Paul Henri Corentin Féval
(1816 – 1887)
La France, dit-on, est un pays de cultures celte et gauloise située à la partie ouest du continent européen. Sa forme géométrique hexagonale lui en a laissé son référent le plus populaire : l'Hexagone. La France métropolitaine est administrativement partagée en régions, puis ces régions en départements. L'Ille-et-Vilaine est un de ces départements.
L'Ille-et-Vilaine doit son patronyme à deux rivières qui coulent sur son territoire : l'Ille et la Vilaine.
Paul Féval, dit Féval père, est né à Rennes, chef-lieu du département d'Ille-et-Vilaine. Le dimanche 29 septembre 1816 semble la date la plus souvent admise à laquelle naquit le petit Paul, Henry Corentin au sein d'un appartement breton cossu du XVIIIe siècle, 6 rue du Four du Chapitre, au deuxième étage du majestueux Hôtel de Blossac. Enfant naturel, le petit Paul est né d'une noble bretonne Le Baron, Jeanne, Joséphine, Renée et d'un père champenois né à Troyes, Jean, Marie, Nicolas Féval, conseillé à la cour d'Appel de la ville de Rennes. La famille Féval Le Baronsera une grande famille composée de cinq garçons et trois filles.
Bien que noble et nantie d'une charge à la Cour Royale de la ville, les Féval vivaient modestement de revenus à peine suffisants pour entretenir madame-mère, trois filles, deux fils. Le nouveau-né fut mis rapidement sous la Sainte protection de la Divinité, en la basilique Saint-Sauveur. Par le baptême, au moins, Paul Féval devenait membre confessionnel de la communauté judéo-chrétienne.
En eût-il conscience sa vie durant ?
Sans doute, oui, puisque ses racines culturelles s'exprimeront dans le cœur d'un homme épris de purification morale lors d'une « reconversion » cultuelle, aussi soudaine qu'inattendue, au prix de ses biens matériels terrestres. De componction fragile, Paul fut entouré d'intentions familiales affectueuses ; les femmes de la famille, bien que d'aisance modeste, ne cessèrent de lui prodiguer des soins attentifs. Cette santé fragile aura souvent des effets néfastes sur sa vie de jeune homme, puis d'adulte (pauvreté matérielle, misère, famine…), contrebalancées par de providentielles protections féminines charitables et pieuses qui, sans cesse, recentreront Paul Féval sur le chemin de sa juste destinée.
Né sous la seconde Restauration des Bourbons, lors du règne de Louis XVIII, la monarchie nourrissait les rêves de romantisme de l'enfant qu'il était. Mais, en 1827, alors qu'il n'avait que onze ans, son père disparut, laissant la famille Féval-Le Baron dans la gêne financière, ne vivant alors que par la grâce d'une pension honorifique versée par l'épouse de Charles X. L'année précédente, en 1826, Paul Henri Corentin avait été inscrit au collège royal grâce à une bourse d'étude.
L'enfant fut mal accepté parmi ses condisciples du collège. On le trouvait de mauvaise facture, maladif et de caractère péniblement sujet aux sautes d'humeurs qui l'isolèrent peu à peu. Les dix ans de Paul s'exprimèrent par une rêverie refuge, une lecture toute centrée sur un romantisme « échevelé », mélo‑dramatique, populaire, tout à l'opposé de son caractère dolent et capricieux. Les auteurs à succès de ce premier quart du dix-neuvième siècle restent parmi les plus lus de leur temps : le posthume Ducray-Duminil, Pigault-Lebrun ou autre Bernardin de Saint-Pierre.
La Bretagne semblait capable d'imprégner durablement l'esprit vagabond et fiévreux du jeune orphelin. L'Armorique est une contrée de légendes, un terreau nourrissant une culture séculaire où le fils Féval puisa les impressions encore neuves et diaphanes des identités chevaleresques et aventureuses à immortaliser. Cette terre armoricaine, vampire et séductrice des esprits jouvenceaux, posait paisiblement son voile de chouannerie magique sur un imaginaire en quête d'aïeux solides et reconnaissables. Nul n'échappe à sa destinée.
Le jeune Féval subissait, dans ces épreuves douloureuses de deuil, la forge mordante et silencieuse d'un cœur battant et d'une conscience qui s'anobliraient par le truchement du temps. Ces dix premières années se présentèrent sous de mauvais hospices : santé délicate, mort d'un père, gêne financière. Le climat social était fébrile et la politique de Charles X impopulaire. La situation familiale des Féval était devenue des plus incertaines. Paul grandit bon an mal an.
Que réservaient à cet enfant les décennies prochaines ? Quels milieux humains et institutionnels allaient se prêter au jeu de son identité de futur homme ?
Tout d'abord, les 27, 28 et 29 juillet 1830 furent appelées « les trois Glorieuses ». Trois journées qui mirent fin au règne de Charles le Dixième. La monarchie de juillet était une petite révolution dans le paysage politique de ce premier tiers du dix-neuvième siècle. Louis-Philippe 1er fut proclamé : « roi des Français ». Ainsi débutait le gouvernement des Bourbons-Orléans. Étonnant sursaut de l'Histoire qui rendait dès lors possible une affirmation de la bourgeoisie commerçante et financière au sein des décisions économiques et de la politique sociale.
Ce fut ce moment pathétique qui galvanisa l'énergie ensommeillée de Paul Henri Corentin Féval Le Baron pour affirmer ses choix émotionnels et filiaux, en se proclamant de cœur avec les partisans de la branche aînée des Bourbons, le comte de Chambord, attaché à une monarchie traditionnelle et une religion judéo-chrétienne forte et omniprésente. En exhibant la cocarde blanche dans les rues de Rennes, le collégien de quatorze ans se signalait en faveur du pouvoir en place.
D'où lui venait cette audace, sinon de sa naissance noble ? Cette année passée, où il vécut dans un refuge au contact de chouans conspirateurs, marqua-t-elle le cœur en attente d'appartenance d'un jeune de treize ans sous tuteur légal ?
On pourrait croire, tout du moins, que cette expérience excitante eut la force d'imprégner l'esprit romanesque du jeune breton. Ce dernier fut en proie au réalisme cru d'avec le folklore de sa terre natale. L'atmosphère de la nuit, le sceau du secret, la croisée des destins, les longs vêtements sombres, les armes blanches sur lesquelles l'on prête serment : que d'impressions fortes créées dans l'imaginaire, sans cesse en quête d'instants, d'images fortes et durables à jamais imprimées en l'esprit de cet adolescent de si délicate constitution.
Mais quel prix à payer pour exprimer en homme des choix librement consentis. Ses condisciples du lycée royal de Rennes qui exprimaient des opinions opposées libérales lui en signifiaient l'aversion. D'isolé au collège, parce que déjà peu populaire pour ses caprices et sa dolence, Paul Féval devint l'objet d'une vive animosité au lycée. Ce qui obligea l'autorité de tutelle du lieu de faire appel à sa famille pour qu'elle consente à le retirer de l'école. Du coup, le château de son oncle par alliance, à Cournon, lès Redon, devint le cadre d'un séjour forcé mais surtout le théâtre quasi journalier d'une vraie existence patriotique.
Paul retrouva la santé au climat sain familial et campagnard. Ces vacances eurent une influence curieuse mais légitime sur sa décision avouée d'embrasser la vocation… d'écrivain.
