissage de la culture et des rites de « sorcellerie ». Pour son tuteur, la sorcellerie comprenait, en autres connaissances transmises oralement depuis l’antiquité, la disposition de rendre tangible et acceptable la nature immanente de dame Nature. Il en allait de même pour comprendre l’univers où nous sommes par la perception, afin de le saisir dans toute son ampleur, et de la modéliser un tant soit peu, mentalement, avec des mots de tous les jours.

Le novice Castañeda s’attache, dans cet écrit, à ne pas se méprendre par confusion avec un terme, plus connu des anthropologues et des ethnologues : le shaman. Dans notre vingtième siècle, le pratiquant du chamanisme, nous disait Mircea Eliade, adhère à un « système de croyance propre », selon qu’on regroupe les peuples et ethnies d’Amérique du Nord, d’Asie du Nord, d’Océanie ou de Russie septentrionale de l’Est. Ces peuplades nomades font état d’un monde invisible où des forces bonnes ou mauvaises nous entourent, agissent sur nous à notre insu. Celui ou celle qui se fait vocation de pratiquer les rites consacrés au chamanisme s’attirent la bienveillance ou les foudres de forces du monde surnaturel.

Le tuteur de l’auteur, dénommé pour la circonstance : don Juan Matus, ne fait pas mention du surnaturel pour définir ce royaume, invisible aux communs des mortels. Le mentor de l’apprenti sorcier l’avait baptisé lui-même, de cette étrange façon : « la seconde attention ». Il se voulait être un intermédiaire entre deux mondes frontaliers, en enseignant des méthodes d’initiation qui permettent d’accéder au monde qui ne nous est pas visible.

 

La plus difficile de ces leçons était la pratique de rêver. L’indien Yaqui le considérait comme un art, à part entière, qui requérait beaucoup d’énergie. Celui-ci soutenait que notre monde d’ici-bas ne faisait qu’un avec une quantité infinis d’autres mondes, les uns empilés sur les autres. Ceux ou celles, aspirants ou sorciers rêveurs qui voulaient les visiter devaient d’abord s’en faire une juste idée et de se donner les moyens, en temps et en volonté, pour parvenir à les saisir intellectuellement et énergétiquement.

À ce jour, leur invisibilité reflèterait plutôt notre pauvre condition d’Homo sapiens, de terriens terre à terre. Ce qui rendrait inaccessible ces royaumes fût non pas leur éloignement, mais notre incapacité à se les représenter et, partant de là, de se tourner vers eux. Par notre nature de mortels, notre éducation et nos préoccupations journalières, liées à la nourriture et à notre sécurité, nous en sommes réduits à considérer notre planète comme une chance unique d’exister dans le cosmos. C’est tout notre capacité énergétique mentale mise au service de quelques soucis civils de peu d’envergure. Si nous augmentions notre désir d’espace pour la sauvegarde de notre espèce en devenir – un nouveau phylum, notre énergie tonique se décuplerait et notre capacité à saisir les mondes entrerait dans le champ des possibles. Nous manquons cruellement de « possibilités énergétiques de percevoir », au-delà de notre horizon, par-delà notre connu.

Certains indiens de l’Amérique centrale avaient largement dépassé ces entraves limitatives et ces alternatives d’engagement depuis des milliers d’années, par la pratique dirigée de l’art de retenir leurs rêves. Pour le professeur de l’élève Castañeda, l’expression la plus adaptée à ce corpus de travaux pratiques serait autrement : « le passage à l’infinité ». Pour lui, comme pour des pairs d’antan, l’action de rêver reste le seul procédé de se servir de ses songes ordinaires pour y trouver les pistes qui rendent intelligibles ces divers mondes invisibles. Réussir cela, c’est encore aujourd’hui comme entrer dans une autre configuration de la lumière, pour saluer le monde qui dort. Une telle expérience ne veut pourtant pas dire, seulement faire un rêve et en noter les détails au réveil. L’action de rêver semble permettre de percevoir d’autres formes d’univers (autre que virtuels) bien au-delà de notre simple vocabulaire technique moderne.

 

L’auteur apprendra de son bienfaiteur que « Rêver » concerne globalement les principes historiques, physiologiques et botaniques, et les raisons éthiques, génétiques, ethniques par la mise en pratique de l’acte de rêver sous la direction d’un benefactor. Selon les dires du « sorcier », il convient de procéder par ordre et s’atteler aux facultés mentales et physiques de l’action « Rêver », tout en ne méconnaissant pas les explications abstraites qui mènent à ces systèmes. Elles sont abstraites car elles relèvent pour une bonne part du figuratif, d’une force mentale qui seule fait adhésion, cherche à comprendre et s’engage sur cette voie. Difficile d’inculquer ces savoirs en suscitant la curiosité chez un profane en provoquant en lui quelques étonnements qui aboutiront à l’« Art de Rêver ». Chaque personne est dotée d’une force énergétique selon sa disposition mentale mais tous n’ont pas le référent qu’il faudrait.

Les sorciers appelaient cette force mentale : la structure énergétique. Ce que l’on dénomme communément de nos jours : le psychisme humain est, de loin, beaucoup plus compliqué qu’on le croit de prime abord. D’ordinaire, le rêve est traité sous la rubrique des suggestions hypnotiques. Les sorciers de la civilisation précolombienne le voyaient plutôt comme une « configuration énergétique de la conscience ». Leur langage n’avait pas d’équivalent à notre concept « spirituel », ni au vocable « psyché ». Un peu comme tout un chacun, l’accomplissement de l’acte de rêver se solde tout de même par le franchissement de l’attention du quotidien, sans que celle-là ne dépasse le stade de conscience comme à l’état d’éveil. Toutefois, la frontière qui borne la première et la deuxième attention demeure inchangée. Dans le cas de Castañeda, chaque fois que ce sympathisant à l’« Art de Rêver » entrait dans « la seconde attention », celui-ci déclarait qu’elle lui restait au petit matin.

Après quinze ans de pratiques ininterrompues, l’auteur réussit à se remettre à ces actes de rêver solitaire afin de les rendre cohérents et ordonnés. Sa tâche consistera à s’obliger à retrouver les événements oniriques, morceau par morceau, jusqu’à combler les lacunes de sa mémoire. La maîtrise du monde invisible passait aussi par la maîtrise du monde réel.

 

Les sorciers de l’antiquité : une introduction.

 

Le bienveillant professeur de l’auteur de cette « Romance avec la connaissance » certifie appartenir de conviction, et par la pratique de ses rituels de « Rêver », à une lignée de sorciers qui remonterait à plus de seize personnages réputés. Ces hommes garantissaient la tradition culturelle des exercices mnémotechniques pour passer à l’infini des mondes, par-delà la vision des hommes. Ces anciens compagnons d’antan furent, sur cette partie du continent Sud-Américain, les premiers et les seuls êtres vivants à avoir compris et mis en œuvre tout un pan de l’enseignement théorique et pratique qui réunit une sorte de goétie et de théurgie gréco-latine.

Parce qu’ils se désignaient eux-mêmes par un terme qui se traduisit longtemps par sorciers, il faut bien, un temps, accepter leur appartenance à ce qu’ils produisirent de pratiques occultes servant à entrer en contact avec les mauvais esprits (la goétie), faisant appel à leurs pouvoirs et leurs savoirs pour atteindre des mondes étrangers. De même, ces derniers prétendaient communiquer avec de bons esprits (la théurgie) dans le même but avoué. Ce n’étaient que quelques rares personnes du groupe qui agissaient ainsi. C’était, nous dit-on, il y a des millénaires.

Goétie et théurgie sont des acceptions récentes, non amérindiennes, datant tout au plus de six-cents ans. Mettons de côté ces vocables difficiles à l’entendement, empruntés à la religion monothéiste. Il faut bien remarquer que ces pratiques ne sont plus les mêmes aujourd’hui. La lignée d’hommes qui détenaient pour elle seule « l’art de rêver » a échoué dans ses objectifs et les mystiques d’autrefois ont disparu. Ce serait au profit, nous apprend le benefactor de Carlos Castañeda, d’hommes plus partageurs de leurs idées, de leurs exercices et de leurs analyses. Don Juan fait partie de ces hommes nouveaux. Historiquement, le benefactor de Carlos situait les sorciers d’antan, au Mexique, plusieurs milliers d’années avant la conquête et la période coloniale espagnoles, de 1519, au tout début du seizième siècle. Plusieurs peuples avérés s’y succédèrent : les Olmèques, les Toltèques, les Mayas, les Aztèques, les Incas.

 

Si de telles créatures avaient édifié les fondations de la sorcellerie, celles-ci avaient manqué d’humanité, de sagesse et d’universalité. Au contraire d’eux, leurs successeurs actuels eurent l’ambition de corriger les erreurs du passé, basées sur une indifférence égocentrique, pour développer une pratique plus saine de l’action de rêver et du choix librement consenti d’ingurgiter, ou non, des plantes toxiques de type mescaline. Ce sont ces nouveaux tuteurs qui détachèrent des rituels concrets, guerriers et vils, l’aspect encore trop abstrait des us et coutumes de cette élite désavouée. Autrefois, la partie concrète était la partie pratique de la sorcellerie du type goétique (bienfaitrice). Elle répondait pacifiquement à une ancienne obsession tragique de la pensée axée sur des techniques de Rêver douteuses. Elle prouva qu’elle avait eu un effet néfaste sur les congénères de la petite communauté et de l’espèce toute entière.

La partie abstraite de cet enseignement est signalée par une libre recherche de sa liberté de concevoir, d’adhérer, de pratiquer selon son éducation, ses moyens émotionnels et ses barrières spirituelles, propres à tout un chacun. Ce qui rend libre de tout aspect obsessionnel une pensée qui se focaliserait vite face à l’entrave ou l’obstacle. « Je dis que les sorciers d’aujourd’hui recherchent l’abstrait parce qu’ils recherchent la liberté », affirme le benefactor. Probablement ont-ils saisi qu’il n’y avait pas de bénéfice positif à attendre en échange de pratiques occultes du type goétique. Ces derniers ne prétendent pas non plus être en quête d’un prestige social auprès de leurs contemporains, mettant fin de fait à un obscurantisme ancestral.

 

Les rêveurs de l’antiquité, conscients de leur pouvoir de distinction, reconnaissaient la mise en avant de l’« essence énergétique » de ce qui nous entoure parmi les trois règnes sur la planète bleue. C’est de cette faculté qu’ont hérité les rêveurs de la modernité. L’une de ces leçons de choses tenait, selon les dires de l’indien mexicain, en la perception de ladite énergie de l’univers, dans les exercices de maintien de la conscience d’être en train de rêver et de s’en rappeler au réveil.

Notre schéma de perception ne connaît pas encore de tels conseils de vigilance. Notre système social post-industriel demanderait plutôt d’amplifier notre perception des univers macroscopiques, microscopiques et fabriqués. Sans aucun doute, le fait-il en adoptant et en privilégiant un mode de communication en réseau, à distance, en travaillant sur le concept virtuel. Peut-on croire naïvement qu’un beau jour, une autre génération d’hommes et de femmes, admettront avoir synthétisé le « percept » essentiel à s’immerger dans l’essence énergétique du vaste monde.

Présentement, nous avons la certitude que le monde est composé d’objets : minéraux, végétaux et animaux. À ce titre, les minéraux ont la réputation d’être une des clefs explicatives qui mène vers l’énergie fondamentale de l’univers tridimensionnel. De natura rerum disait le poète latin Lucrèce. De la nature fondamentale de l’univers énergétique, nos futures perceptions intellectuelles et physiologiques devraient nous guider demain vers la certitude physique qu’il n’y a que de l’énergie, en nous et hors de nous. C’est ce que fait l’indien Yaqui avec le diplômé de l’université de Berkeley. Il lui prodigue cette envie de recevoir ce don caché, un talent autre de percevoir directement cette puissance vitale. Son élève pensait d’ailleurs que cette technique d’induction était assez comparable à toutes les disciplines collégiales ou de la Faculté telle la bonne vieille méthode Coué. Dans ce nouveau corpus populaire, le monde est d’abord énergie, s’entendait-il dire. Après seulement, c’est un monde d’objets, dont la dureté certifiera encore quelque temps la réalité d’un monde où l’énergie doit être conçue comme permanente. Mais l’objet a créé chez l’Homo sapiens l’envie d’autres objets, jusqu’à ne plus penser qu’à cela. Notre situation matérielle d’insatisfait d’objets est proche de celle du prédateur. Depuis l’ère industrielle, c’est devenu un penchant révélateur de ne classer son entourage que par le nombre d’objets qui les entourent. Il y a bien entendu un autre mode de vie terrestre : concevoir l’essence des choses, comme une énergie durable, à disposition. À partir de cette façon de concevoir l’essence de chaque chose, dans chaque règne, les rêveurs d’aujourd’hui sauront peut-être prendre sur eux de classer et d’évaluer le monde en le rendant plus attrayant, plus complexe et mieux adapté à leurs besoins. Les sorciers d’antan gardaient pour eux ce chemin de vie de la perception globale, en des pratiques qui ne regardaient que les sorciers, associés à une véritable école de sorcellerie accaparante. L’exploit de compréhension fut de prendre l’acte ancien de « sorcellerie » comme un phénomène neuf et nécessaire afin de retrouver le sens profond de l’univers.

 

Le tuteur Yaqui déclarait que les sorciers de l’époque précolombienne étaient parvenus à décrire l’essence de cet univers. En propos clairs, mais néanmoins troublants, l’essence de l’univers était composé d’une infinité de « fils incandescents » qui sillonnaient le Cosmos dans toutes les directions possibles. Ces sinuosités ressemblaient aux crêtes et aux creux des ondes à la surface d’une eau calme. À la petite différence près que ces agitations interagissaient dans un espace démesuré, à trois dimensions. Il nous par conséquent imaginer un volume ondoyant sur ses 360° d’angles, tous azimuts. On nous certifie que ces filaments sont lumineux, car l’énergie est visible par sa clarté. Mais les sorciers de la lignée d’aujourd’hui ajoutaient à cela que les filaments de lumière avaient une « conscience » inséparable à leur état et à leur déplacement dans l’univers. Cette idée de conscience leur parut nouvelle, invraisemblable et quasi inacceptable pour leur mode de penser et de représentation d’un espace, même si saturé d’énergie.

Chacun a une perception personnelle du monde et des éléments naturels qui les enchaînent. Ces rêveurs exercés, que les cultures hispanique, lusitanienne et latine appelaient : les sorciers, n’en étaient pas resté à la seule sensibilité oculaire. Ils pénétrèrent plus avant sur cette nouvelle terræ incognitæ. Après avoir mémorisé, à l’aide de leur conscience entrainée, les caractéristiques remarquables de l’univers (récurrence de leurs nombreux songes), ils découvrirent, à l’état de veille, que les êtres vivants possédaient la particularité d’abriter en eux, une telle énergie intégrale. Les êtres humains, c’est-à-dire leurs contemporains, étaient visiblement regardés comme des « formes brillantes ressemblant à des œufs géants ». Les sorciers clairvoyants les nommèrent tout simplement des œufs de lumière. Chaque être vivant peut ainsi être saisi pleinement comme entouré dans une grande enveloppe lumineuse qui flottait autour du corps physique et le suivait dans ses déplacements, en sillonnant l’énergie du sol. De telle manière qu’ils pensèrent que l’œuf était rattaché à la Terre, par un lien énergétique.

Le maître de Carlos précisa les choses. La forme d’œuf s’apparentait, selon lui, aux seuls vivants de l’antiquité. De nos jours, les rêveurs sorciers sensibles voyaient l’être vivant entouré d’une grande sphère de lumière. Quelques rares fois, l’énergie avait une forme plus insolite, une sorte d’épaisse planche de lumière. Ce fut cette découverte qui décida du sort des rêveurs exercés de l’ancien temps. Ils ne cessèrent plus de travailler pour en savoir davantage. Ils devinrent, peut-être à cette époque reculée, désireux de garder ces secrets-là pour eux seuls. Les « sorciers » choisirent donc la voie du collège hermétique obscurantiste, raison pour laquelle ils sont si mal aimés de nos jours.

 

L’être humain, être énergétique avant tout, se révélait sous un nouvel aspect. Dorénavant, l’organe de l’œil du rêveur sorcier pouvait percevoir, de jour comme de nuit, améliorant sa réceptivité des choses, des êtres vivants et de l’énergie répandue partout autour de lui. Un élément d’importance apparut à l’intérieur de l’œuf lumineux. Une petite boule de lumière grosse comme le poing, d’un aspect brillant restait suspendu, dans le dos du sujet observé, à la périphérie de l’œuf d’énergie. Cette petite sphère était installée sous le bord de la forme géométrique. D’après l’estimation que ces hommes en firent, la balle brillante se situait à près d’un demi-mètre de distance de l’omoplate droite du sujet observé, près des premières vertèbres cervicales, quand la personne était regardée de dos.

La sphère lumineuse, l’œuf des anciens, ou la boule des modernes, était deux ou trois fois plus large et plus grande que le corps humain. La distance de la balle brillante sous la surface de la grande sphère énergétique correspond approximativement à la longueur du bras tendu de la personne regardée. On donna logiquement le nom à cette protubérance grosse comme un poing de personne : « le point d’assemblage ». Il faudra admettre plus tard que la perception du vaste monde, visible et invisible, paraissait ancrée à cette position. C’est à cet emplacement précis que des faisceaux  énergétiques de l’univers passaient, au travers l’œuf de lumière et son petit globe luisant. Un certain nombre de ces fibrilles lumineuses croisaient sur leur trajet la petite balle d’intense luminosité. Cette pelote grosse comme un poing était elle-même entourée d’une enveloppe lumineuse qui rayonnait.

L’intensité des filaments d’énergie s’accroissait dans le « point d’assemblage » quand le tout exerçait une activité. Une autre observation fut faite à ce moment. Ledit point d’assemblage matérialisé par une petite sphère d’intensité lumineuse pouvait notoirement changer de position, tout en restant appliquée à la surface de la sphère qui environnait le corps humain. Les voyants de l’époque pensèrent qu’une telle position du point de connexion entre l’énergie cosmique et l’être vivant permettait, voire facilitait, la prise de conscience et contribuait sans doute à la perception sensorielle. Les sorciers rêveurs en acquirent la conviction, en observant la conduite journalière de leurs semblables et de leurs apprentis respectifs. Toutefois, remarquaient-ils, le changement de position de la petite sphère et du point de connexion se manifestait par un changement de nature des personnes et de leurs comportements. Ce qui amena à conclure à une modification du champ de perception et conduire à des états insolites comportementaux.

 

Ce que la société de rêveurs d’antan crut avoir saisi, en s’observant mutuellement, fut manifestement renforcé par l’observation méticuleuse des membres de leur groupe social. Rêver fait se déplacer la petite sphère dans sa grande sœur, en glissant discrètement dans son éther. « Plus grand est le déplacement du point d’assemblage de sa position habituelle, plus exceptionnelle est la conduite en résultant et, évidemment, la conscience résultante et la perception. ». Les sorciers rêveurs et les sorciers voyants comparèrent leurs analyses et améliorèrent (en faisant de probables concessions) leur vocabulaire. Le point d’assemblage fut redéfinit globalement comme un pôle de luminosité autour duquel un halo rayonnant se manifestait. Une proposition établit alors que les êtres vivants – objets d’univers, sont constitués de telle manière que l’espace de la petite sphère laissait s’infiltrer un certain nombre de fibrilles lumineuses, et que cet assemblage en un point donné autorisait une perception sensible du monde environnant. Ces milliers, ces centaines de milliers de brins de lumière concentrés en un fin réseau énergétique, en passant dans la petite pelote, créèrent chez les grands singes le percept de conscience. Chez les personnes trépassées, le rayonnement semblait manquant. Chez les personnes moribondes ou comateuses, le rayonnement était nettement amoindri. Avec leurs mots, les sorciers clairvoyants pensèrent que le rayonnement était l’équivalent actuel de notre « conscience ».

 

L’humain était doué de conscience, rien à redire à cet état de chose. C’était un fait établi. Son point d’assemblage est brillant disent les sorciers rêveurs et les sorciers voyants. L’humain décédé est dépourvu de conscience. Son point d’assemblage a disparu. La conscience avait donc quelque chose à voir avec ce conglomérat de faisceaux lumineux d’énergie généré par l’Univers. « Ils en conclurent que le rayonnement est conscience ». De fait, l’indien yaqui confirma à son disciple de Californie que la vie et la conscience étaient étroitement apparentées. Elles sont l’expression vivace du rayonnement autour du point d’assemblage. Ce qui signifiait que l’enveloppe charnelle est le réceptacle de l’énergie de l’univers. Cette énergie fut considérée comme « conscience » et « perception ». Elle se manifestait sous des formes multiples dans le règne animal, auquel l’Homo sapiens sapiens appartenait.

Les sorciers yaqui de la civilisation préhispanique, expérimentés dans le rêve lucide et la clairvoyance, firent par la suite l’étude du déplacement du point d’assemblage. Ils remarquèrent qu’une autre forme d’énergie se mettait en place à un nouvel endroit. Faute de mieux, ils avaient fini par admettre que le rayonnement de conscience était inaltérable. Où que se trouvât le pôle du champ de perception, celui-ci était systématiquement réorganisé. Deux sortes de déplacement de la petite sphère étaient accessibles au sorcier. L’un s’effectuait à l’intérieur de la sphère qui environnait le corps physique, l’autre était mobilisable à l’extérieur de ce grand œuf géant lumineux, sans pour autant en dépasser les frontières. À ces types de repositionnements de la petite sphère de lumière énergétique, les sorciers yaqui avaient finalement donné le nom de : « mouvement du point d’assemblage ».

Cette différence notoire de nature de perception pointait du doigt le changement, ou le déplacement, du point d’énergie. Sous la surface de la grande sphère, la perception des mondes était approchante le monde des humains. Au dehors de la grande sphère, la perception des mondes était éloignée des mondes humanoïdes. Dès lors, cette adhésion au changement et au déplacement faisait du sorcier rêveur un autre type de sorcier clairvoyant.

Ils s’attribuèrent donc le titre spécial de « nagual ». C’était le titre donné à une personne capable de ressentir l’abstrait, de réfléchir l’esprit en elle. Cet « esprit » avait une valeur ajouté, très supérieur à la pensée, ou à l’intelligence, dont on parle communément de nos jours et dans notre société d’informations à distance. Cette appellation rejoignait l’idée que ce faisaient les hommes et les femmes de l’antiquité. L’esprit était le mentor, le benefactor de l’organisme. Le terme de nagual renvoyait à cette filiation-là.

 

Ce vocable hispano-yaqui était un concept relatif à la responsabilité que l’homme ou la femme nagual endossait par son expérience, et qui présentait une énergie distincte du commun des mortels. Un tel voyant décrirait le nagual comme un personnage enroulé par une boule de lumière à deux parois.

Le monde de la sorcellerie était en mutation. Le monde de l’acte de rêver volontairement de façon lucide, de conserver ses facultés nocturnes dans le monde diurne, semblait créer une surcharge énergétique qui résultait de la faculté de modifier l’emplacement du point d’assemblage de la petite sphère. D’autorité, les indiens sorciers décidèrent de prendre la direction d’un novice, en tant que guide spirituel et chef de la communauté de sorciers en devenir. Ces naguals enseignaient les pratiques de la sorcellerie relatives au maintien de la vigilance au cœur du songe pour déplacer, en autres choses, le relai énergétique de la sphère. Pour ces naguals, le corps physique faisait maintenant partie intégrante de l’œuf lumineux qui devenait une réalité énergétique du Cosmos. Durant des générations d’apprentis sorciers, des élèves soumis écoutèrent les explications et apprirent les pratiques du déplacement qui amenaient à utiliser les courants d’énergie qui viennent de l’extérieur comme de l’intérieur de la grande sphère de lumière. Ces courants reflétaient les effets des intentions de la personne animée d’intention. Par conséquent, ces effets étaient prévisibles car ils obéissaient à une impulsion, à la fois, conceptuelle et perceptuelle, du sujet pensant.

 

Les apprentis des sorciers confirmés apprirent à ressentir ces courants tels de petits malaises bénins comme des sensations de rebond d’enjouement qui auraient succédées à un état passager de malaise. Les nagual d’antan et d’aujourd’hui expliquaient que lorsque le point d’assemblage était déplacé à l’extérieur de la sphère d’énergie, la surface de crevait pas. La ligne de contours se déformait tout simplement. L’œuf s’arrondissait d’une grosseur. La balle de lumière devenait une protubérance. Son déplacement figurait une colonne d’énergie qui s’allongeait sans rompre la coquille de l’œuf. Le point d’assemblage exerçait une force sur la frontière énergétique qui prenait de la souplesse et perdait de sa forme primitive consentant à prendre la forme d’un fuseau.

L’indien yaqui, le nagual de Carlos remarquait que seuls les sorciers d’autrefois savaient faire se mouvoir leur point d’assemblage. Leurs contemporains l’ignoraient. Ce qui transformait radicalement la force de l’énergie disponible. Pour ce faire, il leur fallait de la cohésion et une uniformité d’intention. C’était un souci de tous les jours.

Pour « entrer dans la seconde attention retenant le point d’assemblage sur sa nouvelle position et en l’empêchant de glisser vers sa position originelle », cela exigeait une vision préoccupante et généra un comportement malsain qui engendra l’obscurantisme. Voilà où résidait leur tragique obsession de la pensée axée sur les techniques de « Rêver », fit valoir don Juan à Carlos. Ces anciens appelaient « la seconde attention », la possibilité de contenir le point d’assemblage sur une zone d’ancrage autre. Ceux-ci pensaient de cet exploit qu’il était un mal nécessaire pour vivre autrement qu’au jour le jour, assurés d’une netteté de perception consubstantiel. Les sorciers naguals du Mexique travaillaient leur conscience du monde environnant, celui de « la première attention » qui ressemblait à une aire de perception réduite et une aire de perception étendue, la deuxième attention qu’ils exacerbaient pour acquérir une cognition des autres mondes grâce à la fixation de leur point d’assemblage sur de nouveaux emplacements en étirant la surface de la sphère.

 

Au quotidien, le benefactor inculquait à son protégé, les idées premières et les rudiments qui formaient le socle indispensable de la seconde attention. Face aux rêves, le rêveur et la rêveuse sont seul(e)s. Dans l’approche de l’art de rêver, la femme a été incluse par les réformateurs de l’école populaire qui constituait l’une des facettes scolastique de l’ancienne sorcellerie. D’un autre côté, de nos jours, et depuis quelques huit générations de sorciers plus pragmatiques, la plante toxique ne sert plus à éliminer le sorcier concurrent ou le gêneur. Dans l’état de conscience qui nous est la plus connue et accessible, le sorcier rêveur conscient partageait ses convictions par des explications fournies d’ordre métaphysique. Aujourd’hui, c’était possible de le faire, parce que de nouvelles disciplines d’études avaient émergé d’une société débarrassée de ces anciennes représentations. Hier comme aujourd’hui, la grande difficulté demeurait de franchir la barrière du mental de l’auditeur, de laisser l’apprenti s’imprégner de nouveaux concepts et de percepts authentiques, de visualiser intellectuellement, d’améliorer sa mémoire, d’avoir l’intention et de continuer à avancer sur le sentier de la guerre entre ses pensées, ses angoisses et ses aprioris.

En effet, comment mieux faire accepter l’idée que le songe était le résultat perceptif d’un déplacement d’une sphère d’énergie dans une enveloppe ovoïde. C’était tout un programme. Un programme qui comptait aussi sur l’abstinence des mœurs, des habitudes alimentaires, de « contrôler les rêves ». C’était ainsi qu’ont inculqué les sorciers de l’époque préhispanique l’« Art de rêver ».

 

Ces derniers saisirent cinq phénomènes d’importance.

1.        Le premier indiquait que les brins d’énergie lumineux qui traversent le pôle de connexion sont les seuls à assurer une perception. Ce qui rend cohérent et compréhensible le monde dans lequel nous vivons.

2.        Le deuxième soulignait le fait que le pôle de connexion, déplacé à un point différent de la structure énergétique, reçoit en partie d’autres brins de lumière dont l’énergie se révèle alors modifiée. Ces nouveaux filaments de lumière obligent le champ d’énergie présent à se stabiliser et à organiser une autre perception pour qu’elle soit cohérente et rende compréhensible l’environnement immédiat.

3.        Le troisième montrait les rêves ordinaires de monsieur et de madame tout-le-monde. Le point d’assemblage pouvait se décaler vers un endroit inaccoutumé du champ d’énergie créé par l’œuf géant de lumière.

4.        Le quatrième édifiait l’adepte. Le point d’assemblage peut dépasser la ligne du champ d’énergie et s’en éloigner. L’œuf se déforme en s’allongeant pour suivre la petite sphère énergétique.

5.        Le cinquième rappelait qu’une certaine autodiscipline personnelle est un passage obligé. Elle est indispensable pour se cultiver et pratiquer efficacement, pendant le rêve conscient, pendant le déplacement du pôle de connexion énergétique.

 

2 : La première porte de « Rêver »

 

La seconde attention est une intention délibérée et une attitude de conscience recherchée que l’on acquiert progressivement. Au début de son auto-formation, c’est une idée curieuse que d’espérer découvrir, une première fois, cette attentive intention au cours de son sommeil. Pourtant, elle le devient par le travail et une concentration qui aboutit à une sensation ressentie. Plus qu’une vague idée, la seconde attention touche comme une perception mentale ; ce qui veut bien dire qu’elle est parfaitement biologique, sinon neurophysiologique. C’est finalement un authentique état d’esprit qui habite le pratiquant. Un état d’esprit et un état d’être ressentis qui évoluent vers une force énergétique qui ouvre, peu à peu, les portes d’un monde inconnu. Pour les sorciers de Castañeda, cette progression était le résultat d’une pratique intentionnelle de déplacer le point d’assemblage, par où pénètrent les rayons lumineux extérieurs. De fait, il fallait déjà en « avoir l’intention », comme un appel récurrent qui finit par s’imposer à soi et qui fait oser essayer puis, comme une perception mentale qui s’exerce finalement, tel un rendez-vous avec soi-même.

 

Le terme « Rêver » cachait cette intentionnalité du moment qui s’orientait vers une fonctionnalité précise de toutes les situations vécues au cours du rêve. Si le novice rêvait d’un moment vécu et d’un lieu précis, l’intention devait se démarquer et ne pas laisser un tel songe détaillé passer à une autre séquence de rêve, qui se tournerait vers un autre lieu à un autre moment. Tous les sorciers insistaient sur le fait de contrôler sa vision mentale du lieu et du moment, sans la quitter ni la laisser disparaître au profit d’une autre.

Afin de ne pas verser dans l’obsession malsaine et s’énerver parce qu’on n’y arrive pas encore, autant valait mieux en faire, au préalable, une exploration ludique. « Rêver doit rester une affaire d’extrême sobriété », assurait le sorcier yaqui de l’auteur. Il convient à tout instant de penser cette évolution mentale avec une conscience renouvelée, identique à celle de tous les jours. L’attention portée haute derrière les choses du quotidien n’était pas si difficile que cela. C’était juste une question d’apprentissage. L’attention de rêver avec sa conscience ouverte, un tant soit peu, suffisait à l’utiliser déjà. C’était cette opération de l’esprit éveillé qui déplaçait la brèche de la conscience, de la lucidité aux rêves. C’est ainsi que se pratiquait l’importation d’une attitude anodine du jour vers la seconde attention, lors du sommeil. Prêter attention, ne pas se laisser leurrer et déborder, étaient les maîtres mots pour progresser. Cette attention seconde au cours de l’ensommeillement était l’élément clef qui générait chaque déplacement du sorcier rêveur dans le monde des sorciers.

Le benefactor de Carlos précisait ainsi que l’art de rêver n’était rien d’autre que le bénéfice d’avoir une maîtrise sur le corps d’énergie afin de l’assouplir à volonté. C’était de la sorte que le rêveur exercé rendait cohérent le monde qu’il visitait, par la fixation de son attention et, ou intention qui induisait la fixation du pôle de connexion des rayons lumineux qui traversaient la petite sphère dans l’enveloppe ovoïde. Cette opération gratifiante se canalisait avec une régularité capitale. Apparemment, faire un rêve dépassait largement le phénomène d’avoir un rêver. De passif, le rêve, ou la rêveuse, devenait l’actif. On devenait actif en conduisant le principe qui condensait le corps d’énergie pour qu’il soit apte à fournir la perception adéquate, mentale et cohérente. Pour comprendre ces mondes, la conscience avait besoin de la cohérence de perception. Cela voulait dire Voir.

L’univers est énergie, n’oublions pas. Le corps d’énergie opère avec l’énergie de l’univers, par ce fluide qui est diffusé en permanence, en usant de cette manne énergétique en tant que véhicule, ou en captant les informations portées par ses filaments de lumière. Tout autant, le corps d’énergie du rêveur reçoit directement à travers sa membrane ovoïde toutes les données vitales que produit le Cosmos. « Le corps d’énergie voit l’énergie directement comme une lumière, ou tel un courant vibrant en quelque sorte, ou encore comme une anomalie ». L’anomalie en cause résultait sans doute, au tout début, d’une lacune au niveau de la cohérence. Rien n’était alors discernable ou compréhensible. La société de rêveurs d’aujourd’hui bénéficiait du langage scientifique pour améliorer leurs expressions d’antan et rendre plus actuel un phénomène méconnu : le rêve, pour le tourner en une manifestation universelle : le corps d’énergie.