Qui peut imaginer les réactions et les sursauts d'une mère et de sœurs, ainsi que des autres composantes de la famille Le Baron, qui lui rêvaient, secrètement, une autre carrière. Né au sein d'une famille de magistrats royaux, bien que peu fortunée, Paul Féval s'égarait en montrant peu d'attachement au destin communs des siens.
« Que disent ses parents ? », ils se regardent.
Le jeune rennais dont nous suivons les traces depuis sa naissance va acquérir, à 17 ans, ses premiers lauriers, à forte valeur sociale. Paul Féval s'apprêtait, en effet, à soumettre ses études secondaires à une ultime sanction, le baccalauréat. 1833 marquera l'année de son obtention du bac. Ce diplôme l'amena ensuite à s'inscrire en Droit, à la Faculté de la ville conduit par son entourage. Studieux par nature, il obtint dans les trois années réglementaires une Licence de droit. Sous l'œil vigilant d'une famille aux abois et omniprésente, sous l'autorité persuasive d'une mère opiniâtre, Paul finit par consentir à cette « tradition » filiale qui consistait à devenir Officier civil investi d'une grande compétence juridictionnelle. Il endossa donc la robe (en qualité) d'avocat, non sans avoir prêté serment d'une main tremblante. L'esprit n'y était pas.
Ses futurs déboires d'auxiliaire de justice débutant furent mémorables et se contèrent dès lors de bouches commères à oreilles commères bretonnes. Cette épreuve douloureuse marquera de son sceau indélébile le cœur du jeune avocat Féval.
Pensez votre première plaidoirie à 19 ans s'avérer être un mordant échec ! Maître Féval eut à défendre la cause du sieur Planchon, un alerte voleur de poules. Surmontant mal ses troubles intérieurs et de passagères difficultés d'élocution qui le rendaient ridicule, comme l'eût été l'orateur Démosthène en son temps, maître Féval, à l'harangue pitoyable et bredouillante, se vit défendu dans sa gène d'expression et de clarté d'exposé par son voleur de poules devenu bougre. La perte de ce premier cas, Planchon fut, hélas !, condamné, le dégouta un temps de la pratique de la loi. En août 1837, Paul Féval, eut suffisamment de talent, toutefois, pour braver l'ascendant maternel et fit connaître sa décision de s'éloigner de sa Bretagne natale pour gagner la capitale des français… sans pour autant livrer son arrière-pensée qui consistait à suivre cette voix intérieure qui l'inspirait depuis quelques années déjà.
La déconvenue rennaise de Paul tiédit. Il lui restait seulement l'envie de répondre aux attentes de la famille Féval-Le Baron. Maître Féval montra un sursaut d'orgueil en songeant à son défunt père.
Nouvellement venu à Paris, le jeune avocat s'était orienté sitôt pour parfaire son éducation vers des études de droit du commerce. L'hypocrisie des banquiers de l'époque et le jeu perfide des commerçants étaient tellement établis que maître Féval finit par en tomber la robe choqué par ces mœurs liées à l'argent. Il avait tenu deux mois.
Débuta alors une période d'ascétisme forcée et de mortification involontaire. Porté par le besoin de survivre dans cette contrée exotique, le jeune enfant s'efforçait tout à la fois de cultiver son goût pour la lecture et d'expérimenter l'écriture à compte d'auteur, ainsi que d'exploiter sa disponibilité pour exercer un métier. Loin de la chaleur familiale, dans une mansarde de la rue de la Cerisaie, près de la Bastille, ce furent là des années noires de misère affreuse, tant sur le plan physique que moral.
Pourtant, le futur feuilletoniste et nouvelliste expérimentait divers métiers de plume. De plus, de Rennes, sa famille veillait à sa sécurité, en faisant intervenir certaines relations catholiques et nobiliaires. Quelques lettres d'introduction s'offrirent à lui ouvrir les portes de quelques journaux. Déjà, La Législature, Le Parisien, La Quotidienne, La Lecture, La Revue de Paris, Courrier français, La France Maritime furent des providences qui reçurent soit sa visite soit ses courriers et manuscrits. Le fiévreux jeune écrivain travaillait à se faire une place dans les lettres.
Cela faisait tout de même quatre ans que Paul Féval s'était installé pauvrement dans la grande ville. Son penchant pour la lecture le rendait parfois coupable de manquer à ses devoirs professionnels. De fait, un banquier irascible qui l'avait embauché quelques mois plus tôt finit par le renvoyer pour négligence et sous l'accusation facile de vol répété d'un livre de Balzac qu'on reprochait à Féval de lire sur le lieu de son travail. Cette vie terne côtoya un peu de poésie, tout de même, en la présence secourable d'une bonne voisine qui s'émut un jour de le retrouver mourant de faim et de froid sous le comble où il gisait sans force. Elle s'en occupa charitablement. Paul vécut alors son premier amour romanesque sincère.
En ce début de dix-neuvième siècle, l'écriture de ce breton de naissance véhiculait inconsciemment les trames touchantes de vies imaginaires où la chouannerie était le ressors dynamique de toutes histoires de l'époque.
Son embauche au journal Nouvelliste en qualité de correcteur d'orthographe ouvrit un peu d'avantage son horizon et permit au jour de faire passage. Quelques manuscrits sous forme d'histoires courtes qu'il signait hardiment de son patronyme furent éditées dans des publications parisiennes. Ainsi, le Club des phoques dont Saint-Malo est le décor, fut publié dans La Revue de Paris, en 1841. Ce qui attira l'attention des directeurs de journaux et lui conféra une certaine notoriété.
Paul Féval, à la plume prometteuse, semblait avoir su faire ses preuves et acquérir par la même le statut social rêvé d'écrivain. Dès lors, après s'être fait remarquer par des patrons de presse, les histoires courtes de Féval trouvèrent un écho favorable parmi un public de fidèles. Les contrats se succédèrent. L'argent permit à l'auteur de revivre, sans aisance sûrement, mais dans une sécurité retrouvée. Un placier en littérature sut exploiter ce succès naissant pour porter le jeune homme méritant à la gloire, tout en permettant à ses journaux parisiens : L'Époque et Courrier français, dont il était le directeur, d'augmenter leurs tirages et de moderniser ces entreprises journalistiques. Anténor Joly était littérateur et directeur de feuilletons (on lui doit notamment la création du Théâtre de la Renaissance), il suivit Paul Féval, l'intégra peu à peu dans les colonnes de ses quotidiens, comme chroniqueur à la tâche.
Sur la seule période de trois ans, plus d'une vingtaine de manuscrits parurent dans des journaux et sous forme de publications en volumes par d'authentiques contrats d'éditeurs parisiens ou limougeauds. De nouvelliste, Paul Féval semblait plutôt s'orienter vers une carrière de feuilletoniste. Les épreuves de la vie étaient passées, les épreuves de ses manuscrits s'imposèrent à demeurer.
Entre le vingt décembre mil huit cent quarante-trois et le douze septembre mil huit cent quarante quatre, un mystérieux sir Francis Trolopp signait un feuilleton qui parut dans les colonnes du journal Courrier français. Ce prétendu anglais apparaissait comme le concurrent le plus direct des récents mystères parisiens. On disait même que l'anglais entretenait une correspondance privée avec Eugène Sue, auteur des fameux Mystères de Paris.
À la dernière minute, Anténor Joly avait passé commande à Féval la tâche malaisée de remanier un roman-feuilleton qu'un très grand nombre de lecteurs avertis attendaient déjà (servis sans doute par une campagne publicitaire qui devançait le lancement du nouveau titre). Il s'agissait de la pièce maîtresse de l'œuvre inachevée de G.W.M. Reynolds, sujet britannique et auteur à la mode qui couvrait les colonnes d'un quotidien londonien.
À l'origine, l'œuvre de Trolopp aurait du être la version française des Mystères de Londres de Reynolds, mais le remaniement s'avéra difficilement publiable sans retouches. Sur les conseils de son découvreur, Paul Féval, alias sir Francis Trolopp, s'en était allé vivre quelques mois Outre-manche, suivi par une escorte de collaborateurs polyglottes, afin de s'imprégner de l'atmosphère londonienne, sans pour autant parler lui-même un traîte mot d'anglais. Il s'agit en la matière d'une magnifique fresque des bas-fonds londoniens. Cette fresque conte encore les aventures d'un émigré irlandais, Fergus Breane, qui lutta à sa manière contre les inégalités sociales de son temps. Le dandy fashionable Rio-Santos, le marquis de Rio Santos, devint vite le meneur d'un ordre criminel sous-terrain : les Gentilshommes de la nuit.
De ce travail d'observation sur place naquit un véritable talent de composition réaliste littéraire. Les Mystères de Londres eurent un succès immédiat, tant qu'il s'en suivit plus d'une vingtaine de parutions successives et de traductions en diverses langues. Ce qui valut à son auteur la renommée un peu enthousiaste de « roi du feuilleton».
Paul Féval avait toujours espéré être un auteur reconnu. Il avait moins de 30 ans. C'était chose faite. Les romans à feuilletons à l'époque des Mystères de Londres furent assurément les œuvres de grands auteurs. Eugène Sue publiait Le Juif errant. Alexandre Dumas père laissait à la postérité les Trois mousquetaires. Paul de Kock restait dans l'ombre malgré son Sans cravate ou les commissionnaires.
Mais n'était-ce pas là un genre où l'auteur breton risquait de se voir cantonner malgré lui ?
Quoi qu'il en soit, le roman fut mis sous presse dès le 11 novembre 1844, sitôt la diffusion du feuilleton achevée. Ce fut un succès à échelle européenne. Pour l'exemple, entre les seules années 1844 et 1850, le roman en version espagnole des Los Misterios de Londres dut être réédité plus d'une trentaine de fois. Du territoire ibérique à l'Amérique latine, le nom de famille de l'auteur rennais se latinisa à l'espagnol pour devenir Pablo Feval, ne perdant dans l'échange culturel que l'accent aigu français.
L'histoire des romans de colportages nous enseigne que les lettrés de la bourgeoisie espagnole faisaient venir de France la plupart des œuvres que fournissait Pablo Feval. Dans le même temps, ce texte majeur que constituait les mystères londoniens fut publié en Barcelone, à Cadix, Malaga, Séville et autre Valence.
Désormais, le nom de Féval figurait parmi les auteurs les plus réputés et les plus respectés tels Alexandre Dumas père, Eugène Sue, Honoré de Balzac, Victor Hugo, Théophile Gauthier, Alphonse de Lamartine, le vicomte de Chateaubriand ou Frédéric Soulié.
Paul Féval n'arrêta plus l'activité littéraire. Celui qui, dans sa prime jeunesse s'était montré si conservateur s'était converti pourtant en libre penseur dans ses tableaux feuilletonesques.
Ses courriers avec Eugène Sue nourrirent-ils un feu intérieur révélateur ? On sait bien que, fidèle à la tradition des mystères urbains aux intrigues privées sur fond de peinture social, Marie-Joseph Sue était plutôt d'aspiration socialiste dans ses compositions littéraires.
Avec les Amours de Paris en 1845 et Quittance de minuit, l'année suivante, qui furent des réussites commerciales, Paul Henri Corentin Féval devint riche et l'une des figures centrales de la littérature populaire du moment. Il menait grand train déjà. Il entreprit de faire l'acquisition très remarquée de chevaux anglais afin de constituer une écurie.
Pour compenser la fatigue de l'écriture, il pratiquait la marche à pied et l'exercice physique. On le croisait dans les rues parisiennes dans ses vêtements aux coupes simples mais aux étoffes choisies. On le reconnaissait à son teint frais et à sa corpulence ramassé mais agréable. Dans l'intervalle, l'homme de lettres avait apprit la langue de Shakespeare et l'espagnol qu'il maniait déjà avec facilité. Son goût pour la lecture en avait fait un érudit.
Tout ce talent, toute cette notoriété, il les mit au service de la cause des Lettres ; bien qu'il fasse parti de ceux que les critiques appelaient, avec un rien de mépris jaloux, « les romanciers populaires ». Si son succès s'accroissait, il convient de reconnaître qu'il le condamnait à demeurer un feuilletoniste de la première génération. Un Sainte-Beuve visionnaire en avait eu l'amère intuition lorsqu'il écrivait en 1839, un article plein de dépit sur ce qu'il surnommait « de la littérature industrielle », dénonçant une infralittérature publiée dans des rubriques de rez-de-chaussée.
Avait-il tort, avait-il raison ?
Féval œuvrait d'un cœur sincère pour que fût reconnu le genre romanesque, pour que l'écrivain vive de sa plume, pour qu'il ait un statut professionnel et à l'avenir d'équitables futurs droits d'auteur. Comment douter de la force de cette destiné formidable qui avait patiemment mûrit en silence. La littérature de divertissement fut une manne pour le travailleur infatigable qu'il était. La journée, il rédigeait sans relâche près de douze heures d'affilée. Il était capable de fournir à la publication quatre nouvelles à la fois.
Les années passèrent. Ses œuvres s'alignaient tranquillement sur la liste heureuse des titres marquants. Citons entre autres : La forêt de Rennes (1843) ; Les Amours de Paris (1845) ; La Quittance de minuit (1846) ; Le fils du Diable (1847) ; Alizia Pauli (1848). Ce feuilleton : Le fils du Diable, publié en 1846, diffusé en volume en 1847, digne de la tradition du romantisme noir, va accroître nettement sa popularité. Cependant, le roman feuilleton n'était pas le seul genre littéraire où l'auteur rennais exerçait ses dons d'écriture et conquît ses lettres de noblesse. Les contes (bretons) trouvèrent en Féval un fervent défenseur de la tradition orale et écrite.
Du roman historique naquit deux genres qui devinrent rapidement majeurs : le policier, que l'on doit notamment à un autre précurseur : Émile Gaboriau, avec L'Affaire Lerouge (1864) et son personnage phare : le détective Lecoq(c), et le roman de cape et d'épée. Deux styles et deux techniques littéraires qui allaient connaître dans un avenir proche les plus fabuleux tirages de presse. Sans doute poussé par une actualité politique sur toile de fonds européenne qui vint bouleverser le décor institutionnel et social français, Féval tendit à s'imposer dans ces deux genres naissants comme l'un des maîtres incontestés du roman d'aventures de cape et d'épée.
Le paysage européen devenait fébrile ; les nations montraient des signes d'effervescence. Les peuples d'Europe vivaient d'intenses mouvements intellectuels libéraux tentant d'abolir les liens serviles établis de longue date par les successives classes dirigeantes. Le « Printemps des peuples » de 1848 succéda à une énième révolution française. L'Italie, l'Autriche, l'Allemagne et la Bohème, ainsi que la Sicile et la Sardaigne suivirent tour à tour les événements que le peuple français semblait avoir tracés. Les seules journées des 22, 23 et 24 février 1848 virent l'abdication de Louis-Philippe (au 24 février) pour proclamer la IIe République. De retour de Londres où il s'était exilé, Charles Louis Napoléon Bonaparte fut élu à la présidence de la nouvelle république. Le 10 décembre 1848, Napoléon III fit changer de couleur le terreau de la nation… de saveur aussi.