Ainsi donc, le yaqui du Mexique laissait à son élève californien le temps de s’impliquer savamment jusqu’à percevoir, un jour, la différence qu’il faisait lui-même entre la vie et l’acte de vivre. Pour ces indiens de Méso-Amérique, la différence résidait dans ce que la première était la conséquence des forces biologiques que dame Nature déploie autour de nous, alors que la deuxième était une simple question d’interactivité entre ces forces vives nature-vivant.

 

3 : La seconde porte de « Rêver »

 

Pour que l’acuité attentive que l’on prêtait habituellement aux objets et aux événements qui nous entourent soit une faculté identique et prolongée dans la seconde attention, il était utile de s’attacher à prendre conscience du fait de s’endormir. C’était le premier effort mental que de focaliser son acuité attentive tout au long des trois étapes qui se suivaient précipitamment ; à partir du moment où l’on était encore un peu éveillé, au moment où l’on s’endormait et celui où l’on était endormi. Rêver pouvait survenir un peu après, après, ou bien après. Le sorcier indien prétendait « que la seule manière d’être conscient de s’endormir est d’examiner les éléments de ses rêves ». Ceux-ci ne pouvaient être semblables aux éléments qui constituaient le lieu familier où l’on entrait dans un songe.

Revenons un peu en arrière, et laissons le sorcier rêveur yaqui du Mexique reprendre sur le phénomène énergétique, clé de tous les mystères. L’accès aux rêves était mis en image par une porte, la première du genre, réputée être liée au flux d’énergie de l’univers qui nous déterminait. C’était, somme toute, une énergie qui pouvait être requise par la concentration mentale (l’intention), afin qu’elle déclenchât le processus invisible qui libérait l’attention première pour en faire une deuxième attention. Cette phase semblait décisive aux yeux des sorciers yaqui. C’était un même moteur qui avait besoin d’une double carburation. C’était le même capital énergétique redéployé lors du temps de sommeil.

Bien entendu, l’ego était un frein spontané et puissant. L’égo était la mise en œuvre de soi, de façon répétée. Il s’agissait-là, manifestement, d’une énergie parasite tenace. Par exemple, dans la rêverie, en période éveillé, l’individu y avait recourt de façon cyclique. La mise en scène valait bien un bon acteur. Le meilleur scénario était la dramaturgie. En effet, quoi de plus valorisant, de plus réussi qu’un héros victime de toutes les injustices. Notre civilisation de médiateurs d’informations en avait créé de multiples, jusqu’à nos jeux vidéo aux images virtuels de mondes imaginaires.

Déjà, à leur époque, les indiens sorciers avaient vite réalisé l’universalité de ce tempérament de la faiblesse humaine. Ils tentèrent d’évacuer les problèmes d’égo avant d’être en définitive rattrapés par eux. « Primo, nous libérons notre énergie de la tentative de maintenir illusoire l’idée de notre grandeur ; secundo, nous disposons de cette énergie pour entrer dans la seconde attention et jeter un coup d’œil sur la véritable grandeur de l’univers », ceci exigeait préparation et résistance. Mais cette instruction première valait pour le monde précolombien ; les hommes et les femmes naguals d’aujourd’hui s’étaient éloignés de l’esprit de concurrence et d’hostilité qui en découlait. L’université populaire est libre. C’est ce qui explique le rapprochement de deux cultures intellectuelle (du raisonnement et du vocabulaire) et spirituelle (de l’esprit et de l’imagerie), entre un vieil homme du continent sud et son cadet du continent nord. À plus d’un titre, le nouveau continent eut du mal à saisir parfaitement les vues de l’ancien continent. Ne serait-ce quand don Juan lui « faisait, au cours de [son] entraînement, ingérer quantité de plantes hallucinogènes ». Toutes les plantes médicinales ou psychotropiques avaient un effet principal et un effet secondaire qui agissaient à la fois sur la perception et la conception du monde chez le sujet prenant.

 

Quand l’auteur de The Art of Dreaming écrivait sur son vieil maître, il en parlait en termes affectueux. Le vieil indien yaqui était un solitaire, bien que très intelligent. S’il vivait au Nord du Mexique, à la frontière des États-Unis d’Amérique, près du désert de Sonora, c’était parce qu’il avait besoin de demeurer en marge d’une société frénétique, afin de pouvoir continuer à exercer son art et sa pédagogie en toute tranquillité. De son attitude désorienté quant au monde d’aujourd’hui et sereine quant au monde d’autrefois, Carlos retenait que dans son enseignement, « son idée était que rêver fait sauter les barrières qui entourent et isolent la seconde attention ». Probablement l’intensité de l’acuité déplacée vers les phases de sommeil profonds et de ses songes conduits en toute lucidité rendait plus doué le rêveur au niveau de sa perception sensible (tout du moins la vision) et au niveau de l’aire du cerveau chargée d’enregistrer les informations visuelles, émotionnelles. En toute état de cause, l’attention seconde et l’attention première n’en faisaient plus qu’une.

Don Juan Matus s’inquiètera tout le temps de l’avenir du monde, par l’intermédiaire de son petit groupe d’apprentis sorciers rêveurs. Il aurait bien vu le devenir des hommes et des femmes de cette époque troublée passer aussi par cette connaissance qu’il tenait de l’ère préhispanique. Cette préscience et cette science lui offraient l’opportunité de modifier son état de perception et de conscience, de devenir un « homme de connaissance » susceptible de vivre en interaction avec les forces de l’univers. Malgré cette retraite, le nagual mexicain s’attachait à transmettre, à un monde féru d’électronique et d’informatique, quelques notions d’élargissement en profondeur du champ de perception – de la vision à l’intellection, à notre sensibilité à deux dimensions binoculaires.

 

Depuis la plus haute antiquité, les sorciers professaient que la vie n’était pas une propriété spécifique à un organisme. Même si elles étaient liées à l’énergie de notre univers, la vie et la conscience qui la définissaient étaient des aspects vitaux que les rêveurs yaqui découvrirent chez des créatures qu’ils déclarèrent « inorganiques ». Les vivants, les êtres dits organiques partageaient cette similitude énergétique avec des êtres « inorganiques ». Ils étaient vus tels des masses de lumière, parcourus par des rayons spectraux lumineux énergétiques venus de l’Univers. Les organiques et les inorganiques se différentiaient pourtant par leur forme et leur degré de luminosité. Ces formes élémentaires étaient plus allongées que les organiques, ronds ou ovoïdes. Cependant, les organiques paraissaient d’une moins grande brillance. La vie et la conscience des organiques étaient courtes, parce que plus rapides dans leurs déplacements ou plus pressés par l’heure de leur trépas. Au contraire, l’existence et la perception sensible des inorganiques étaient de beaucoup plus longues et monotones. Le mentor de Carlos n’ajoutait pas plus de détails concernant les inorganiques. Il s’attendait à ce que son élève en croise. Le lecteur et la lectrice étaient amené(e)s à supposer une sorte de vie étrangère et de conscience étrange, c’est-à-dire inédite et insoupçonnée. Car ce qui se disait encore valait pour « la durée de leur conscience », complétait le sorcier. Elle était supérieure à la nôtre.

Leur embarras tiendrait plutôt dans une incapacité à éveiller leur conscience facilement ou spontanément. Ils avaient toutes les peines du monde à focaliser, à suivre et à mémoriser un évènement, ou un objet inconnu d’eux. En revanche, quand le contact était établi il ne rompait guère. Les rêveurs sorciers apprirent à se méfier de ces habitants des mondes qu’ils visitaient en passant les portes de « Rêver ». « Rêver est maintenir la position où le point d’assemblage s’est déplacé dans les rêves », réitéraient les sorciers. Ce surcroît d’énergie attirait l’attention des êtres inorganiques, à force d’être employée. Car cette charge énergétique était très différente de celle qu’ils connaissaient. Fort heureusement, ces deux mondes étaient séparés, l’un étant composé de lumière sombre, l’autre étant constitué de lumière vive, par un phénomène énergétique qui les contenait tous deux de différente manière. Cette frontière d’énergie était représentée par un courant continu qui se déplaçait à une vitesse distincte à notre monde tridimensionnel.

Les sorciers de toutes les époques avertissaient que les êtres inorganiques se manifestaient parfois dans notre monde. D’abord par de timides contacts, au moyen d’impulsions à quel endroit récepteur du corps humain que ce fut. D’autres fois, ils se signalaient par des frémissements qui émanaient de l’intérieur du corps, comme une source électrique douce et légèrement euphorisante, comme si le corps avait discriminé une lumière isolée. Le novice Carlos hésitait à admettre d’emblée des mondes qui résultaient d’abord d’un voyage intérieur, dans une disposition organique (saturée de toxines). « Rêver est percevoir plus que ce que nous croyons possible de percevoir », assurait le sorcier yaqui. L’homme moderne, celui du vingtième siècle de notre ère commune, était resté enfermé dans ses candeurs d’autrefois. Avatar d’une croyance païenne, athée spirituel par convenance sociale, il éprouvait encore quelque gêne à émerger de son monde. Son monde à lui était construit d’images géantes fixes ou réduites animées, des images virtuelles qu’il aimait et qui l’effrayaient moins quand elles sortaient d’un écran d’ordinateur ou d’une salle obscure.

 

Il ne fallait pas avoir peur des êtres dits inorganiques, soutenait son benefactor. Ni même de leur seule présence. Il était plus sain de rester focaliser sur son acte de rêver, de temporiser et d’oublier leur curiosité. Ce qu’avaient découvert les maîtres rêveurs, c’était que le rêveur, inconsciemment, parce qu’il était un pur produit d’un système social cognitif, mettait lui-même en place ses actes de rêveurs afin de « simuler », de « générer » des associations avec des tiers. Habituellement, le rêveur, ou la rêveuse, endormi(e) restituait au sommeil, un acte d’apprentissage inculqué dès l’âge de la téter, de marcher ou de parler. Le mental reproduisait naturellement une activité stimulée depuis sa prime enfance, une activité autour du groupe et ce, dans tous ses songes, dans toutes ses rêveries, rêvasseries ou rêves.

Selon les dires des preneurs de mescaline, une vision pratique de ces formes élémentaires de l’univers les décrivait comme « des êtres cohérents qui maintenaient leur forme de bougie ». Depuis les premières heures de leur association magique de sorcellerie, les êtres inorganiques échangeaient leur conscience contre de l’énergie dont ils paraissaient si peu pourvus. De cette association pouvait résulter un engagement positif, équitable. Le résultat se déséquilibrerait si l’un des protagonistes devenait dépendant de ce que possède l’autre. L’un possédait la connaissance du fonctionnement de l’Univers, l’autre possédait une haute teneur énergétique.

Castañeda décrira ces formes élémentaires, juste après les avoir croisées et côtoyées. « Elles étaient minces, larges de moins de trente centimètres, mais très longues, peut-être plus de deux mètres ». Ils le vinrent à sa rencontre une première fois sans chercher à entrer en contact avec le jeune sorcier. Ils se contentèrent de rester à distance, silencieux et immobiles tout au long du songe qu’il conduisait avec une conscience entraînée. Carlos qui en eut deux pour compagnons de route, les décrivit comme « deux figures noires, tels deux troncs d’arbres fins ». Mais dans les songes éveillés du jeune sorcier, les dimensions avaient été surévaluées. Quand celui-ci les revit dans un accès de clairvoyance, les deux présences inorganiques « n’étaient pas aussi grandes que dans [ses] rêves. À peu près réduites de moitié ». Il les avait brossées comme deux entités mesurant deux mètres et trente centimètres d’épaisseur. « Au lieu d’être des formes d’une opaque luminosité, elles paraissaient maintenant telles deux bâtons solides, sombres, presque noirs, menaçants ». La réalité ne dépassait pas la relation du songe lucide. Les êtres élémentaires dans notre monde tridimensionnel paraissaient atteindre cent centimètres de hauteur, et quelques quinze centimètres de carrure.

Lorsqu’il se prit d’en saisir une, elle résista franchement en se contorsionnant de toute sa force. Bien sûr, les êtres inorganiques n’avaient pas de membres supérieurs ni même inférieurs. Ils se déplaçaient autrement. Ils vibraient d’une faible énergie laissant, au toucher, l’impression d’une texture cotonneuse, de peu de poids. Dans sa lutte pour se libérer, l’être inorganique utilisa son énergie pour repousser l’agresseur, en envoyant des à-coups de courants. L’entité inorganique « m’infligeait secousses après secousses d’un écœurant courant électrique ». L’énergie exotique était sensible par le toucher mais aussi perceptible par l’intellection. Le courant énergétique serait subséquemment le “percept” primitif de l’Univers.

 

Avant tout, expliqua le sorcier, « les rêveurs cherchent des groupes d’êtres, dans ce cas des négus – des interconnexions – avec les êtres inorganiques ». Les « négus » exprimaient, dans l’esprit de l’indien yaqui, les sorciers puissants passés maîtres dans l’art de rêver. Quant aux « interconnexions », ce vocable est aussi récent que « communiquer à distance ». Ce terme écrit était, sans aucun doute, le fruit de la culture du rédacteur. Cependant, l’explication donne un aperçu de la connaissance du fonctionnement de l’Univers à travers un mécanisme neurologique mis en avant. De toute évidence, l’enseignement du mentor intéressait la prise de conscience qui s’éveillait dans le côté gauche du cortex cérébral.

 

Lorsque cette énergie parcourût le corps du jeune sorcier, cela le « chatouillait », le forçait à « hurler », à « gronder » comme une bête féroce mise en colère. À la fin de l’engagement, « la figure devint une forme immobile, presque solide sous moi. Elle était inerte ». La chose visible à ses yeux de clairvoyant, tangible à sa force énergétique n’avait pas suffisamment de masse pour être lourde ou compact. Probablement, la conscience qui émanait de l’énergie universelle est immortelle. Rien ne se perdait, tout se transforme. Lorsque le jeune sorcier Carlos releva l’être élémentaire, l’être se colla à lui, tout du long de son corps. Quand il se releva, elle se détacha et l’ombre disparut aussitôt.

Admettons, après ces quelques lignes, que l’énergie qui composait les êtres organiques les rendrait indestructibles énergétiquement. Seule la masse d’énergie qui décide de la forme et du cycle de vie formel subsisterait. « Elle [me laissa] avec une sensation extrêmement agréable d’état complet ». Les êtres inorganiques communiquaient ainsi leur conscience. Dans cet échange douteux, forcé, l’« état complet » signifiait probablement un résultat positif pour l’être organique qui y gagnait une conscience amplifiée et l’assurance d’une haute énergie en prime.



Le mentor de Carlos voulait savoir de quel type d’énergie il s’était agi : feu ou eau. Selon lui, l’énergie des inorganiques était ressentie comme de l’eau électrique ou du feu électrique. Les énergies sont proposées telles des caractéristiques d’état non physiologique qui avaient été définies par les sorciers d’autrefois, en deux formes précises. Les inorganiques à caractère « d’eau » étaient de tempérament excessif. Les inorganiques à caractère « de feu » étaient réservés, sérieux, mais solennels. Carlos trouvait dans toutes ces formes de quoi ne pas avoir envie de devenir dépendant de ces entités de l’espace intersidéral.

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1 février 2012 3 01 /02 /février /2012 10:05

 

Jumalaa paossa : La fuite devant Dieu  (1925), 71p.

Kuolleet silmät - [Kertomuksia tuntemattoman vvilta] Les yeux morts (1926), 144p. sous le pseudonyme de Kristian Korppi.

Suuri Illusioni : Grande illusion (1928).

Valtatiet Autoroutes (1928).

Yksinäisen Miehen juna : Le train de l'homme solitaire  (1929), 294p.

Dshinnistanin prinssi Prince Dshinnistanin  (1929, écrit en 1927), 161p.

Appelünsiemen : Le pépin d’orange  (1931), 510p.

Kieku ja Kaiku Vol et écho  (1932) [B.D. scénariste] – [Recueil de bandes dessinées] parues dans le journal Kotiliesi.

Künalainen kissa ja muita satuja : Le chat chinois et autres contes (1932), 219p.

Yö yli Euroopan Nuit sur l'Europe  (1933), 132p. pour le livret ; [pièce de théâtre].

Mies ja haave : Un homme et son rêve (1933), 360p.

Sielu ja liekki : Flamme d’une âme (1934), 384p.

Palava nuoruus : L’ardeur de la jeunesse (1935), 504p.

Surun ja ilon kaupunki : Joies et peines à la ville (1936), 314p. [réédition].

Kuriton sukupolvi Générations indisciplinées  (1937).

Isäätä poikaan : De père en fils (1942), 704p. [nouvelle réédition].

Akhnaton auringosta syntynyt : Akhénaton, fils de Râ (1937), écrite en 1936, 130p. pour le livret [pièce de théâtre].

Vieras mies tuli taloon : L’étranger vint à la ferme (1937), 212p.

Jälkinäytos : Dernier acte (1938 ? ) (nouvelle), 243p.

Kuka murhasi rouva Skrofin ? : Qui a tué madame Skrof ? (1939, écrit 1938), 237p.

Seitsemän veljestä : Les sept pains [Sjü bröder] (1939).

Komisario Palmun erehdys : L’erreur du commissaire Palmu  (1940), 239p.

Kulkurin valssi : La valse du vagabond (1940), 162p.

Ei koskaan huomispäivää : Jamais de lendemain (1942).

Fine Van Brooklyn. : Mademoiselle [Joséphine] Van Brooklyn (1942).

Kaarina Maununtytär [Karine, fille de Maun, (1940), 197p.] : Reine d’un jour (1942), 314p.

Neuvostovakoilun varjossa en 1942 [document sur l’ « espionnage soviétique »], 194p.

Tanssi yli hautojen : Danse parmi les tombes (1943), 282p.

Rakkaus vainoaikaan À l'époque de la persécution de l'amour  (1944), 250p.

Sinuhe Egyptilänen : Sinouhé l’Égyptien (1945), 780p.

Neljä päivänlaskua : Quatre couchers de soleil (1945), 781p.

Gabriel, tule takaisin : Reviens, Gabriel ! [comédie en 4 actes] (1945),  95p. pour le livret.

Noita palaa elämään La sorcière revient à la vie  (1945), 99p. [comédie dramatique].

Elämän rikkaus La richesse de la vie  (1947), 85p.pour le livret.

Omena putosa La pomme qui tombe  (1947), 96p. pour le livret, [comédie en trois actes].

- Portti pimeään Porte dans le noir  (1947), 90p.

Kultakutri : Boucle d’Or [extrait d’un recueil de nouvelles], (1948).

Mikael Karvajalka : [Michel, les jambes poilues (1948), 781p.] : L’escholier de Dieu

Huhtikuu tuleeAvril sera  98p. curiosité, [pièce de théâtre].

Mikael Hakim : [Michel le médecin (1949), 966p.] : Le serviteur du Prophète

Ihmisen vapaus : La journée des hommes libres (1950), 20p.

Johannes Angelos : L’Ange noir (1954, éd. fr.) ; Les amants de Byzance (1981, éd. fr.) (1952), 453p.

Kuun maisema : Paysage lunaire [recueil de nouvelles] (1953), 272p.

Runoja 1925-1945 : Poèmes 1925-1945 (écrit en 1945, édité en 1954), 86p.

Rakas lurjus Escroquerie à l'amour  (1953-54), [pièce de théâtre en 1946], filmée en 1955.

Turms, kuolematon : Turms, l’Étrusque (1955), 682p.

Feliks onnellinen : Félix le bienheureux (1958), 213p.

Valtakunnan salaisuus : Le secret du Royaume (1959), 436p.

Koiranehisipuu ja neljä muuta pienoisromaania : La viorne et quatre autres nouvelles (1960-61), 373p.

Tähdet kertovat, Komisario Palmu ! : C’est écrit dans les étoiles, commissaire Palmu ! (1962), 254p.

Keisari ja senaattori : Guillaume et le sénateur (1963), 45p. pour le livret.

Ihmiskunnat viholliset : Les ennemis de l’humanité (1964), 774p. en deux tomaisons.

Pöytälaatikko De la coquille  (1967), 137p.

Ihmisen Ääni La voix humaine  (écrit en 1977, édité en 1978).

Nuori Johannes : Jean le Pérégrin (écrit en 1951, édité en1981).

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1 février 2012 3 01 /02 /février /2012 10:01

 

  1. Sininen varjo / Keskiyön murha [L’ombre bleue / le meurtre de minuit] (1933), mise en scène de Valentin Vaala.
  2. VMV 6 / VartioMoottoriVene 6 [Le Patrouilleur] (1937), dirigé par Risto Orko.
  3. Kuriton sukupolvi [La génération rebelle] (1937), dirigé par Wilho Ilmari.
  4. Vieras mies tuli taloon [Un étranger vint à la ferme] (1937), dirigé par Wilho Ilmari.
  5. Helmikuun manifesti [Le manifeste de Février] (1939), dir. Toivo Särkkä.
  6. Oi kallis Suomenmaa [Oh, précieuse terre Finlandaise] (1940), dir. Wilho Ilmari.
  7. Onni pyörii [La chance tourne] (1942), dir. Toivo Särkkä.
  8. Tyttöastui elömaä [La vie utile d’Elomaa] (1943), dir. Orvo Saarikivi.
  9. Nuoria ihmisiö [Les jeunes] (1943), dir. Ossi Elstelä.

10.  Nainen on valttia [La femme est un atout] (1944), dir. Ansa Ikonen.

11.  Tanssi yli hautojen [Danse parmi tombes] (1950), dirigé par Toivo J. Särkkä.

12.  Maailman kaunein tyttö [La plus belle fille du monde] (1953), dir. Veikko Itkonen.

13.  Gabriel, tule takaisin [Gabriel, reviens] (1951), mise en scène de Valentin Vaala.

14.  Omena putoaa [La pomme tombe] (1952), mise en scène de Valentin Vaala.

15.  Noita palaa elämään [La résurrection de la sorcière] (1952)

16.  Huhtikuu tulee [Avril viendra] (1953), mise en scène de Valentin Vaala.

17.  Sinuhe Egyptiläinen [L’Égyptien] (1954, mise en scène de Michael Curtiz.

18.  Rakas lurjus [Cher coquin] (1955), mise en scène de Toivo J. Särkkä.

19.  Jokin ihmisessä [Un des êtres humains] (1956)

20.  Pikku Ilona ja hänen karitsansa [Petite Ilona et son petit agneau] (1957), dirigé par Jorma Nortimo.

21.  Kuriton sukupolvi [Jeunesse d’aujourd’hui] (1957), mise en scène de Matti Kassila.

22.  Ei koskaan huomispävää [Jamais de lendemain] (1957), dirigé par  Arne Mattsson.

23.  Vieras mies [Un étranger] (1957), dirigé par  Hannu Leminen.

24.  Verta käsissämme [Du sang sur nos mains] (1958), dirigé par  William Markus.

25.  Komisario Palmun erehdys [L’erreur du commissaire Palmu] (1960), mise en scène de Matti Kassila.

26.  Myöhästynyt hääyö [Une nuit de noce retardée] (1960), mise en scène d’Edvin Laine.

27.  Kaasua, komisario Palmu ! [Plein gaz, commissaire Palmu !] (1961), mise en scène de Matti Kassila.

28.  Miljoonavaillinski [Déficit par millions] (1961), mise en scène de Toivo J. Särkkä.

29.  Tähdet kertovat, komisario Palmu [Les étoiles le disent, commissaire Palmu] (1962), mise en scène de Matti Kassila.

30.  Jäinen saari (1964) – Vodkaa, Komisario Palmu [De la vodka commissaire Palmu] (1969), mise en scène de Matti Kassila.

31.  Kuningas jolla ei ollut sydäntä [Le roi qui n’a pas envie] (1982), dirigé par  Päivi Hartzell.

32.  Suuri illusioni [Grande illusion] (1984), mise en scène pour la télévision de Tuija Maija Niskanen.

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1 février 2012 3 01 /02 /février /2012 09:58

 

1.     Le chat chinois et d'autres contes (Kiinalainen kissa, 1932)

Trad. par Tiina Vainikka et Pascal Molon.

Paris : Nathan, 1992. 152p.

(ISBN 2-09-240330-3)

 

2.     Un inconnu vint à la ferme (Vieras mies tuli taloon, 1937)

Trad. par Lucie Thomas ; Avant-propos d’Aurélien Sauvageot.

Paris : Gallimard, 1e trim. 1944. 190p.

 

3.     Qui a tué Madame Skrof ? (Kuka murhasi rouva Skrofin ? , 1939)

Trad. Par Olivier Séchan.

Paris : Librairie des Champs Élysées (Le Masque, 423) [Grand prix de littérature scandinave], 4e trim. 1952. 241p.

 

4.     Jamais de lendemain (Ei koskaan huomispäivää, 1942)

Trad. par Paula et Christian Nabais.

Arles : Actes Sud (Lettres scandinaves), avril 1995. 110p.

(ISBN 2-7427-0478-7)

 

5.     Mademoiselle Van Brooklyn (Fine Van Brooklyn, 1942)

Trad. par Mirja Bolgar et André Enegren.

Arles : Actes Sud (Lettres scandinaves), juin 1992. 101p.

(ISBN 2-86869-858-1)

 

6.     Reine d’un jour – (Karina) (Kaarina Maununtytär, 1942)

Trad. par Perrin d’Agnel.

Nivelles (Belgique) : La sixaine, déc. 1946. 234p.

1e éd. 1946.

 

7.     Danse parmi les tombes (Tanssi yli hautojen, 1943)

Trad. par Jean-Luc Moreau.

Paris: Phébus (d’aujourd’hui, étranger), juin 1994. 264p.

(ISBN 2-85940-332-9)

 

8.     Sinouhé, l’Égyptien « Myrina » (Sinuhe egyptiläinen, 1945)

Trad. par Jean-Louis Perret.

Genève : Jeheber, 1947. 338p.

 

9.     Sinouhé, l’Égyptien « Merit » (Sinuhe egyptiläinen, 1945)

Trad. par Jean-Louis Perret.

Genève : Jeheber, 1948. 304p.

 

10. Sinouhé l’Égyptien I (Sinuhe egyptiläinen, 1945)

Trad. par Jean-Louis Perret.

Paris : Gallimard (Folio, 1297), mai 1990. 499p.

(ISBN 2-07-037297-9)

 

11. Sinouhé l’Égyptien II (Sinuhe egyptiläinen, 1945)

Trad. par Jean-Louis Perret.

Paris : Gallimard (Folio, 1298), mai 1990. 478p.

(ISBN 2-07-037298-7)

 

12. Sinouhé l’Égyptien (Sinuhe egyptiläinen, 1945)

Trad. par Jean-Louis Perret.

Paris : Plon, mai 1999. 636p.

(ISBN 2-259-02759-8)

 

13. Boucle d'or (Kultakutri, 1948)

Trad. par Jean-Luc Moreau.

Paris : Phébus (d’aujourd’hui, étranger), mai1997. 156p.

(ISBN 2-85940-483-X) – (ISSN 1157-3899)

 

14. L’escholier de Dieu (Mikael Karvajalka, 1948)

Trad. par Jean-Pierre Carasso & Monique Baile

Paris : (Presse pocket, 2758), mars 1987. 557p. ; dossier hist. et litt. Par Marie-Madeleine Fragonard p.561-595.

(ISBN 2-266-01914-7)

 

15. Le serviteur du Prophète (Mikael Hakim, 1949)

Trad. par Monique Baile et Jean-Pierre Carasso

Paris : Club France Loisirs, juillet 1986. 579p.

1e éd. 1985 (Olivier Orban)

(ISBN 2-7242-3029-9)

 

16. La journée des hommes libres (Ihmisen vapaus, 1950)

Trad. par Michel Chrestien.

Nantes: L'Élan, mars 1993. 23 p.

éd. 1952.

(ISBN 2-909027-12-0)

 

17. L’Ange noir (Johannes Angelos, 1952)

Trad. par Jean-Louis Perret et Andrée Martinerie.

Paris : Amiot-Dumont (Les meilleures traductions), 1954. 292p.

 

18. Les amants de Byzance (Johannes Angelos, 1952).

Trad. par Jean-Louis Perret et Andrée Martinerie.

Aix-en-Provence : Pandora, avril 1981. 331p.

(ISBN 2-86371-021-4)

 

19. Les amants de Byzance (Johannes Angelos, 1952)

Trad. par Jean-Louis Perret et Andrée Martinerie ; Préf. Par Claude Aziza

Paris : Pocket, 1999. 304p. ; dossier hist. p.307-315.

éd. 1993.

(ISBN 2-266-05371-X)

 

20. L'Étrusque (Turms, Kuolematon, 1955)

Trad. et préf. Par Jean-Pierre Carasso

Paris : Le Seuil (Points, 67), avril 1995.

1e éd. 1955 (Olivier Orban)

(ISBN 2.02.024642.2)

 

21. Le secret du royaume, Myrina (Valtakunnan salaisuus, 1959)

Trad. par Monique Baile et Jean-Pierre Carasso.

Paris : Olivier Orban (Les romans dans l’Histoire), juin 1983. 484p.

(ISBN 2-85565-209-X)

 

 

22. La viorne (Koiranheisipuu, 1960)

Trad. par Paula et Christian Nabais.

Arles : Actes Sud (Lettres scandinaves), janvier 1996. 109p.

(ISBN 2-7427-0666-6)

 

23. Le secret du royaume, Minutus (Ihmiskunnat viholliset, 1964)

Trad. par Monique Baile et Jean-Pierre Carasso.

Paris : Olivier Orban (Les romans dans l’Histoire), avril 1983. 668p.

(ISBN 2-85565-211-1)

 

 

24. Jean le Pérégrin (Nuori Johannes, 1981)

Trad. par Jean-Luc Moreau.

Paris : Presse Pocket, 4671, mars 1993. 509p.

(ISBN 2-266-05369-8)

 

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1 février 2012 3 01 /02 /février /2012 09:57

 

La Scandinavie est la région la plus au nord de l’Europe. Elle est composée d’une île, d’une péninsule et de trois pays frontaliers : l’Islande, le Danemark, la Norvège, la Suède et la Finlande. La terre des Finns, l’actuelle Finlande que traverse l’imaginaire cercle polaire, partage ses frontières avec la Suède et la Russie. C’est un large territoire qui a connu ses périodes agitées et ses drames humains.

 

La terre Suomi a porté en son sein nombre d’hommes et de femmes célèbres, tant au cœur de son histoire qu’aux sources de sa culture. Les lettres finlandaises ont donné, ce siècle dernier, un accent particulier au patronyme d’un homme méconnu en France : monsieur Mika Waltari, auteur.

 

Helsinki est la capitale de la Finlande. Dans le quartier ouvrier de cette grande ville, au 06 de la rue Saarinlemen[katu], un pasteur de 27 ans, aumônier de prison, du nom de Toimi Armas Waltari et son épouse enceinte : Olga Maria Johansson attendent la venue prochaine de leur deuxième enfant. Un fils naît, les parents le baptisent Mika. Le père lui lègue son propre prénom, Toimi. Le religieux se plaît alors à rêver que son fils Mika Toimi Waltari se consacrera aux études théologiques comme il l’a fait avant lui. C’était un samedi 19 septembre 1908.

Le jeune Mika fut le second de trois garçons. L’aîné s’appelait Samuel, le benjamin se prénommait Erkki. Toimi Waltari enseignait la religion et consacrait sa pieuse existence à sa vocation. Il décéda à l’âge de 32 ans alors que ses fils étaient encore très jeunes. Mika n’avait que cinq ans en cette année 1913. Dès lors, la vie devint plus difficile pour la veuve et les trois orphelins. Olga Waltari réussit néanmoins à scolariser les enfants tout en travaillant comme employée de bureau dans la fonction publique. Mika Waltari grandit dans une famille monoparentale entouré de ses deux frères.

De la silhouette évanescente du père absent se distinguaient deux traits essentiels de la vie future de l’auteur Mika Waltari : l’écriture et la foi. Le pasteur avait laissé deux manuscrits traitant d’instruction religieuse, et sa famille survivante gardait jalousement les lettres de ses correspondances. De plus, le professeur de théologie avait fait forte impression, non seulement sur les siens mais aussi sur tous ceux qui le connurent dans ses œuvres. De la prison à la classe où il professait, en entendant ses confrères protestants, on le disait pieux et d’une intelligence supérieure. L’empreinte que ce père laissa au souvenir de Mika marquera ce dernier toute sa vie. Probablement, l’enfant abandonné puisa-t-il dans l’image de ce père disparu l’essence de sa propre créativité littéraire et de sa longue recherche spirituelle.

 

Mika Waltari se mit à rédiger assez tôt, même si ce ne fût au début qu’un passe-temps. Le jeune auteur sentait le besoin d’exprimer ses émotions, ses sentiments du moment. Son premier émoi amoureux lui fit composer son premier poème.

Bien qu’il ressentît de la solitude du côté paternel, il vivait en harmonie avec sa mère. Des trois garçons Waltari, c’était lui qu’on surnommait « le fils de sa mère ». Tous deux se ressemblaient déjà physiquement mais la mort prématurée du chef de famille les rapprocha davantage.