Les esprits pensants s'adaptèrent, trahissant quelques flottements douloureux et des mutations d'engagement implacables. Paul Féval se sentit, soit en odeur de sainteté, soit en verve quand il s'attabla devant l'angoissante feuille blanche pour y aligner de son écriture prolixe son 24 février. Une tentative d'adaptation de cette œuvre au théâtre eut peu de succès pourtant et n'obtint pas l'écho souhaité.
Travailleur très tôt engagé, il osa s'instituer journaliste dans l'optique réfléchie de fonder en précurseur, dès le mois de février un journal intitulé : Le Bon sens du peuple et des honnêtes gens. L'été suivant, il réitéra l'exploit de juillet à septembre dans l'Avenir national. Précédant ainsi Jules Ferry avant qu'il eut son heure de gloire gouvernementale en 1869, Paul Féval revendiquait déjà dans ses journaux intimes l'instauration d'une instruction pour les enfants obligatoire et non payante.
Si Eugène Sue fut quasiment accusé d'avoir incité le peuple à se révolter, par ses investissements littéraires, on pût blâmer Féval regretter d'avoir amener les lecteurs à prendre conscience de leur sort peu enviable par la lecture de ses feuilletons aux idéologies généreuses. Dumas père, Ponson du Terrail, Féval lui-même, auteurs d'épopées romanesques, étaient des personnages illustres qui côtoyaient l'intimité du pouvoir qu'incarnait le second Empire naissant. Paul Féval, pour sa part, devenu un libre penseur, était d'un naturel joyeux et crédule.
À l'avenir, ses récits feuilletonesques allaient s'inscrire selon une directive conservatrice bonne inspiratrice dans un style classique quelque peu figé. L'homme de lettres s'y tint sa vie durant.
Était-ce là un carcan que s'était imposé Paul Féval ?
Pendant quelques années il travailla à créer personnages sur personnages, titres sur titres, s'intéressant à tous les genres littéraires confondus. S'il ne délaissait pas la publication sérielle rémunératrice, il composait néanmoins en parallèle des récits romanesques à un louis le petit livre, des pièces de vaudeville à cinq francs l'acte, des ouvrages historiques à cent francs le volume et d'innombrables contes pour tous les publics (adultes et enfants sages). D'aucun affirmait même que sa maîtrise des langues étrangères lui autorisait la traduction facile en français de documents rédigés en espagnol. Pour écrire, il avait fait l'acquisition d'une petite table de bois, style Louis XIII et d'une belle chaise en bois.
Paul avait un frère aîné, en la personne d'Auguste Marie René Féval. Celui-ci décéda en 1849. À la mort de ce dernier, un autre des frères de Paul, Édmond, revint avec sa famille d'île Maurice où il s'était marié. Il acheta le manoir de l'Abbaye (dit Châteaupauvre), libre depuis 1844, à la fin de l'automne 1849.
1850, triste siècle… Balzac se meurt.
Féval produisit de 1848 à 1854 inclus, près de quarante titres dont les plus volumineux comportaient plusieurs tomes sous plusieurs volumes de trois cents à quatre cents pages chacun. Les capitales française et belge : Paris et Bruxelles se sont partagées ingénieusement les publications francophones des ouvrages de l'auteur productif. Les plus prisées de ses œuvres de caractères sont encor aujourd'hui : La Pécheresse, Mademoiselle de Presme (1849) ; La Fée des Grèves, Beau Démon (1850) ; Les Parvenus, Le Château de Velours (1852) ; Le Tueur de Tigres, À la plus belle, Le Capitaine Simon (1853) ; Roch Farelli, Blanchefleur, La Bourgeoisie et les Cinq Auberges (1854), en autres titres injustement oubliés sur l'heure.
Les œuvres de Féval furent dès lors compilées par les éditeurs parisiens : H. Boisgard. C'est dire que sa plume n'était pas en jachère. Tel un Dumas père ou un Sue, Féval s'affichait volontiers dans le monde, notamment lors des premières de ses dramatiques. Sa réussite prenait de l'ampleur de façon régulière même s'il faut mettre un bémol à ce succès. À l'exception d'une seule œuvre magistrale qui restait encore à naître de sa plume fine et féconde, toutes les adaptations sur les planches de ses romans ou drames furent de modestes tentatives qui paraissaient ne pas refléter vraiment l'idée que ses lecteurs ou gens de lettres se faisaient de cet auteur.
Ce fut à croire qu'il était, sous l'Empire, gentiment méprisé de l'élite intellectuelle. Néanmoins, il ne fut pas la cible des gens de plumes, comme Sainte-Beuve l'eût fait, et la classe politique qui s'en prenaient plutôt, fin des années 1840, au genre commercial « feuilleton » en tant que genre. Cette navrante littérature populaire était en réalité attaquée pour blâmer Balzac, Dumas, Sue dont l'étoile ternissait à toucher le genre vulgaire, pour qui d'autres vrais talents étaient réputés. Féval fut-il si peu estimé de ses pairs ? Lui, plus lu que Balzac, le rival d'Alexandre Dumas. Qu'importe, ce fut un grand nom de la littérature populaire française du dix-neuvième siècle.
L'homme approchait la quarantaine. Il s'était fatigué à écrire douze heures par jour, capable de rédiger quatre jours d'affilés, enfermé, pour fournir ne serait-ce qu'un gros volume in-8° (octavo).
Depuis son enfance, Paul Féval était un être délicat, sensible, primesautier aussi. Une histoire d'amour qui se terminait mal et le voici chagrin et déprimé. Il avait terriblement besoin d'amour et de soins infirmiers.
Un jour, alors qu'il se sentait accablé, il se rendit au cabinet médical d'un homéopathe, le docteur Pénoyée. Ce dernier le prit un peu à sa charge et s'évertua à le guérir de sa dépression nerveuse. Le médecin avait une fille de vingt ans, Marie Pénoyée. Si le premier garantissait les soins du corps, la seconde permit les soins du cœur. En 1854, Marie offrit sa main au futur père de ses huit enfants. L'un d'eux naîtra en 1860 et portera le prénom et le nom de son écrivain de père. Le couple alla s'installer au 138 de la rue du Faubourg Saint-Denis.
On l'avait compris, Paul Féval pratiquait bon nombre de genres littéraires, du roman feuilleton en passant par le récit de cape et d'épée jusqu'au roman policier avant l'heure. Il connut la consécration pour le Bossu qui parut en 1857 dans le journal Le siècle. Ce fut véritablement l'œuvre fabuleuse qui lui permit de passer définitivement à la postérité. Ce mélodrame fameux de cape et d'épée sera d'ailleurs porté sur les planches de toutes les scènes de France dès 1862. Le cavalier " bossu " Henri de Lagardère, dont le passionné accent fut marqué jusqu'à nos sociétés modernes dans d'effervescentes interprétations filmiques.
Le type du héros de fiction qu'incarne Henri de Lagardère marque l'existence d'un preux chevalier qui entraîne le lecteur dans ses diverses aventures " cavalcadantes ". Voilà la trame bien ficelée d'une histoire privée où l'amitié, la loyauté puis l'amour tiennent une très grande place.