De sa prime enfance, les souvenirs de guerre furent nombreux. En 1914, il n’avait que six ans mais il comprit bien vite, qu’au loin, la France et l’Allemagne se déchiraient, enflammant le monde. La Scandinavie entendait les échos de la Première Guerre mondiale venir jusqu’à elle. Trois années plus tard, suite à la Révolution russe d’octobre 1917, la Finlande proclamait son Indépendance. Peu après, la guerre civile opposait les partisans du régime soviétique (les « rouges ») et les « blancs », c’est-à-dire la garde civile du maréchal Mannerheim.

Du 07 de la rue Tenhtaan [katu], à Helsinki, où les Waltaris vivaient désormais, ce furent des instants pénibles de faim et d’insécurité… puis vint l’exil à la campagne. La capitale devenait par trop incertaine. Les premiers doutes de l’existence d’un dieu naquirent de ces époques bouleversées. La foi et, son intime, le doute logèrent l’esprit et le cœur du jeune Mika. Ils transparurent dans un grand nombre d’œuvres de l’écrivain adulte, tant dans sa prose que dans ses vers. Sans doute, furent-elles, pour ces raisons, les plus fascinantes.

Comme ses deux frères et les petits Finlandais de leur âge, Mika entra au collège d’études normales. Il s’assit quelques années aux bancs du Suomalainen Normaalilyseo à Helsinki. Mika Waltari percevait les études scolaires comme une fatalité contraignante où il fallait supporter stoïque la dureté de la discipline et l’enseignement des matières linguistiques classiques, l’histoire ou le calcul. Il ne chercha à exceller en aucune matière qu’elle fût latine ou d’histoire contemporaine. Les lettres seules lui sourirent, apportant occasionnellement l’évasion et la rêverie nécessaire à une écriture brouillonne.

Pourtant, un événement mondial allait orienter de manière décisive ses investigations de lecteur. En 1922, le tombeau de Toutankhamon était découvert. Le plus prestigieux trésor du Nouvel Empire de l’ancienne Égypte venait d’être descellé. L’engouement pour les mystérieuses dynasties du Nil emporta les quatorze ans de l’adolescent.

Pour autant, l’élève Mika Waltari était un lycéen ordinaire qui obtint sans difficulté l’examen qui sanctionnait la fin des études du second cycle (l’équivalent finlandais du baccalauréat français). Un choix grave se présenta à lui quant aux études universitaires. La mémoire de son père lui pesait. Mika W. s’engagea à l’université de théologie pour répondre au vœu posthume paternel. Dans ses moments de liberté, hors du cadre de l’enseignement religieux, il toucha sérieusement à l’écriture en fréquentant de jeunes talents dans un magazine finlandais du nom de Ylioppilaslehti. Ce magazine était dirigé par un certain Urho Kekkonen. Les premiers efforts d’auteur de Mika prirent les formes de poèmes et de petites histoires. Au cours de l’année 1925, l’oncle du jeune Waltari lui avait conté que l’Église des marins finlandais publiait des écrits à caractères religieux et gratifiait même, d’une petite somme d’argent, les meilleures œuvres. Le neveu eut envie de tenter sa chance. Deux nuits d’isolement lui suffirent et, au troisième jour, Mika Waltari présenta à la mission Suomen Merimieslâhetys, un livret intitulé Jumalaa paossa. C’est « La fuite devant Dieu » de Mika Waltari.

 

Ainsi naquit la première œuvre littéraire qui compte désormais dans la bibliographie de Mika Waltari, auteur. Il avait dix-sept ans.

Le petit recueil évoquait la divine Providence. La plaquette révélait l’alternance entre la foi et le doute d’une jeunesse hésitante. L’année suivante, en 1926, Mika Waltari vit publier sa deuxième audace d’écrivain qui élargissait, somme toute, son patrimoine intellectuel. L’ouvrage avait été appelé Kuolleet silmät, sous-titré en ces termes : Kertomuksia tuntemattoman ovilta. Plus tard, son auteur revint sur ses premières impressions enjouées de « La fuite devant Dieu ». Il en substitua l’importance au profit du second livre publié l’année d’après. C’était un recueil d’histoires satiriques grimaçantes qui présentait le défaut d’avoir été signé sous le faux patronyme de Kristian Korppi. Ce pseudonyme ne sera plus utilisé par la suite. En revanche, d’autres noms d’emprunts s’inscriront à son palmarès en plusieurs occasions pour d’ultérieurs travaux de plume.

La foi devenait une question cruciale. Le doute caractérisait une crise intérieure du développement intime du jeune penseur. Il s’était senti plus libre sous un nom d’emprunt pour dévoiler publiquement ses sentiments les plus profonds et, sans doute, les plus authentiques. Sous l’œil sévère de l’Alma parens, le jeune Waltari s’introvertissait et souffrait sensiblement. Il lui devenait vital d’écrire. C’était une façon de crier la liberté, sa liberté.

Au début de l’année mille neuf cent vingt-sept, Mika Waltari eut l’idée de produire un roman. Dès le printemps, il se trouva un petit travail pour un magazine. À ses heures perdues, il s’attablait face à son manuscrit. En l’espace de trois mois, il rédigea le premier chapitre. Au cours de l’été qui suivit, il eut l’occasion de s’éloigner de sa terre natale et d’effectuer un voyage à Paris. Il résida au 15 quai Saint-Michel, à l’hôtel de Suède où il reprit la rédaction de son roman. Durant les trois mois où il séjourna dans la capitale française, il travailla avec régularité. Il écrivait journellement dix pages, quitte à s’interrompre au milieu d’une phrase. L’auteur s’en tenait à ce rythme de travail. Lui-même expliquait qu’il lui était plus facile de continuer l’écriture le jour suivant s’il avait laissé inachevé le cours de sa pensée de la veille. L’auteur finlandais retourna à Paris l’été suivant. C’est cette même année 1928, à l’automne, que le premier roman de Mika Waltari fut mis sous presse puis publié.

 

Suuri Illusioni (trad. litt. « Grande illusion») fit de son auteur l’interprète des sentiments de la jeune génération (bourgeoise) des "heureuses années 20". Le roman devint rapidement populaire et obtint de bonnes critiques dans la presse spécialisée. Les articles présentaient Waltari Mika comme le nouveau "génie" qui fit avec brio la description de la vie de bohème, entre Finlande et France, d’une jeunesse rebelle. L’œuvre fut vite adaptée en langues norvégienne, estonienne et suédoise. « Grande illusion » fut un des plus grands romans finlandais des années d’après-guerre. De son côté, Mika Waltari n’aimait guère le postulat de "génie" sitôt établi le succès de Suuri Illusioni.

La littérature finlandaise gagnait en lui quelque chose d’un Hemingway ou d’un Scott Fitzgerald. Dans l’œuvre reconnue, son talentueux auteur décrivait sa "génération perdue" de la Première Guerre mondiale. Il utilisait les contextes contemporains des écrivains auxquels on le comparait plaisamment, laissant s’exprimer l’humeur générale des années vingt. Le tango y était le cadre musical. Il servait d’interprète à l’exotisme (la France, Paris) de l’existence des nantis de l’époque. La nouvelle génération s’éprenait de passion et de musique. La vie revêtait des habits de fête permanente.

Cette soudaine renommée européenne permettait à Mika Waltari de se destiner à l’écriture.

Parallèlement aux études universitaires, Mika Waltari se lia d’amitié avec de jeunes espoirs de la littérature finlandaise : Katri Vala, Uuno Kailas, Unto Seppänen entre autres noms fameux. Ensemble, ils fondirent un club d’auteurs dit Les Porteurs du flambeau. Ils publiaient avec soin un journal privé qui portait leur nom, le Tuteukantajat. Poètes pour la plupart, le groupe de penseurs avaient des idées modernes pour leur époque ; ils souhaitaient ni plus ni moins réformer les lettres finnoises. Le cercle littéraire célébrait surtout la vie urbaine dans leurs écrits. Ils essayèrent même, un temps, d’introduire le futurisme russe et italien dans leurs œuvres. Les influences furent mutuelles. Le groupe porta sur les premières réalisations de Waltari, alors qu’il faisait déjà figure de proue pour Les Porteurs de la flamme littéraire. Waltari passait pour être le moins prosaïque des hommes de ce club.

Sa participation ne se limitait pas à sa seule présence. Valtatiet, un recueil de poèmes compta parmi les travaux de Waltari. Le livre fut pourtant écrit en duo avec Olavi Paavolainon, cette même année 1928. La musique était encore à l’honneur. À la place de la nostalgie suscitée par le tango, la poésie marquait les sentiments exhibitionnistes et bruyants d’une génération qui se montrait dans les sonorités claires et un peu folles du jazz.

En aparté, on peut faire la discrète remarque que les ouvrages de Mika Waltari se nourrissaient des idéaux de sa jeunesse. Ces époques agissaient largement sur l’homme en tant de contemporain. Mais revenons au jeune étudiant de l’université d’Helsinki.

Auteur et escholier de Dieu, Mika se rendait compte qu’il n’était pas à sa place à l’université de théologie. Cet enseignement ne lui convenait pas, ou plus. Parmi les étudiants de la religion, le jeune auteur était regardé comme un révolté. Une réputation de soufre le suivait, voire le précédait. Dans les îles du golf de Finlande, il avait participé à des journées de prédications qui préfiguraient Mika-El Hakim. De plus, son recueil d’histoires horribles et grossières Kuolleet silmät, avait été découvert par les enseignants. Les pères religieux tinrent conseil et songèrent probablement à une expulsion. Peut-être pensa-t-on à un acte d’hérésie.

L’étudiant Waltari trouva, de son propre chef, une place qui convenait mieux à sa disposition d’esprit. Malgré le désaccord d’Olga Waltari, sa mère, le fils choisit de se consacrer aux études philosophiques, esthétiques et littéraires. Il poursuivit dès lors ses études à l’Helsingin Yliopisto jusqu’à l’obtention de la maîtrise de lettres en 1929 et une licence de philosophie et d’esthétisme.

 

Depuis 1927, Waltari voyagea de nombreuses fois en France, mais aussi en Europe (Italie, Turquie, Israël) où il puisait une inspiration qui germait lentement en lui. Il visitait les musées et amassait une abondante documentation qui lui autorisa plus tard de devenir "un" spécialiste des sujets politico-historiques qui l’attiraient. À Helsinki, il ne cessait de publier des récits de voyages romancés souvent nés de son expérience propre. L’un d’eux, rédigé en 1929, est quelque peu connu. Il porte le titre d’Yksinäisen miehen juna.

Pour les enfants en âge de lire de belles histoires de princes, Mika Waltari composa un gentil recueil de contes de 161 pages, écrit en 1927 mais édité en 1929 : Dshinnistanin prinssi. La polyvalence de son écriture le rendait accessible au plus grand nombre, petits et grands.

Quatre ans après une crise sentimentale violente vécue en France (à Carnac), alors qu’il était étudiant en visite à Paris, Mika Waltari trouva la sécurité d’un foyer et d’une épouse en l’année 1931. Il fit, en effet, la rencontre de Marjatta Luukkonen, fille d’un ancien médecin chef des services humanitaires des armées. Du couple naquit en 1932 une fille baptisée Satu ; elle-même future femme écrivain. Les jeunes parents occupèrent plusieurs domiciles à la recherche de celui qui conviendrait le mieux. Ils s’installèrent enfin dans un quartier de la capitale, au 13 rue Tunturi, dans le Töölö. Afin d’assurer une sécurité financière à la petite famille, l’auteur en vogue trouva un emploi de journaliste, critique littéraire et traducteur dans plusieurs quotidiens et journaux dont le plus connu était Maaseudun Tulevaisuus, de 1932 à 1942. Dès le début des années trente, les rédactions de Waltari moralisent et deviennent plus sérieuses qu’auparavant.

L’écrivain était considéré comme « auteur de la ville », particulièrement la capitale. Son attirance pour l’urbanisme et le développement humain laissa une muse amère en 1931 : Appelünsiemen. L’orange est un fruit à pépins. Cependant, des travaux de plume au ton plus grave prirent pour titre urbain "la trilogie d’Helsinki "… En 1933, Mies ja haave débute l’aventure d’ « Un homme et [de] son rêve ». Le grand roman prend date en 1869. L’histoire laisse la « Flamme d’une âme » éclairer le deuxième volume : Sielu ja liekki (1934). Le dernier volet : Palava nuoruus, publié en 1935, clôt, par « L’ardeur de la jeunesse » l’évolution de cette histoire dynastique en l’an 1933.

Un recueil d’un seul volume reprit cette trilogie de « Joies et de peines à la ville » sous le titre unique de Surun ja ilon kaupunki en dix neuf cent trente-six. En quelques mots, il s’agit de la vie laborieuse d’une famille installée à Helsinki qui témoigne de la croissance et de la modernisation de la grande cité.

Au début des années 40, la réédition de ladite trilogie évoqua de manière plus ponctuelle cette aventure « De père en fils » : Isäätä poikaan (1942).

L’écriture de ce pan d’histoire propre à Helsinki à l’ère des machines modernes tenait à une anecdote. Ce fut en effectuant des recherches généalogiques sur la famille Waltari que l’idée de cette romance à cheval sur deux siècles vint à l’esprit pratique de Mika Waltari. Le souvenir d’un père disparu trop tôt taraudait toujours le jeune homme. L’écrit demeurait dans l’absolu un exutoire curatif. Durant cette première partie des années 30, le besoin de s’exprimer passa par un moyen déshonnête déjà usité. Sous un pseudonyme nouveau Kapteeni Leo Rainio, Mika Waltari écrivit d’autres romans d’aventures comme coauteur avec Armas J. Pulla. Peut-être perçut-il dans le prénom de son ami l’ombre nostalgique du clergyman. Mika Waltari fut, de toute évidence, un versificateur et un prosateur productif. Il écrivait en moyenne un livre l’an.

Sa plume se prêtait à tous les styles d’écriture : poèmes, nouvelles, articles, romans. Il fit également don de textes pour le 9e Art.

Sous le patronage d’Atso Alho, une bande dessinée réunit les deux talents : Kieku ja Kaiku (1932). Mika W. reconnaissait volontiers que sa forme d’écriture favorite était l’histoire courte.

Les enfants eurent à nouveau leur part de contes et nouvelles en 1932. Un volume intitulé Künalainen kissa ja muita satuja (trad. « Le chat chinois et autres contes ») fut édité à leur intention. C’était leur deuxième rendez-vous avec l’auteur suite à Dshinnistanin prinssi en 1929.

Ces travaux d’écriture coïncidèrent avec des tâches plus "ordinaires" de coéditeur et rédacteur en chef au quotidien illustré Suomen Kuvalehti (L’Illustration de Finlande) leader du marché. Mika Waltari n’y restera que de 1936 à 1938. Par ailleurs, il devint directeur de diverses Collections et Revues thématiques. Il était attaché à la section littéraire des éditeurs W.S.O.Y. à Helsinki. Il était aussi traducteur, il maîtrisait correctement le français. Sans oublier qu’il restait au journal Maaseudun Tulevaisuus où il demeurera jusqu’au début des années 40.

L’impact du groupe des porteurs du feu qui voulaient « ouvrir les portes de l’Europe » à la Finlande décrut au cours de ces années 30. Le cercle littéraire cédait peu à peu sa place à La Cale. Küla était un groupe concurrent engagé politiquement à gauche. Les convictions de Mika Waltari s’étaient déjà tournées vers le parti de la coalition nationale (les ultra conservateurs).

Le théâtre appela également le talent de Waltari. À deux reprises, par le passé, le dramaturge rédigea des pièces pour la scène dont, par exemple, Yö yli Euroopan (1934). En 1937, trois nouvelles pièces furent interprétées au Théâtre Nationale d’Helsinki. L’une d’elle, Akhnaton auringosta syntynyt, ce qui signifie « Akhénaton, fils de Râ », servit pour une grande épopée antique. C’était un sujet que la découverte de la tombe royale du Dieu Soleil Aménophis IV ne laissa d’intriguer M. Waltari. Le succès réel des planches ne satisfit pourtant pas son créateur qui se proposa de transcrire la pièce en un roman. Si l’année 1937 fut féconde en pièces de théâtre, elle consacra définitivement le patronyme de Mika Waltari dans l’Europe toute entière. Un succès, jusqu’à ce jour sans précédent pour l’écrivain de la ville, emporta sa renommée au-delà des frontières de Suomi. Cette nouvelle-ci fut sans doute la plus fameuse.