Mais pourquoi donc Féval usa-t-il de son deuxième prénom pour créer son personnage le plus illustre ? L'auteur avait-il besoin d'être considéré comme un personnage flamboyant et rusé et très attachant ? Avait-il si peu d'assurance sous le régime autoritaire du second Empire ?
Henri de Lagardère eût sans doute pour fonction d'être le film révélateur du visage trop mal connu de l'écrivain. Toutefois, de nouveau, victime de sa propre célébrité, ledit récit romanesque de moins de 140 pages, véritable quintessence du roman de cape et d'épée, occultera par la suite la plupart des autres œuvres de ce prolifique romancier populaire.
L'année 1857 vit la publication des Compagnons du silence qui luttait à force égale sur le terrain de l'édition avec Les Drames de Paris de Ponson du Terrail, Le Roi des montagnes d'Édmond About. Auteur devenu à la mode sous l'Empire, Paul Féval rivalisait avec le père de Rocambole, avec le posthume créateur génial de la fresque La Comédie humaine, égalisait sans gêne, pour les tirages de presse, avec les Alexandre Dumas, Sue ou About.
Dès l'année qui suivit, la parution livresque du Bossu : aventure de cape et d'épée (1858) se fit chez l'éditeur parisien Hetzel, découvreur de talent. Déjà le couple Féval-Pénoyée déplaçait ses meubles et trousseaux au 7 de la rue d'Orléans, sur la commune de Saint-Cloud.
Comment l'auteur de roman-feuilleton allait-il désormais s'investir pour déjouer le piège de l'enfermement populiste ?
Paul Féval, immortel auteur du Bossu, a dû se dire qu'il ne se débarrasserait pas aisément de cette collante étiquette littéraire de spécialiste du roman de cape et d'épée comme le fut l'auteur des mousquetaires ou le sera à son tour Michel Zévaco. Même si le père de Lagardère continuait de passer d'abord pour un feuilletoniste à la magie des atmosphères, à la plume pointue et au sens de l'embrouille, ce dernier s'investissait d'autre part dans des registres artistiques et littéraires moins communs. Féval se voulait être homme de lettres dans le sens noble du terme.
Cette même année 1857, dans la composition des Compagnons du silence, l'auteur ne semblait pas encore être en rupture immédiate avec la tradition, alors qu'il utilisait sciemment d'images nocturnes, d’ambiances souterraines reconnaissables aux feuilletons ou aux romans populaires. L'écrivain en vogue cédait, pût-on croire, à la mode des bandits conspirateurs en créant une société secrète italienne du 18e siècle.
À la suite des évènements décisifs de février 1848, l'auteur rennais était sagement redevenu conservateur. Son mariage avec Marie Pénoyée, une fervente catholique, en avait fait un coutumier du chemin de l'église tel un pratiquant fervent.
Mais la main a de ses automatismes. La technique d'écriture de l'époque était de tenir, dans les publications sérielles, le lecteur en haleine, par un art consommé d'installer l'intrigue (surtout lorsque le journal prolonge indéfiniment l'œuvre pour son succès commercial, et qui par conséquent devient vite un roman fleuve) sur un terreau nourricier saturé de social, à la morale toujours conventionnelle. La presse a ses publics concurrentiels. Les écrits de Féval trahissaient une illusion perdue, grossie à la loupe de la romance, sur la nature humaine. Il paraissait ne poursuivre aucun projet édifiant.
Qu'aurait donc lu le Ciel dans l'inconscient de l'enfant d'Ille-et Vilaine ? De la fragilité et de la fatigue ?
Au cours des deux années de 1858 et 1859, l'auteur breton ne fit publier que deux titres : La Fabrique de mariage (en huit volumes tout de même) et le Roi des gueux (en deux volumes seulement). Cette dernière était une œuvre épique qui fleurait bon les vives couleurs régionales de l'Espagne. Féval n'ignorait pas qu'il s'était attaché, depuis 1841, un lectorat privilégié. Il lui fallait en outre élargir sa cible en alternant ses sujets littéraires en élargissant ses domaines de compétences… à savoir l'histoire, le régionalisme ou le fantastique, pourquoi pas !
Sa sympathie pour Eugène Sue trouva son écho dans La Fille du juif errant, en 1860. Rappelons que Sue fut à l'origine de la première publication du Club des phoques (1841) et du succès littéraire actuel de Paul Féval.
Quelques douze ans avant que Carmilla paraisse sous l'idée morbide de Sheridan Le Fanu (qui inspira un certain Bram Stocker, pour laisser à la postérité un chef-d'œuvre du genre : Dracula, en 1897), le premier roman fantastique du romancier français prit le titre de Chevalier Ténèbre. Ce roman noir est l'un des quatre classiques histoires de vampires que composa la plume enchanteresse de Féval.
La famille s'agrandissait également. Marie attendait le petit Paul Auguste Jean Nicolas. À l'avenir, il faudrait préciser soit Féval père, soit Féval fils. Tout ce petit monde déménagea bientôt au 69 du boulevard Beaumarchais. C'est que Paul Féval est très riche maintenant. Il vit sans le souci du lendemain, lui pour qui la fortune finit par succéder à la misère déplorable d'une mansarde.
N'avait-il pas une revanche à prendre sur une certaine période de sa vie de jeune homme ?
C'était peut-être la période la plus faste de son existence. Homme, mari et père, le voici heureux, comblé, plein de verve, riant volontiers à gorge déployée. Il était en relation étroite et suivie avec la société des gens de lettres du moment. C'était un homme du monde d'une grande bienveillance, mais capable d'une grande fermeté, susceptible de s'empourprer à l'occasion, emporté brusquement par une vivacité extrême et contrastante.
Dans son cœur, Paul pensait chaleureusement à son défunt père, qui lui avait sans aucun doute rêvé longtemps une vie opulente d'honnête homme. Peu importait qu'il ne fût pas magistrat, Dieu lui pardonnerait bien cela.
Il y eut une pièce maîtresse mal connue à nos époques modernes, qui compta beaucoup en l'année 1862. Féval fit porter à la publication Jean Diable et fondait dans l'élan le magazine éponyme du roman policier ci-devant citée. Émile Gaboriau fut l'un des éditeurs de Jean-Diable. Étonnamment, le roman en volume fut signé d'un pseudonyme prudent en ces termes : Jean Diable. Peut-être l'auteur parisien n'était-il pas assuré, au départ, de l'écho reçu par son public lors de sa sortie dans les points de vente choisis. Il utilisa à ce propos différents noms d'emprunts au cours de sa carrière tels sir Francis Trolopp. Citons aussi Daniel Sol ou El Grunidor pour quelques documents espagnols. Les éditeurs anglais avaient anglicisé Jean Diable en un John Devil plus local.
Cette même année 1862, Féval, en bon père aimant, avait tenu la promesse qu'il avait faite à sa fille Joséphine, sous la forme publiée de Romans enfantins, composés à l'occasion de quatre récits courts, chacun d'eux dédié à une petite personne de l'entourage des Féval. Dans ce volume anniversaire, pour les sept ans de la jeune enfant, l'auteur et sa petite Joséphine posèrent pour une photographie qui les a immortalisés tous deux depuis.