Étonnement, ce fut sous un nom d’emprunt que l’œuvre fut rendue public. La société Otava organisa un concours auquel participa anonymement Mika W. en envoyant deux textes distincts sous couvert de deux faux noms différents du sien. Vieras mies tuli taloon fut déclarée lauréate et obtint le 1er prix. « L’étranger vint à la ferme » fut aussitôt publiée et devint si populaire qu’elle fut adaptée en quelque dix-sept langues étrangères, telles l’anglais, le suédois, l’allemand. C’était assurément le plus grand succès de littérature d’après la guerre d’Indépendance de 1917-1918 en Finlande. Néanmoins, la nouvelle suscita une vague de contestation contraire au mouvement du succès. Celle-ci était jugée trop violente et tout à fait immorale. Certes, il y était question de deux assassinats impunis, dont l’un à coups de hache répétés, ainsi que d’un adultère sanglant qui donnait la vie à un enfant illégitime.

Mika Waltari se soumit aux critiques les plus dures et écrivit alors un « Dernier acte » apaisant pour la morale du peuple : Jälkinäytös. Ultérieurement, les deux livres furent publiés en un seul volume.

L’influence de Mika Waltari sur les lettres finlandaises a été importante. Par sa polyvalence, son autorité peut être reconnue en maints aspects de la littérature. Son, sinon, ses succès ont démontré qu’il était possible pour un auteur de langue finnoise d’atteindre la reconnaissance internationale.

 

Pour l’heure et en Finlande, les lecteurs assidus de Mika Waltari découvrirent une facette nouvelle de son grand talent dans un genre consommé, l’énigme policière. Un personnage typique d’Helsinki naît du génie de l’homme qui sera récompensé par des prix à l’étranger pour sa création. Sous le titre générique du Komisario Palmu, plusieurs enquêtes criminelles fidélisèrent de nombreux lecteurs. En 1939, « Kuka murhasi rouva Skrofin ? » donna sa carrure à une figure littéraire en la personnalité attachante du Commissaire Palmu. « Qui a tué madame Skrof ? »  fut suivi l’année suivante de « L’erreur du commissaire Palmu ». Komisario Palmun erehdys (1940) était un mystère qui mettait en scène une bourgeoisie décadente dans le quartier de Rygseck dans la capitale finlandaise. Par la précision de l’atmosphère de ses romans policiers, Mika Waltari permit de (re)connaître sa capitale comme il la voyait évoluer. Helsinki se personnifiait, prenait figure humaine, et se dotait même d’une âme consistante de conscience et d’inconscience. De tels propos tenus par ses contemporains faisaient là l’éloge de l’auteur des aventures du Komisario. Malheureusement, l’année 1939 annonça une cruelle réalité. L’Allemagne nazie s’élançait à la conquête du monde. La folie des hommes enfantait un second conflit international.

Pendant la guerre, Waltari travailla activement aux Services de Relations Publiques d’État. Il y rédigea quantités d’articles de propagande et dépêches d’actualité. Il écrivit notamment des textes sur les évènements guerriers, souvent authentiques et dénonciateurs. L’hiver 39-40, la Finlande combattit l’Armée rouge. Elle y perdit la Carélie. De 1941 à 1944, les Finlandais s’allièrent au IIIe Reich pour lutter contre l’U.R.S.S. Le rêve de l’écrivain s’écroulait. L’idéal et la réalité ne faisaient pas bon ménage. Toutefois, Mika Waltari trouva le temps de réaliser une trentaine de textes : des scripts de films, des nouvelles, des romans, des pièces de théâtre. Tout cela, sans omettre son engagement pour les services d’information du gouvernement, dénote d’une singulière frénésie de l’imagination. La situation politique de la Finlande, entre ses deux voisines suédoise et russe, servit de thème pour deux romans historiques sentimentaux.

Les œuvres de Waltari trouvèrent un nouvel élan quand certaines d’entre elles furent traduites sous l’occupation allemande dans les langues parlées sur les territoires occupés, et dans les langues des pays alliés à la Germanie. « Jamais de lendemain » aurait pu être une sentence éclairée en ces jours de misère humaine. Ce fut le titre d’une histoire courte, Ei koskaan huomispäivää, édité sous les feux de la guerre en 1942. Cette même année, le Mika étudiant se souvint de sa première crise érotico sentimentale éprouvée en France l’été 1928. De cet examen de conscience naquit une pétillante aventure tragi-comique intitulée Fine Van Brooklyn. D’un style bien à lui, l’auteur finlandais mûrissant développe avec caractère une ironie spirituelle sereine qui moquait volontiers sa propre inexpérience. Mademoiselle Joséphine Van Brooklyn renforça sa réputation dont les amateurs d’aujourd’hui connaissent toute la flamme littéraire de l’homme. Ce qui aurait pu, à Carnac, décider de sa vie en y mettant violemment un terme par le suicide, attendit son heure de gloire pour exorciser une "erreur de jeunesse".

La guerre faisait durement manquer du nécessaire quotidien. On ne frappait plus monnaie. Des écrits de Mika Waltari destinés à être interprétés au cinéma ne trouvèrent pas leur achèvement durant le conflit armé. Leur auteur en fit des romans historiques. Le plus célèbre portait le titre de « Karine, fille de Maun » Cette histoire fictive dans une histoire bien ancrée dans la réalité relatait la vie d’une fille de soldat, gardien de prison, qui devint « Reine d’un jour », puis dut subir l’exil en terre des Finns à la mort de son époux royal Erik le Quatorzième de Suède.

 

Quand l’histoire romancée a ses rebondissements, l’histoire historique a ses crises durables. Sous l’occupation russe, les travaux les plus engagés de Waltari devinrent des sujets politiquement brûlants, susceptibles de briser le fragile équilibre d’une paix naissante, ou du moins d’une période d’accalmie après 1945. Tout le citoyen militant en guerre qu’il était à Helsinki, au service des renseignements de l’État, Mika Waltari avait réuni une impressionnante documentation sur l’occupation des pays circonvoisins la Baltique et l’ "espionnage" soviétique. Il en composa une pièce à conviction titrée Neuvostovakoilun varjossa en 1942. Cette dernière n’a pas été jugée réimprimable après la signature de l’armistice avec l’Union soviétique. Le livre fut même retiré des bibliothèques et librairies.

C’est dire toute l’acuité intellectuelle du célèbre romancier. Une telle perspicacité sur l’histoire de son pays l’entraîna à créer un scénario de film pour le grand écran en 1944 : Tanssi yli hautojen. « Danse parmi les tombes » ne sera produit pour le cinéma qu’en 1950 par un réalisateur en voie de renommé Toivo Säkkä. Cette œuvre filmique et littéraire à la fois n’estompa nullement l’intérêt de l’œuvre historique Rakkaus vainoaikaan écrite l’année précédente en 1943.

Pendant, puis après, la Deuxième Guerre mondiale, Mika Waltari découvrait qu’un grand nombre de ses ouvrages historiques écrits jusqu’alors exprimaient une vision intime et pessimisme du monde chrétien. Les thèmes qui revenaient le plus souvent étaient le triste destin des valeurs humaines dans un monde épris de domination et de matérialisme. La guerre de 41-45, en Finlande, marqua une étape décisive dans ses réalisations de penseur. Il avait compris que le royaume céleste ne s’imposerait pas sur la Terre. La création du roman historique waltarien correspond à cette époque transitoire ; période de destruction où les petits territoires ne paraissaient guère que des jouets dans le théâtre des grandes nations.

Désormais, ses œuvres remarquables seront grandioses. Elles témoigneront des grands bouleversements qui touchèrent l’Occident et l’Orient, ces deux parties du monde.

 

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Le premier choc culturel qui jaillit de la plume de Mika Waltari sous la forme d’un roman fleuve s’intitula Sinuhe Egyptiläinen (1945). Ce magistral travail d’imagination répondait à une frustration du dramaturge qui avait peu goûté au succès mitigé de sa comédie jouée en 1937 : Akhaton auringosta syntynyt. Il n’avait pas été satisfait de la pièce et il avait décidé de se servir du synopsis comme d’un canevas pour la réalisation future d’une grande épopée romanesque. Bien que le romancier en eût l'idée près de dix ans avant le Second conflit mondial et qu’il effectua la plupart de ses travaux de recherche avant la guerre, cette dernière eut une grande influence sur la manière dont Waltari pensa la rédaction de Sinouhé. La soudaineté et la violence de la guerre fit manquer de nombreux rendez-vous entre l’écrivain d’Helsinki et ses publics finlandais et européens. Mais en 1944, l’espoir de toutes les nations renaissait. En Finlande, les situations sociale et économique, bien qu’à l’état de vides n’en étaient pas moins favorables. Sous la présidence du baron Mannerheim, chaque individu participa à la reconstruction et à l’élan économique selon ses compétences. Dès le printemps 1944, sitôt libéré de ses devoirs de citoyen mobilisé, Mika Waltari reprit ses activités privées d’écriture, laissant pour toujours celle d’objecteur de conscience. Un trésor antique serré dans un recoin de sa mémoire lui tenait encore à cœur… celui de l’« hérétique » Aménophis IV.

D’une inspiration créatrice peu commune, un roman fleuve naquit tel un Nil généreux creusant son lit fécondant sur les terres arides d’un pays inexploré. L’œuvre prit sa source dans la discrète pénombre d’une villa campagnarde qui demeure encore aujourd’hui accessible aux curieux. Dans un demi-jour propice à la réflexion méditative, Mika Waltari s’installa à l’étage et résida l’été 45, durant les quelque 120 jours que nécessita la composition du manuscrit « Sinouhé l’Égyptien ». Le roman ne sera édité en langue francophone qu’en 1947. Tous les ouvrages traitant d’égyptologie, toutes les pièces archéologiques exposées dans les différents musées nationaux que le trouveur finlandais visita, toutes les collections de l’Égypte ancienne survivantes du passé s’incarnèrent à tout jamais dans les quelque 800 pages de l’édition originale finnoise, présentée au public en deux tomaisons.

Waltari s’y adonna d’un travail acharné jusqu’à perdre peu à peu le sommeil. Parce qu’il rédigeait sans autre support que son excellente mémoire, d’une écriture assurée et vive, cet exercice d’imagination prenait lentement corps sur lui. Dans le séjour de son petit espace où se jouaient tous les destins historiques des mondes orientaux et occidentaux, Mika Waltari devenait, malgré lui, insomniaque.

 

 

Il conviendra au lecteur d’épargner à ce « maître » une fausse réputation injustifiée. L’énorme potentiel productif de Waltari eut forcément des effets pervers sur sa santé. On constate que sa méthode d’écriture a changé depuis Fine Van Brooklyn (1942). Le caractère propre du roman historique, par sa quête d’authenticité, nécessitait une application nouvelle de rédaction et une différente gestion du temps à son emploi. Lors d’une période réduite d’une concentration psychique intense, la surcharge de travail appelait chez Waltari un palliatif puissant. La lourde tâche de composition manuscrite achevée, l’homme surmené décompressait en « fêtant » entre guillemets, l’événement jusqu’à parfois trois jours de suite. Pour les pertes d’ensommeillement, il lui fallait aussi une longue rééducation surveillée en milieu clinique. Chaque fois que ce fut nécessaire, il fut traité pour ces raisons de reconstruction de son état de santé. Il n’y a nulle place ici pour accabler le « génie » d’Helsinki d’un quelconque alcoolisme pathologique.

Par ailleurs, la guerre meurtrière aurait eu plus d’impact sur son système nerveux, s’il ne s’était lancé dans le deuxième conflit mondial de toutes ses forces d’intellectuel engagé.

 

Pour autant qu’il puisse être analysé dans ses écrits, la Seconde Guerre mondiale fut une crise internationale qui eut un effet durable sur les thèmes récurrents de ces grandes fresques historiques waltariennes. Il est acquis qu’en filigrane à ses romans, dont « l’Égyptien » est sans doute le premier pas expressif, se dessine le conflit constant entre l’idéal qui dynamise l’Homme et une réalité cynique qui le heurte. Cette problématique masquée perdura dans d’autres de ses écrits d’après-guerre qui furent aussi célèbres que le Sinouhé.

L’auteur a d’autant plus de mérite concernant l’exactitude historique de la seconde période intermédiaire de l’Égypte antique, c’est-à-dire 1300 ans avant Jésus-Christ, que l’homme ne s’était jamais rendu en personne sur les rives du Nil y constater les vestiges. La reconnaissance du chef-d’œuvre de l’écrivain finlandais fut internationalement unanime. À titre d’exemple, « Sinouhé l’Égyptien » était un des livres favoris de feu le Président Gamal Abdel Nasser d’Égypte.

Avant d’être adoptée sur la terre des pharaons modernes, le récit fut d’abord adapté en langue suédoise, sitôt sa publication en finnois. De cette première version suédoise, une autre, anglo-saxonne, fut proposée par Walford Naomi en 1949. Bien d’autres pays étrangers approuvèrent « Sinouhé » en l’intégrant à leur culture littéraire. Citons, par exemple, le Japon, Israël, la Slovénie ou la Thaïlande pour les plus éloignés du système de pensée scandinave. En général, les livres de Waltari ont été portés à la traduction, puis à l’exportation culturelle plus que tout autre ouvrage de quelconque auteur de langue finno-ougrienne.

Ces principaux écrits d’après 1945 ont tout de même été traduits en plus de 30 langues de part le globe. Si l’on peut dire que l’homme était assez connu dans toute l’Europe pour ses poésies et prosodies précédemment diffusées, et ce avant 1945, son incontestable succès d’auteur mondial débutait avec la parution en librairie de Sinuhe Egyptiläinen. Pourtant, de nos jours, Mika Waltari n’est quasiment jamais associé, dans l’esprit des lecteurs, à la terre des Finns. Il s’apparenterait plutôt à la grande famille des figures de la littérature mondiale ainsi que les lauréats des prix Nobel de Littérature (tel son compatriote Frans Eemil Sillanpää, l’été 1939, auteur de « Silja ».

Les livres les plus populaires de Waltari évoquent d’importantes périodes historiques de l’Occident décadent et de l’Orient conquérant, comme l’Égypte, puis, plus tard, la Rome ancienne, l’Europe du XVe siècle, le Proche ou le Moyen Orient. Les époques troubles qui servent le sujet des romans participent à délocaliser l’historien de sa terre natale, sauf bien sûr dans Mikael Karvajalka (1948).

 

L’histoire de Sinouhé se déroulait entre 1390 et 1335 ante Domini, dans l’Égypte ancienne. Un enfant en bas âge, né prématurément de mère inconnue fut placé dans un panier d’osier de facture particulière. Le couffin improvisé du bébé vagissant fut abandonné nuitamment sur le bord du Nil. L’épouse sans enfant d’un médecin plébéien recueillit le nourrisson, le baptisa Sinouhé et l’éleva comme le sien. Plus tard, l’enfant Sinouhé choisit la voix sociale de son père adoptif ; il se présenta au temple afin d’être accepter comme élève médecin. Si sa vocation le conduisit à devenir Trépanateur du pharaon, son existence d’homme le fit errer à travers des crises politiques dues souvent à cause des mêmes protagonistes féminins qui furent ses d’amours impossibles. Il côtoya aussi bien le bas peuple que la haute lignée dynastique, passant tour à tour de l’enfer des momifications à la splendeur de la cour d’Aménophis IV, le pharaon monothéiste, mieux connu sous le patronyme religieux d’Akhénaton, fils d’Aton. Sinouhé fut à la fois condamné à l’exil sous Aménophis III, puis à l’espionnage contraint sous le règne de l’héritier des deux Égyptes. Il apprendra à ses dépens la dureté des hommes qu’ils fussent Hittites, Crétois ou Égyptiens. La longue vie du médecin El-Hakim Sinuhe est un majestueux tableau historique qui recoupe deux règnes pharaoniens, peignant de façon réaliste et parfois crue leurs intrigues politiques et les mœurs secrètes de la caste religieuse du XIVe siècle ante Domini.

Le roman veut témoigner de la montée d’un culte théiste avant-gardiste qui tenta de renverser l’ordre cosmique séculaire établi par des prêtres rompus aux arcanes du pouvoir et emprunts de matérialisme. Impuissant, l’Égyptien Sinuhe assista au complot qui ruinera les projets grandioses de réforme spirituelle de l’ancienne Égypte d’Aménophis IV, fils de Râ. Le Pharaon fut assassiné ; les anciennes valeurs déistes furent réinstaurées. Le prêtre Äi, père de Néfertiti, puis le commandant de l’armée, Horemheb, prétendants aux charges du trône se succédèrent alors, répétant les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs. Le médecin Sinouhé avait trop vu et trop bien compris ; il subit un dernier exil à vie, d’où il rédigea ses mémoires de vieil homme.

 

Sur les franges de l’Histoire, Mika Waltari revendiquait à la lueur de l’érection des civilisations, une ultime quête spirituelle. Waltari/Sinouhé nous adressait ses réflexions philosophiques sur la liberté des êtres, le pouvoir des minorités nanties, l’ambiguïté des femmes, l’injustice des destinés que l’on croyait écrites et la brutalité de la réalité quotidienne.