Au début des années 1860-1870, la gloire souriait à Féval. Sa réputation le conduisait jusqu'à la résidence de Napoléon III, dans l'Oise, sur l'invite expresse de la gracieuse Impératrice Eugénie. Là, notre auteur y retrouvait parmi d'autres Ernest Capendu, Jacques Offenbach ou Prosper Mérimée pour se prêter, en assesseurs de la littérature, à des réunions artistiques et littéraires organisées par l'Impératrice des français.
Pourtant Féval n'ignorait nullement les nombreuses inégalités de son siècle et il n'hésitait pas à dénoncer sans cesse et sans aucune indulgence les usuriers, les boursicoteurs, les fortunes malodorantes ou la spéculation. C'étaient souvent d'ailleurs le fond tangible de ses romans ou pièces de théâtre. Il avait aussi une revanche à prendre sur les premières affaires immobilières qu'il plaida avec désespoir, en ces temps lointains où il fut avocat.
Homme de plume, il n'en fut pas moins intéressé par les sociétés secrètes, en vogue, malgré elles, jusqu'à la fin du 18e siècle. L'écrivain se consacra à suivre la piste de leurs origines sur les terres méridionales d'Italie, découvrant avec surprise comment ces confréries s'étaient répandues à travers toute l'Europe. Il documenta ses œuvres de fiction de façon écrasante pour restituer cette présence manifeste au nombre diversement bas, bien qu'agissante, en toutes les sociétés urbaines de l'époque. Les ramifications de ces confréries invisibles, d'autre part, imprégnaient toutes les couches de la société. C'est ainsi que Paul Féval avait présenté les " Gentilshommes de la nuit " dans les Compagnons du silence, en 1857, à un public qui se fidélisa vite, avide de ces aventures utopiques.
Acceptant la présence du bacille infectieux de cette forme de littérature en ses veines, Féval porta dans d'autres de ses récits traduits, en espagnol ou en anglais, l'ambiance surréaliste et presque invraisemblable d'une grande fresque urbaine qui eut une étonnante influence sur l'imaginaire du roman d'aventure populaire. Telles furent la recherche et l'impression que laissèrent Les Habits noirs, éditées en 1863.
Féval, le père, très documenté, eut la riche idée de mettre de scène une vaste épopée de la Normandie Connection qui exista bel et bien au 19e siècle. Il le fit sous forme de publication sérielle feuilletonesque intitulée : Les Habits noirs ou la mafia au XIXe siècle. Les éditeurs parisiens Hachette entreprirent la diffusion sur le territoire des deux volumes de plus de 400 pages qui regroupaient le feuilleton. La forme actuelle de cette immense chronique mériterait de compter parmi les classiques du roman populaire. La galerie des personnages de tous les milieux sociaux est pittoresque, les situations sont rocambolesques et les rebondissements sont tragi-comiques, justifiant l'écriture de sept autres romans dans ladite série.
Ce fut une des œuvres majeures de Paul Féval, mais ce sera également l'un de ses derniers grands romans feuilletons traditionnels. À l'origine, le roman fut écrit pour faire concurrence au personnage imaginaire Rocambole (1859) de Pierre Alexis, vicomte de Ponson du Terrail (1829-1871). Son style et sa forme furent comparés par la suite au roman le Comte de Monté Cristo (1846) d'Alexandre Dumas.
L'invention littéraire de cette société du crime, aux codes verbaux particuliers remporta un énorme succès. Deux personnages aux caractéristiques fortement marqués se partagent l'avant de la scène de cette saga criminelle, ainsi le Colonel Bozzo-Corona (parrain d'un empire conçu sur le crime organisé) et son lieutenant Monsieur Lecoq, plus connu sous le nom de Toulousain l'Amitié. Ces deux hommes conduisent d'une main de maître une mafia du 19e siècle qui fit date dans les faits divers de 1850 à la fin du dix-neuvième siècle.
Les informations laissées par Gaboriau au sujet de la création du personnage de Lecoq étaient équivoques et contradictoires. Quoi qu'il en fût, Lecoq(c) pourrait avoir été conçu quelque part dans les années 1829 et 1834. Il s'agissait sans doute d'un personnage ayant défrayé la chronique en ces années-là. Un bagnard, pourquoi pas !
Émile Gaboriau (1832-1873) qui fut journaliste lors de son premier métier, puis secrétaire "secondaire " de Paul Féval eut l'idée d'écrire également ses propres romans. Ce fut un précurseur et disciple du roman policier en tant que genre complet et appelé à une longue postérité. Balzac, Hugo, Vidocq et Dumas avaient, bien entendu, préparé le terrain avec leurs ouvrages publiées en feuilletons, dont les plus fameux furent Vidocq (1828), Vautrin (1840), et Jean Valjean (1866). Le personnage de Féval, monsieur Louis Lecoq fut inspiré par le Préfet de police, Eugène François Vidocq, forçat libéré, ayant bel et bien existé.
L'école française du policier conduite par Gaboriau créa le modèle du policier professionnel, vivant des situations mélodramatiques et une romance en arrière plan. Tous les « ingredientis » du feuilleton y furent assemblés pour assurer un franc succès public et commercial aux écrits : personnages bien trempés, milieu social brûlant et coups de théâtre. L'affaire Lerouge (1866) et Monsieur Lecoq (1868) mériteraient d'être cités comme deux compositions magistrales qui parurent en feuilletons, puis en volumes reliés.
La réussite des Habits noirs incita son auteur à écrire une suite, puis un troisième volet, puis quatre, cinq jusqu'à sept. La plus grande revendication à la célébrité de Féval fut, sans aucun doute, d'être un des pères du roman policier moderne à sensation. Au sein du roman, l'enquête. Au cœur de l'enquêteur, la sagacité. Le père Dumas et Eugène Sue surpassaient leurs contemporains dans le genre feuilleton à suspense. Ils avaient introduit la théorie osée d'une idéologie de la sécurité face à la métropole où les marginaux apportaient la criminalité. Le capitalisme industriel était montré du doigt.
La légende des Habits noirs fut réécrite entre 1863 et 1875. Elle comporta finalement sept tableaux, dont le premier acte se composa déjà de deux méchants volumes. Féval ne s'était-il pas embarqué dans une vaste chronique historique criminelle susceptible de rivaliser la Comédie humaine de Balzac ? La question fut en tout cas posée par les critiques littéraires de l'époque.
Il y a des chefs-d’œuvre comme le Bossu qui éternisent des citations. Les Habits noirs laissèrent plusieurs phrases codées rattachées fortement au contexte de la narration. L'une d'elles : « Fera-t-il beau demain ? » dominait de sa banalité quelques autres, toutes aussi mystérieuses, dont les protagonistes de l'histoire utilisaient à volonté pour passer commande d'un assassinat, ou pour donner le mot de la fuite. Féval en fit fortune.
Et revoici la famille de l'auteur de renom dans de nouveaux préparatifs de déménagement qui, cette fois, les conduirent à occuper un logement au 80 de la rue Saint-Maur, en 1863.
Un feuilletoniste anglais, réputé pour ses contes de Noël, entrera bientôt dans le cercle d'amis intimes de Féval, pour y demeurer bien longtemps. Durant la prosaïque histoire romancée du crime organisé qui courut douze années de publications volumineuses, Féval n'en continuait pas moins à travailler sur d'autres titres, d'autres idées.
Les contes furent pour lui aussi à l'honneur (ex. : le Poisson d'or, 1863), les pièces de théâtre furent publiées et mises en scène (ex. : Jean qui rit, 1865), le mousquetaire devient le sujet d'autres récits d'aventures (ex. : la Reine Margaret et le mousquetaire, 1862), le fantastique renaissait sous la plume volubile de l'écrivain (les Drames de la mort, 1866). Restons plus longtemps sur ce conte fantastique qui est l'une des quatre aventures classiques de sang où vampires sont héroïques.
Dans son roman de 388 pages à la gothique, apparaît la figure charismatique de la comtesse Ghoul Addhema, et son suivant le strigoï Szandor, tous deux aux libidos sauvages. La comtesse Ghoul est la muse de sang de ce songe affreux. Femme mythique possédant l'immortalité, à la grâce incarnate, fée noire enchanteresse tribade et séductrice, au fronton du château de laquelle un blason portait cette sentence de mort :
« In Vita Mors, In Morte Vita »
Leurs aïeux avaient légué une formule héraldique qui disait : vivre et mourir pour celui ou celle qui sera privé(e) de sa vie et de sa mort, à la fois. Ce sont les drames de la mort. Une devise chère à ce genre humain qui courait au pourtour d'un écu rehaussé d'une couronne comtale, en lettres gothiques sable sur or. Le même emblème consanguin était brodé au coin d'un mouchoir, tout comme il apparaissait dans la sertissure d'un cachet de cire noir.
Ces nouvelles surnaturelles mériteraient d'être redécouvertes.
On le voit, à la loupe de ces publications, Paul Féval écrivait beaucoup. En 1866, un drôle de petit bouquin fut édité sous le titre déconcertant de : la Fabrique de crimes. De façon plutôt controversée, Féval lui-même se moquait de cette veine florissante du roman-feuilleton, au cours de ce bref récit parodique.
Pourquoi donc avoir écrit de la sorte ? L'auteur à la mode aurait-il senti en lui sourde une onde d'inspiration plus pure ? Il faut le croire. L'auteur devra reconnaître plus tard que ces chroniques du crime avaient exercé une néfaste influence sur les lecteurs et sur la société des hommes. Son amertume trahissait un sentiment à peine voilé d'échec.
Célébré comme il se devait de son vivant, Féval reprit en 1867 son métier de défenseur des justes causes en plaidant la défense de la propriété littéraire, à peine reconnue en ces temps reculés. D'ailleurs, s'il évoluait toujours dans les rues de la capitale, le dos un rien tassé et courbé en avant par les travaux pénible d'écriture qu'il s'imposait, l'homme était reconnu des gens dits d'en bas et connu de la haute société. Il avait tout de même été fait Chevalier de l'Ordre de la Légion d'Honneur.
C'était un gentil monsieur spirituel et rieur, au bel humour, plein d'esprit, alerte et gai. Il côtoyait le peintre et graphiste Gustave Doré, le compositeur de l'opéra Roméo et Juliette, Charles Gounod, l'auteur nantais De la Terre à la Lune (1863), Jules Verne. En résumé, Féval était un homme de son siècle. Il écrivait, outre des romans, des discours, de nombreux articles dans nombres de journaux. Il savait aussi préparer des conférences auxquelles il participait activement. Il correspondait à l'envi avec un soin heureux pour les archives de bibliothèques.
Question : Qui a connu la famille Treguern ?
Réponse : Les protagonistes de ce folklorique roman noir restent à jamais gravés dans la mémoire collective des contes de Bretagne.
Questions : Mais qui est le vampire ? Qui l'a vu ? Qui a eu affaire à lui ?
Les sergents ? Le Commandeur Malo ? L'homme noir ou l'homme sans bras ?
Le secret est dans la tombe.
L'année suivante, c'est-à-dire en 1868, il se voit chargé d'établir un rapport exhaustif sur l'avancée des Lettres sur le territoire national. Ce document de quelque 180 pages fut publié par l'Imprimerie impériale. Et déjà il redéménageait pour installer les siens (Paul et Marie eurent 8 enfants) au 88 de l'avenue des Ternes, pour reprendre peu de temps après un logement dans un haut immeuble, 129, rue Marcadet. À l'aube de l'année 1870 du calendrier Grégorien, de grands événements étaient en préparation.
Qu'allait faire Féval, père si accompli en son art, de son côté ? Sa spiritualité pouvait-elle l'émouvoir ?
Dans le courant des années 1860-1870, un genre littéraire tendait à s'imposer et à être en vogue : le roman d'aventures géographiques. Le roman d'aventures avait effectivement tendance à se dérouler dans une géographie exotique. L'espace exotique était avant tout un espace sauvage. L'idéologie colonialiste de l'époque nourrissait ces récits où pour le colon, le pays sauvage était une terre vierge, les peuples n'y avaient pas de lois, pas de morale, tout restait à faire. Le récit d'aventures géographiques racontait très souvent l'arrivée d'un homme blanc en territoire étranger. Le pays était alors présenté comme tout entier, sauvage et violent. Mais l'homme blanc véhiculait des valeurs justes. Dans les récits exotiques, le lecteur était et reste encore transporté dans des régions méconnues. L'imagination des lecteurs était emportée vers les paysages d'Afrique, les hauteurs de l'Himalaya, les mystères des pays andins ou vers des continents perdus. Voyage mystique sur vélin s'il en fût.
On peut s'accorder à prétendre que Féval vit son étoile ternir à partir de la fin des années 1860 lorsque ce genre nouveau recueillit un lectorat en attente de changements et d'originalités.
Le règne de l'empereur Napoléon III arrivait à son terme également. Une fin de carrière qui va basculer dans l'humiliation et la déportation. La politique extérieure du Second empire connaissait ses coups rudes et meurtrissants. Une guerre prématurée déclarée en juillet 1870, par la hantise d'être envahi, contre l'Allemagne voisine de Bismarck se solda par un échec coûteux le 02 septembre 1870, à Sedan, dans les Ardennes françaises. L'Empereur fut fait prisonnier et déporté en Allemagne. La révolution du 04 septembre 1870 marqua de façon définitive la chute du Second empire. Gambetta, Favre et Ferry, députés républicains, proclamèrent la IIIe République. Mais l'Assemblée nationale était à forte tendance monarchiste.
Paul Féval s'exila prudemment à Rennes. Il réussit de la sorte à échapper à la Commune de Paris, au printemps 1871 qui fut réprimée, sous les ordres de Thiers, dans l'horreur et le sang lors de la semaine sanglante.
Les choses étaient allées très vite : Adolphe Thiers était devenu le chef désigné du pouvoir exécutif en février, puis dès août, le premier président de la IIIe République.
En attendant que tout cela passe, Féval s'occupait en allant pêcher à la ligne, en visitant sa famille, ou en se rendant de temps à autre au Mont-Saint-Michel. Le rennais connaissant le responsable de l'ancien établissement pénitentiaire" Maison de force " du Mont qu'avait été l'abbaye jusqu'en 1863. En 1870, le Mont Saint-Michel avait cessé d'être une prison et était devenu un monument historique national. En 1874, il sera classé monument historique après les travaux de restauration de 1872 dus à l'architecte Corroyer. Mais surtout le fils du pays écrivait.
Sans relâche, mais avec moins d'entrain. Il y eut moins de publications de son écriture à cette époque précise. Quelque évènement mûrissait en lui. Il vivait avec difficultés les bouleversements politiques, sociaux qui firent corps avec la défaite de 1870. Cependant, sa série fleuve occupait toujours les colonnes des journaux à feuilletons. D'autre part, le théâtre fut à l'honneur, à deux reprises. La première fois, il publia une causerie sur l'École des femmes, qu'il intitula Théâtre-femme (1873). La seconde, le Théâtre moral fut un autre sujet de discussion autour de la société du théâtre (1874).