Hélas ! La récente réalité finlandaise liée au sort du monde exhibait cette même désillusion du lambda finlandais. La bourgeoisie d’Helsinki s’était résignée dans l’effondrement de ses valeurs ancestrales. La défaite de leurs armées jusqu’à l’annexion d’une partie de leur territoire par l’ennemi laissa en eux plus que de l’amertume. Plusieurs messages égrènent les chapitres de ces deux volumes de « L’Égyptien Sinouhé ». Le tourbillon de la guerre qui bouleversa les continents influença durablement la vision du monde de l’auteur. Le ton général emprunté est au pessimisme, sans doute, à cause de l’engagement armé, de tous ces morts, de toutes les destructions que l’actualité finlandaise rendait encore palpables.

Waltari avertissait ses lecteurs tout au long de ses pages de prendre garde à l’adhésion aveugle aux idéologies. À son avis, les meilleures intentions des uns pouvaient être reprises et dévoyées par d’autres. D’un autre côté, il voyait qu’un engagement trop intimiste nuisait et créait des conflits de personnes aux opinions divergentes. Un tel comportement exalté rendait sourd aux autres formes de pensées. Ces conflits idéologiques qui différaient conduisaient trop facilement à l’anéantissement. Ces quelques traits moraux étaient lisibles autant dans la fiction romanesque que dans les événements qui menèrent l’Europe à embraser le monde. Dans la conduite du personnage Horemheb, par exemple, l’écrivain dénonçait l’opportunisme accolant à un mouvement idéaliste. Bien que certaines actions aient pour but d’améliorer le sort d’autrui, des altruistes s’immisceront dans ces projets portant la destruction de ces mêmes actes bienfaiteurs.

À la lecture de l’œuvre magistrale que représente « Sinouhé l’Égyptien », une sentence itérative attire l’attention du lecteur : « C’est ainsi, et ainsi demeurera… ». Rien ne semble destiner à évoluer. Impossible de tirer un quelconque enseignement des erreurs des autres. Waltari semblerait laisser entendre que la longue histoire de l’humanité ne se développerait pas vers une amélioration, comme nous serions enclins à le croire. Génération après génération, les mêmes comportements fautifs se reproduisent chez l’adulte. Les défauts au XIVe siècle ante Domini, en Égypte, se répétèrent dans l’Europe du 20e siècle après Jésus-Christ.

À moins que la leçon reste instruite pour les générations à venir.

La sagesse s’acquerrait de par une longue expérience. Le quotidien serait alors une école qui enseignerait inlassablement les éternels leçons à ses successives classes de jeunes apprentis. Peut-être est-ce, en ces termes, le trait optimisme qu’il faut tirer de cette aventure pharaonique. Sur l’heure, il est faux de penser que le livre est optimiste. Sinouhé/Waltari sut prendre le ton mélancolique d’un vieux sage qui s’est vu destiné au doute sur les valeurs humaines et à une existence errante.

Le roman historique fut adapté pour les salles obscures huit années plus tard. Les studios d’Hollywood n’ont pourtant pas su restituer la force de l’œuvre dans l’omniprésence de son auteur. « Le Roman de Sinouhé » fut une étape cruciale dans la vie de Waltari. Il marquait le réalisme existentiel d’un choix idéaliste qu’un jeune garçon de 17 ans fit un jour, malgré les réticences de son entourage.

 

Il serait injuste de passer sous silence les qualités de Mika Waltari. C’était un acteur prolifique qui abordait volontiers tous les genres de l’écriture. À plusieurs reprises, Waltari fut sollicité par des réalisateurs de films. Sa renommée dépassait largement les seules sphères académiques lettrées. Au cours de l’année 1944, avant de s’isoler chez ses beaux-parents à Kalho, le romancier fut appelé par une autre célébrité en vogue, Valentin Vaala, afin de constituer un travail d’écriture pour le 7e art. Le produit de leur collaboration fit merveille. Waltari décrivit, avec impudence pour la morale des bonnes gens, le portrait d’un hardi séducteur qui craquait amoureusement pour tout ce que femme représentait de biens argentés. Lors de sa sortie en 1951, le film fut aussitôt classé parmi les chefs-d’œuvres finlandais du cinéma. Gabriel, tule takaisin (1944-45), car il s’agissait de ce charmeur angélique surréaliste, était l’expression cynique du réel talent de l’auteur de la capitale. Ce ne sont pas moins de trente trois scenarii de filmographies qu’il permit de porter à l’écran. Outre les trois sujets composés autour de l’identité du Komisario Palmu et les adaptations de ses œuvres romancées d’entre les deux guerres, citons par exemple : Seitsemän veljestä (1939) ; Kuriton Sukupolvi (1937) ; Kulkurin valssi (1940) ; Jokin Ihmisessä (1944). D’autres suivirent, comme Feliks onnellinen (1958) renforçant de main de maître le patrimoine culturel de la Finlande.

« Sinouhé l’Égyptien » était à peine achevé, le manuscrit prêt à être confié aux bons soins de ses éditeurs, que déjà M. Waltari entama, dans la foulée, la rédaction d’une nouvelle amusante, pleine d’anecdotes sur sa vie privée. Dès l’automne 1945, il s’abandonna dans un récit pittoresque écrit à la première personne. C’était un cliché où se mêlaient la confidence pudique et l’autodérision. Dans les pages de Neljä päivänlaskua, monsieur [Waltari] se mit en scène dans le décor rupestre de sa villa, où il racontait sobrement comment, cet été passé 45, il vécut en symbiose parfaite avec ses phantasmes égyptiens. La formidable machine à remonter le temps que fut son imagination l’avait transporté de l’ère moderne au siècle antique. Au mécanisme s’additionnaient bien souvent l’essence dynamisante d’un parfum, les linéaments d’un visage, le contraste ombré d’une silhouette féminine qui apportaient cette petite étincelle créatrice sur son émotionnel en quête. L’énamouré se revitalisait sans cesse de ces principes actifs exotiques, sinon « érotiques ». La douce monotonie de sa vie de couple et de parent avec Marjatta et Satu, sans les accabler nullement, cloisonnait ses besoins de rêverie. Il lui fallait s’extraire de la réalité du monde qui l’entourait jusqu’au terme réussi d’un roman. Waltari se souvenait de ces amourettes sans lendemain qui projetèrent efficacement leurs ombres sur ses grandes fresques historiques.

 

Malgré les atrocités dues aux différentes luttes armées qui avaient provoqué en Mika Waltari un sursaut d’indignation et l’envie d’exprimer des sentiments contenus jusqu’alors, une vie quotidienne plus sereine et enjouée reprit ses droits à Helsinki. L’année 1945 fut un calendrier fort en émotions et d’énergie constructive. Elle préfigurait le ton des années à venir riches en comédies, en films et romans historiques et policiers.

D’ordinaire, l’hiver est une saison où la terre nourricière se repose, chez les Waltaris, c’était une période qui pouvait être féconde. Durant l’hiver 45-46, une pièce de théâtre fut rédigée. C’était une pièce humoristique en 4 actes appelée Omena putosa, jouée pour redonner le goût de vivre aux compatriotes. Les comédies exprimaient l’esprit ludique de leur auteur. Ce fut également un besoin vital d’après-guerre pour tout le peuple finlandais qui adhérait largement à l’esprit du dramaturge. Valentin Vaala, qui avait dirigé « Reviens, Gabriel ! », produisit la pièce de son ami en 1952. Elle faisait suite à une précédente portée à l’écran cette année même. Noita palaa elämään avait été interprétée dès 1945 et tint l’affiche jusqu’en 1946. Deux autres pièces furent créées au cours de l’année 1947. La première s’intitulait Elämän rikkaus, jouée en 48, mais écrite en 47, la deuxième : Portii pimeään. Le dramaturge avait aussi beaucoup de choses à dire à ses contemporains et à leur faire partager. Son public du théâtre national d’Helsinki lui revenait gentiment. À Paris, à cette même période, la Finlande signait le traité de Paix avec les Alliés. J. K. Paasikivi était devenu, depuis l’année précédente, le président du peuple finnois.

Pour diversifier ses formes d’écriture Waltari se remit à la rédaction d’une nouvelle. Trois ans après « Sinouhé l’Égyptien », le nouvelliste défraya à nouveau la chronique dans les salons mondains. Kultakutri fut accueillie fraîchement, sinon avec dépit. C’est une nouvelle à l’écriture épurée, voire symptomatique, qui fit scandale dans la société bourgeoise survivante au bouleversement des deux dernières guerres. Sans similitude aucune, ce fut le même accueil mitigé que pour le Sinouhé. Les critiques ne se faisaient plus dénigrantes, elles furent simplement absentes. « Nul n’est prophète dans son pays ». Surtout quand celui-là était tenu en bride par une caste sociale puritaine. Cette histoire courte adoptait la forme classique chez l’auteur de la confession autobiographique d’une femme qui prenait le risque de s’exposer à la vindicte populaire.

Puis revint le temps où la renommée véritable de l’auteur de la capitale refit surface naturellement. Les esprits échauffés s’étaient peu à peu calmés. Une autre génération d’hommes prenait probablement le relais. Comme un malheur n’arriverait jamais seul, le public français ne découvrira cette nouvelle douloureuse que cinquante ans plus tard. Certaines nouvelles corrosives comme le fut « Boucle d’Or » furent d’abord refusées par les éditeurs timorés de l’époque. Ces derniers les trouvaient obscènes et vulgaires. À tel point que Mika Waltari en publia un certain nombre lui-même, évitant ainsi la perte de documents sociaux précieux.

Mika Waltari se plaisait à toucher du doigt les périodes difficiles et cruciales qui bouleversèrent les idées de l’Humanité sur elle-même. Sa tâche consistait à souligner la fragilité du destin de l’être dans les crises spirituelles et/ou idéologiques. Dans de nombreux romans historiques waltariens, un thème récurrent trahit la quête d’identité du personnage central. Dans la majeure partie de ces fresques à la Delacroix se révèle une particularité dans l’état civil du héros. Celui-ci n’a pas de père (et voire même n’a pas de parents légaux du tout). Une telle solitude se relit dans l’existence du romancier. L’absence indélébile de son père semble l’avoir marqué jusqu’aux caractères les plus profonds de ses personnages de fiction. Waltari était un homme du monde moderne qui ne cessait de chercher, d’interroger le passé, d’aspirer à découvrir sa vérité. Son Graal nordique s’appelait Toimi. Ses ouvrages témoignent, pour la postérité, de cette quête tâtonnante de l’identité du géniteur afin de se l’approprier. À l’écriture de ce nouveau morceau d’histoire, Waltari établit alors des nouveaux décors et d’autres protagonistes dans l’Occident de la Renaissance au tout début du XVIe siècle ap. J.-C.

 

Comme avec Sinouhé, Mikael Karvajalka (1948) est désormais un vieil homme soumis à l’exil. Il fait le récit en dix tableaux de sa jeunesse, de son exil volontaire et d’une vie errante. Le Finlandais Mikael naquit en 1502 à Åbo. Ce premier volume sur la vie d’un élève aveugle et naïf qui croyait que le royaume de Dieu devait s’instaurer sur terre fit florès. La force de ce maître du roman historique tenait dans le choix parfaitement fin des époques et des lieux qui cadrèrent ses épopées. L’année suivante l’aventurier de Åbo fera place à un second volume où Mikael sera le renégat du Sultan convertit à l’Islam sous l’empire byzantin.

 

Mais avant cela, le romancier replacera sa plume dans la main du dramaturge. Une pièce de théâtre vit le jour en fin d’année 48. Waltari la baptisa Huhtekuu tulee (1948-49). Après cet intermède de quelques mois Mikael Hakin (1949) reprit la parole. De l’autre côté de la Méditerranéen, le Finlandais Mickael Carvajal abandonnait son identité d’adoption pour celle que la raison politique lui dicta. Les contradictions et les problèmes de son temps faisaient foi. Perdant né, Mika El-Hakin/Waltari reliait son siècle à un autre, lisant par transparence, à la lumière du spectre solaire, les défauts qui l’habillaient et les tensions tenaces entre la dure réalité et l’idéalisme forcené.

Loin des aveux de l’auteur, une étude pertinente universitaire à Tempere a rendu décelable pour le néophyte ce que les œuvres avaient de remarquables et de secrets.

Les diplômes universitaires de Mika Waltari justifient l’engouement que l’auteur d’Helsinki marquait pour les fouilles historiques, philosophiques et littéraires. Lorsque le jeune Mika quitta les études théologiques en 1929, ce fut l’expression d’un juste sentiment intuitif, même si cela ne répondait guère au vœu inexprimé de son défunt père. Une voie s’était définie. Désormais, Mika Waltari continuait à exercer ses propres dons, révélant les brisures que le monde avait subies en diverses époques et en mains lieux. Il dénoncerait alors les guerres de religion, les conflits d’opinions et les crises de royaumes. Ce fut cette même année 1929 que sortit la nouvelle qui fut rédigée « Quatre couchers de soleil » durant.

 

Hors les frontières de la Finlande, la célébrité de Mika Waltari était établie. Aux États-Unis et en France ses ouvrages étaient accueillis avec ferveur. En voici un exemple. En 1951, au nord des États-Unis, un concours fut organisé par un journal de la côte est : le New York Herald Tribune. Le Herald Tribune voulait collecter et rassembler pour une collection une palette colorée des meilleures histoires courtes de la planète. Cinquante-six d’entre elles furent choisies. Chaque nation participante proposa un ou plusieurs titres. Une des conditions new-yorkaises exigeait que les envois fussent anonymes, ouvrant leurs portes aux amateurs de l’écriture comme aux professionnels de l’édition. Dans chaque pays, un premier jury sélectionna les textes de leurs compatriotes. Un deuxième jury international fit une seconde sélection et accrédita les œuvres retenues. Elles furent publiées en 1952, des prix furent même décernés à certaines. Parmi les anonymes finlandais retenus figurait en bonne place une nouvelle désopilante qui mettait en scène le Paris de la libération de 1945. Devinez de qui elle émanait…

En réalité, elle ne fut pas la seule. Le jury international porta son choix sur deux écrits. Le premier était celui d’une femme, le deuxième de notre homme. Le titre original de la petite histoire qui affirmait la « patte » de l’artiste du genre fut traduit en français par « La journée des hommes libres ». Elle est datée de 1952 pour l’édition américaine, mais fut probablement écrite en 1950.

L’infatigable écrivain composa deux autres pièces pour le théâtre en cette année 51.

 

L’empire byzantin du XVIe siècle ap. J.-C. avait vu ses fortifications devenir le théâtre de l’existence atypique d’un médecin occidental appelé Mikael. Ces mêmes murs fortifiés un siècle auparavant furent l’enjeu fratricide de la chrétienté dont fut le témoin et l’acteur un jeune messager. En 1952, sous les toits de la petite famille Waltari, se jouait une nouvelle romance sur fond d’histoire religieuse et politique. Écrivain passionné du monde et de son histoire, Mika Waltari entamait l’écriture d’une énième romance qui devait occuper tout un pan de l’histoire du XVe siècle. Johannes Angelos vit donc le jour, s’attelant à faire du développement spirituel le but de son existence. Le canevas nous sera familier. La naissance du jeune Ange restait un mystère encore à découvrir. Adolescent, l’ange ténébreux se fit l’escholier de Dieu et partit à sa rencontre sur terre. Johannes n’était autre que l’ombre de son créateur M. W.

Le récit est daté du 12 décembre 1452…

Le journal intime tenu par Jean l’Ange nous fait revivre de l’intérieur le siège de Byzance. La cité de la coupole faisait face aux assiégeants turcs de Mohammed, fils de Mourad, dit le Conquérant. Au destin tragique de la ville du Basileus se mêle la double destinée consommée des deux amants Jean l’Ange et Anna Notaras. Dans ces pages héroïques, Mika Waltari rappelait au lecteur que la liberté de l’individu était, à son sens, le plus grand bien de l’espèce humaine. En ces lignes, la chute de la ville fortifiée marquait la fin d’une civilisation. Lorsque Byzance fut prise et que sa fondation ottomane eut lieu sous le patronyme d’Istanbul, Johannes Angelos avait quarante ans. Il nous livrait les pensées secrètes de son alter ego, l’auteur. « L’ange noir », annonciateur de la mort, s’était convaincu d’avoir eu la raison pour lui quand il choisit la vérité tangible pour l’homme par son quotidien jusqu’à une mort réelle (physique) plutôt que l’idéal virtuel d’un hypothétique dieu. Parce qu’il avait compris qu’au nom de Dieu, l’homme tuait l’Homme.

Si, à la première heure de cette aventure magnifiée, le héros n’eut pas de père, il se dévoila, reconstruit par le jeu de la mémoire, sous les traits d’un souverain spolié détenteur du pouvoir temporel et spirituel. Il ressemblait au spectre qui n’était autre que l’image syncrétique du pasteur des écrous. Celui-là même qui régnait depuis longtemps sur l’esprit de l’orphelin de la rue Saarinlemen [katu], à Helsinki.

Au printemps 1951, alors âgé de 43 ans, quelques réflexions d’importance avaient dû mûrir dans l’esprit du résident de Laukkoski. Ce dût être comme une rupture, à moins, qu’au contraire, ce fut un raccord. Retiré dans sa chaleureuse demeure campagnarde, Mika Waltari ignora l’hiver nordique qui ralentissait la vie, afin de débuter la rédaction d’un manuscrit historique dont le personnage principal devait être un messager apocalyptique. De janvier en mai, il se documenta, lut beaucoup et passionnément sur les évènements occidentaux du XVe siècle ap. J.-C., époque charnière entre la fin du Moyen Âge et la Renaissance. De mai en juillet, il écrivit comme à son habitude sans support de notes, près de 500 pages pour, tout d’un coup, laisser tel quel le roman.

La carrière d’écrivain de Waltari était jalonnée à la fois de romans grandioses et d’œuvres plus urbaines, plus contemporaines pour le public finlandais. À ces romances majeures, la critique leur préférait les nouvelles, les comédies, les livrets de poésies d’inspiration plus classique que l’auteur faisait alterner avec ses fresques historiques démesurées.

 

Pourquoi donc Mika Waltari abandonna-t-il son manuscrit en 1951 ? Pensa-t-il s’être trop dévoilé ? La critique finlandaise eut-elle raison de son attachement à reproduire le même sempiternel message de mise en garde ?

Nul ne sait !

 

Toujours fut-il qu’après avoir songé à renoncer au roman historique comme seule formule à sa problématique, l’auteur renoua des relations paisibles avec les critiques littéraires lors de la parution d’une collection de nouvelles situées dans le monde moderne : Kuun maisema (1953). Un titre servit de scénario de film cette année-là. Erik Häkkinen dirigea et réalisa Järinen saari. Notamment, une comédie de Waltari fut jouée sur les planches de 1953 à 1954. L’année suivante, la pièce Rakas lurjus fut adaptée pour le grand écran. Mika Waltari revenait à son public chéri. Un autre petit ouvrage de 86 pages, écrit en 1945, vint s’ajouter à la longue liste que composait sa biographie.

Un revirement soudain d’attitude fit que le romancier finlandais renouvela le genre allégorique qu’était son roman historique. Le personnage central vécut au V

>e siècle avant Jésus-Christ dans l’Étrurie des mystères. C’était loin d’être un dernier défi au genre. Le récit fut écrit à la première personne. Le manuscrit épousait la forme d’une confession qui patientait après l’immortalité et « l’oubli ». Le héros, dénommé Lars Turms d’Éphèse ne savait rien de sa naissance. Lorsque le lecteur rencontre Lars pour la première fois, celui-ci vient d’être frappé par la foudre. Turms kuolematon était amnésique. À la différence près que s’il n’avait pas de père, c’était que cela n’entrait pas dans sa nature d’en avoir. L’Étrusque fait le récit de son périple initiatique tel un aveugle dans les labyrinthes d’un temple à l’échelle d’un continent. Lars fit la recherche tâtonnante de son identité terrestre. Waltari se plut à le faire évoluer dans le monde antique de la Méditerranée, berceau de la culture philosophique.

 

Un événement quelconque avait dû bouleverser le romancier finlandais. Était-ce une révélation ? On constatait une évolution dans les pensées de Waltari, une micro révolution qui l’amenait à concevoir différemment, du moins dans une perspective nouvelle.

 

Après bien des vicissitudes et des interrogations sur ses étranges dons, le mystique Lars Turms parviendra à nous faire la confidence de ce qu’il est, en réalité. Malgré cela, impuissant, il assistait à la lente agonie d’une civilisation qui croyait en la métempsychose. Depuis Sinouhé l’Égyptien, chez Mikael le Finlandais, avec Jean l’Ange et Turms l’Étrusque, la succession des pères souverains terrestres fit peu à peu place à un tuteur dont l’essence céleste s’affirmait chaque fois davantage. Dans un désordre, peut-être révélateur, Mikael était fils d’un chef de guerre, Sinouhé fut enfant naturel du harem royal, Jean recouvrait la mémoire de sa naissance princière, Turms nous entraînera jusqu’à souhaiter la venue de son esprit tutélaire.

Un spectre solaire venait de parcourir le ciel d’une existence, se levant péniblement à l’horizon pour gagner le zénith puis, enfin, luire jusqu’au crépuscule où il semble s’attarder, comme un dernier salut. Le cycle avait atteint son terme circadien. Le fils avait intégré le père. Le petit orphelin de la rue Saarinlemen [katu] était bien le digne rejeton d’un être éclairé. Alors qu’adulte, il aurait pu choisir le ministère, Mika Waltari préféra une voie plus large, plus en rapport avec son temps. L’homme aux multiples écritures avait incarné en lui ce que le père avait eu de supérieur. Comme le Toimi Waltari de 1913, le Mika Toimi Waltari de 1955 avait un message à délivrer, un catéchisme d’une nouvelle facture fait de tolérance et de fraternité. Les plus grandes attributions de l’humanité étaient ces valeurs de bases où l’Homme pouvait puiser sa force, sa foi jusqu’à son accomplissement. Pour Waltari, un dur labeur d’écriture fut un moyen de parvenir à la réalisation spirituelle. Le noir pessimisme avait cédé sa place à un optimisme sage.

Il n’y a guère d’années où Waltari n’écrivit pas. De 1925 à 1950, au moins une œuvre voyait le jour dont on connaît aujourd’hui l’importance de certaines. De 1952 à 1967, l’auteur fit preuve d’une intarissable capacité de produire. C’était inouï qu’un homme ait pu montrer autant d’aptitude dans tous les domaines d’écriture. Plus tard, une longue pause de neuf ans survint entre Pöytälaatikko (1967) à Ihmisen ääni (1978).

C’était au tour du roman « Félix le bienheureux » d’apparaître en kiosque. Ledit ouvrage faisait suite à une pièce de théâtre jouée en 1948, puis reprise les années 1956 et 1957. L’année 1957 marqua justement un tournant dans la reconnaissance officielle de l’auteur d’Helsinki. Mika Waltari devint membre consultant dans une institution d’État qui avait pour mission d’allouer des crédits pour la recherche et d’en coordonner les objectifs dans divers domaines d’études. Cet organisme était connu sous le nom finlandais de Suomen Akatemian. Il y restera jusqu’en 1978, date à laquelle sa santé ne lui autorisera plus de surmenage.

 

En 1880, l’Américain Lewis Wallace fit connaître aux lecteurs du monde entier un péplum intitulé « Ben Hur ». Le film qui fut son adaptation cinématographique est désormais un morceau d’anthologie du genre filmique. En l’an 1896, le polonais Henryk Sienkiewicz écrivit et publia « Quo vadis ? ». En 1905, pour l’ensemble de son œuvre, il obtint le prix Nobel de littérature. L’œuvre appartient aujourd’hui au patrimoine mondial. Il manquait une troisième œuvre romanesque sur la Rome ancienne, au moment difficile où la fracture du monde s’opérait si douloureusement. Un Finlandais eut cette audace en 1959. Un roman épistolaire unilatéral se composant de onze lettres rédigées clôt la liste fameuse des romans historiques de la littérature septentrionale.

Le personnage central est un noble romain qui assistait, incrédule, au début de la chrétienté. L’action se situe en l’an 33 du calendrier Grégorien. Suétone relatait qu’un certain Chrestos était en train de soulever les Juifs contre le pouvoir de Rome. En ces pages, Mika Waltari médita sur la chute des cultures polythéistes romaine, grecque et du Proche Orient, à une époque où le Haut Empire romain dominait le Monde. L’auteur fut intarissable de détails fouillés. Ses personnages étaient tout simplement attachants. La Rome antique se voulait être le creuset de l’Humanité. Elle se découvrait des ennemi(e)s. Tout au long de la correspondance de Marcus, le Romain, Valtakunnan salaisuus a déjà fait des émules. Certains étaient dans le secret. Marcus, ayant subit l’exil, s’ennuyait et enquêta pour son propre compte sur la teneur véridique de ce mystère en mesure de bouleverser les sociétés pour les millénaires à venir. Une nouvelle croyance semblait au centre de ces discrétions. Mais la révélation n’appartenait pas à tout le monde.

Le début du christianisme évoqué par Waltari rendait Marcus dubitatif. Malgré cela, guidé par Myrina, une danseuse grecque convertie dont le chevalier romain était follement amoureux, Marcus Mezentius fit cette lente ascension spirituelle qui fait de l’adepte un initié à la foi nouvelle. Cette foi était révolutionnaire puisqu’elle instaurait à nouveau puissamment le théisme, non plus pour le seul judaïsme, mais toutes les créatures terrestres (y compris les Romains). « Le secret du Royaume » relate l’odyssée aventureuse d’un homme crédule mais attendri par la naïveté de ces gentils qui courraient le monde annoncer la « bonne » nouvelle. Mika Waltari restait inconsciemment poursuivit par la foi depuis son enfance.

Lui fallait-il croire en un être supérieur alors qu’il lui avait prit injustement le tuteur de son existence ? Un enfant de cinq ans aurait-il dû se soumettre de grâce à cette souffrance ? Quand nous n’avons plus que notre maman pour aimer la vie, on peut fort bien s’insurger contre de tels desseins. Pour Waltari aussi, le Royaume avait ses secrets bien gardés.

L’émotion rend aveugle. Il faut du temps, c’est-à-dire des années pour s’en libérer. L’écriture du « secret du Royaume » révélait un changement notoire dans la vision du monde chez son auteur. Marcus avait un père qu’il put connaître ; ses origines étaient étrusques. Marcus fit un récit à la première personne selon les consignes du romancier, et contait les périples spirituels d’un intellectuel romain qui croyait ses valeurs sûres. Par la suite, si nous anticipons, Marcus aura un fils qui le connaîtra lui aussi. Notons que la traduction française n’a pas souhaité reprendre les titres finnois. Les deux volumes du « Secret du Royaume » furent éponymes. « Myrina » donnait son nom au premier tome. Plus tard, nous verrons que le second volet du « Secret du Royaume » portera le nom du fils de Marcus, baptisé (au sens chrétien du terme) « Minutus ». La découverte de Myrina fut un premier dépaysement à travers le temps et les hommes pour le chevalier romain.

 

Pourtant, son créateur fit une pause de quatre ans dans sa réalisation. Mika Waltari voulait réécrire deux pièces de théâtre pour leur adaptation filmique. Les deux comédies furent reprises dans les salles obscures en 1959-1960. L’une fut écrite et jouée en 1948, la deuxième en 1952. La première fut adaptée pour le cinéma en 1960, la seconde l’année suivante. La France s’était attachée à traduire une histoire courte du nouvelliste finlandais. « La viorne » apparaissait en début de l’année 61 dans une collection d’histoires courtes sous le terme générique [Koiranheisipuu ja] Neljä muita pienoisromaania. L’année fut productive, elle se termina par l’édition d’un autre roman. Puis le Komisario Palmu revint pour la dernière fois avec le titre évocateur de Tähdet kertovat, Komisario Palmu ! Ce titre marquait pourtant la fin d’un cycle de trois titres indépendants. Matti Kassila, le même cinéaste qui tourna les deux premières histoires indépendantes en 1960 et 1961, porta à nouveau le roman policier sur les écrans cette année 1962. Ce fut un authentique succès qui immortalisa la silhouette de Palmu dans les mémoires. Une association d’amis du polar reprit la caricature à son compte pour faire la promotion événementielle du genre policier finlandais.

C’était sans doute écrit dans les étoiles.

 

Écrivain du modernisme d’après-guerre, Mika Waltari enquêtait sur l’histoire millénariste du monde, de l’antiquité jusqu’aux époques contemporaines. Sur l’histoire politique et militaire de l’Allemagne du début du XXe siècle, le Caesar germanique laissa son titre à une pièce de théâtre : Keisari ja senaattori. Après cet écart historique, Waltari reprit sans trop attendre le second volet du « Secret du Royaume ». L’intitulé générique en était Ihmiskunna viholisset.

Cette deuxième époque mettait en scène le fils naturel de Marcus et Myrina. Fait notable, Waltari conservait et laissait le sénateur Marcus Mezentius dans le deuxième tome, alors que l’enfant Minutus se révélait orphelin de sa mère. Elle s’était sacrifiée pour qu’il vive. De la sorte, l’auteur prenait sa revanche sur le sort qui l’avait accablé. Il s’était recomposé une existence virtuelle en compagnie d’un père, afin de donner libre cours à sa pulsion d’enfant frustré. Dans le roman, le choix sur le prénom du fils reste une blessure apparente. C’était comme une sanction infligée contre celui qui brisa la coupe d’or de sa conceptrice. Ah ça ! si Marcus avait eu le choix…

Il n’est plus que l’ombre d’un homme qui végète dans le souvenir amer de sa jeune danseuse grecque. Mika exorcisait sa peine en le destinant à un archétype. Minutus Manilianus tenta tant bien que mal de briller aux yeux de son géniteur. Mais, il se devra parcourir le vaste monde à la recherche de ses propres caractéristiques dans ses actions guerrières, politiques, religieuses. Le dilemme actuel du fils n’était autre que le problème passé du père. L’école de la vie restait ouverte, deux générations s’y succédaient. Marcus l’ancien n’était guère plus qu’une image, ce n’était pas un enseignant ni un guide. Minutus le jeune, assistait seul au début du christianisme romain. Rome savait que ses concitoyens se convertissaient secrètement au nouveau royaume promis. La décadence des mœurs de l’Empereur Lucius Domitius conduisit les adhérents à la nouvelle Église à se voir accuser des malheurs de l’Empire romain.

Mille neuf cents ans plus tard, les persécutions restèrent cruellement d’actualité. Waltari romançait en tableaux vivants le drame de toute une société d’hommes qui cherchait à s’extraire d’une dictature née de la folie d’un seul. Du point de vue de Rome, Jésus de Nazareth était considérait comme un ennemi de l’humanité. À son tour, Néron fit appel à son « génie » artistique pour punir ceux qui se voulaient chrétiens (Juifs, Romains, hommes libres, esclaves), ces nouveaux ennemis de l’Humanité.

Le Finlandais Waltari s’affranchissait d’une entrave psychologique. Sur le papier, il refit le chemin initiatique qui menait de l’enfance à l’adulte. Mika organisa son propre itinéraire avec ses étapes à lui. Il se consacra longtemps à l’histoire de l’Homme pour, d’un ultime signe, balayer les dernières appréhensions. La Foi n’est pas que religieuse, comme un pasteur peut l’incarner de son vivant. La foi peut être laïque, née de l’espérance, de l’étude philosophique, de l’observation minutieuse, de la critique qui bouleverse les conventions établies.

Était-il besoin dorénavant de s’exiler dans l’affabulation de héros fictifs ? On lit parfois dans certains textes d’aujourd’hui que Waltari avait fait des expériences mystiques. L’initié finlandais trouva-t-il sa voie dans les arcanes de la métaphysique ?

N’importe !

 

Seuls les chefs-d’œuvres waltariens sauraient satisfaire à ce questionnement. Les romans historiques de Mika Toimi Waltari sont d’autant un plaisir des sens intellectuels qu’une incitation à une réflexion sur les difficultés du monde du XXe siècle. C’est le partage d’une soluce à une problématique existentielle. À nos lectures de se laisser emporter par les Sinouhé, Jean, Minutus dans les dédales des affaires politiciennes, les exactions théologiques. Chez Mika Waltari, le combat intérieur psychologique et spirituel s’était apaisé. Une page d’histoire personnelle était tournée.

Sitôt « Les amants de Byzance » mis en vente, Waltari s’apprêtait à refaire danser à l’écran les sans domiciles. Il écrivit le script du film en 1941. La sortie de Kulturin valssi en 1965 était une réactualisation. L’année suivante, en 1966, une collection de nouvelles Pienoisromaanit fut éditée.

L’homme de lettres avait presque 60 ans, et on lui comptait près de 1150 titres de documents écrits de sa main : 26 pièces de théâtre, 33 scenarii de films pour le grand écran et la télévision, 22 romans en tous genres, 15 nouvelles, 6 pièces radiophoniques, 7 romans historiques et quelque1000 titres d’écrits divers portant sa signature, tels les articles de presse. La bande dessinée Keiku ja Kaiku dont il composa le scénario en 1932, fut rééditée en 1979.

 

 

 

 

À Helsinki, un écrivain passionné du monde et de son Histoire dont la carrière fut riche et vaste s’est éteint.

 

C’était le dimanche 26 août 1979

 

 

 

Post mortem, Mika Waltari léguait une œuvre inachevée

 

NUORI JOHANNES (1981)

 

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