Le destin de Féval… non sa vie, sa destinée ultime plutôt, était à l'œuvre en lui. Coup sur coup, il subit deux échecs à sa possible accession à l'Académie française. Certes, il ne fut pas élu, mais en retour il occupa, pas moins de cinq fois, le siège brigué de président de la Société des Gens de Lettres. La Société des Auteurs Dramatiques, quant à elle, l'accueillit à présider à trois reprises ses séances. Paul Féval devrait avoir tout pour être heureux. Il réussit même à capitaliser une jolie fortune. Seule ombre au tableau si ce n'était que sa popularité décroissait sensiblement. L'évasion était ailleurs pour les lecteurs.
Le monde avait tressaillit et les peuples n'étaient déjà plus les mêmes. Rien ne sera jamais plus pareil.
Encore moins l'Empire ottoman. Le sultanat ottoman exerçait depuis le début du 13e siècle une autorité unique incontestée sur l'ensemble des terres et des sociétés qui formaient la mosaïque de son potentat. Au 19e siècle, le lent et fatal déclin de l'Empire contraignit le congrès de Paris de le placer sous la tutelle des états européens industrialisés. Les territoires de l'Empire turc ottoman prenaient, chacun leur tour, leur indépendance et leur autonomie. L'Empire perdait par la même ses sources de revenus et de magnificence. Ses engagements d'alors devinrent les dettes qui s'accrurent irréversiblement. Les occidentaux avides y virent un moyen facile de faire intrusion dans la gestion de l'entité moribonde. Sur une période assez longue, investissements divers et spéculations fréquentes des classes aisées et nanties allèrent bon train. Jusqu'au jour où…
Féval fut de ces malheureux pour qui le capital était devenu une sorte de jeu (de société). Ces opérations hasardeuses provoquèrent finalement une débâcle financière qui n'était pas sans lui rappeler le sort que sa mère, ses frères et ses sœurs connurent au jour du décès de leur père. La famille Féval, la sienne aujourd'hui, se retrouvait subitement dans une situation désespérée. Paul Féval se ressouvint vraisemblablement de ses onze ans. Le coup porté fut accusé durement.
Nous sommes en 1875 maintenant. Les écrits du père spirituel du chevalier " bossu " Henri de Lagardère n'avaient jamais été en conformité morale avec les enseignements de l'Église. À 59 ans, Féval s'inscrivit dans une entreprise de reconversion aux premières références inculquées dans sa prime jeunesse. Son épouse, qui n'avait que quarante années à peine, telle l'Impératrice Eugénie, eut une influence avérée sur l'époux dépossédé durant cette période charnière de leur vie. Ardente catholique, mère de huit enfants, elle traduisit les épreuves de l'auteur pour des signes d'en Haut, qu'il n'était pas bon d'ignorer.
Parce que l'homme avait encore des choses à dire, parce que l'écrivain maniait la plume avec dextérité, parce qu'il lui fallait sortir ses chers et tendres de la gêne, Féval fit publier les derniers de ses manuscrits.
L'ouvrage remarquable, presque audacieux, qui fut mis en vente cette année-là portait le titre provocateur de La ville-vampire. C'était le quatrième et dernier roman classique de ses œuvres fantastiques. Ce récit de 388 pages fut, semble-t-il, une imitation satirique de la littérature gothique qui gravit en popularité vers 1790. Les grands initiateurs britanniques en furent Ann Ward Radcliffe, Horace Walpole, Matthew Gregory Lewis.
Les courts récits bretons de notre auteur furent publiés de temps en temps, presque avec une sage régularité. Ses contes furent bien présents dans les premières années de sa vie de jeune écrivain. Ils révélaient l'âme spirituelle secrète de l'enfant d'Ille-et-Vilaine. Un conte oral ou écrit conduit naturellement à une moralité affichée et bien établie dans l'esprit des générations, mais plus encore à une possible introspection de l'auditeur ou du lecteur. Exploitant la faculté humaine à produire de l'imaginaire (animation domestique de l'image), le récit nous invite à cheminer dans les paysages intérieurs de notre être, parmi les capacités virtuelles en suspension ou les vécus réels emmagasinés çà et là afin d'en retirer une possible conclusion.
Peut-on ou non agir de la sorte sans risque ?
Pour Féval, la religiosité de son enfance aurait été une trame de lecture intimiste, aux récits bien différents. Un investissement autre. Mais sur cette route toute belle tracée, il y eut des bornes de lecture tels Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, une impressionnante littérature dramaturgique, Byron, Shakespeare, Corneille, Molière, les romans de colportages (romans de mœurs, amours galants). Seul, Malebranche lui donna accès à son école métaphysique, traitant de morale et de l'ordre naturel et de l'ordre de la Grâce.
La première aventure de Corentin Quimper, en 1876, fut un de ces courts récits bretons destinés aux enfants et aux parents. Par l'usage de son troisième prénom, Paul Henri Corentin Féval transmit à ce conte un peu de lui-même. Pendant l'hiver de 1876 et 1877, la belle étoile venait briller et dévoiler la première manifestation rédigée et publiée de la conversion de Paul Féval. L'écrivain s'était penché sur la vie du bienheureux Yves Héleri, un saint breton béatifié, qui sut, sa
vie durant, vivre dans l'humilité et la charité.
L'un des plus grands romanciers populaires du XXe siècle, s'illustrait à découvert dans un registre nouveau pour lui et déroutant pour son public. Il dût y avoir un déclic. L'ordre naturel avait échappé à Féval, l'ordre de la grâce lui revenait. Après avoir perdu sa fortune dans un scandale financier, Paul Féval se convertissait haut et fort à la religion judéo-chrétienne. Il abandonnait donc là l'écriture des romans noirs et romans policiers, laissant probablement inachevé le roman fleuve des Habits noirs.
Dès lors, il s'engagea résolument sur des écrits à vocation pieuse dont des nouvelles historiques ou des biographies régionalistes. Il n'était plus déprimé, il se relevait hardiment. Féval était convaincu qu'il pouvait réécrire ses anciens manuscrits publiés afin d'en extraire ce qui les rendait impies. Ces ouvrages pleins de meurtres, de libertinages suspects, d'horreurs diverses n'étaient plus dignes de lui. Il voulait ou les détruire ou les racheter pour les recomposer après censure afin qu'ils puissent être lus sans danger par des enfants.
L'un de ses éditeurs n'accepta pas le risque de perdre l'originalité première des œuvres de l'auteur. Un procès d'opinion sur la liberté littéraire s'ensuivit contre la maison d'édition parisienne récalcitrante, E. Dentu. Féval perdit le procès, mais pas sa force de travail, ni son talent d'homme de plume.
Seule ombre au tableau, dès 1876, Féval fut délaissé rapidement par les lecteurs qui l'avaient suivi depuis les années 1840. Qu'importait, il se découvrit de fait un nouveau public qui fut fidèle à ses écrits inédits voués à inspirer la piété naturelle et la vertu, en référence à Saint-Yves justement. Le vieil homme avait besoin d'exulter une joie de vivre nouvelle. De 1877 à 1882, la Société Générale de librairie catholique Victor Palmé, sise à Paris, se porta cliente pour les futures œuvres édifiantes que Féval proposerait. Dans le même temps, elle accomplit une réédition de trente-six des titres que l'écrivain expiateur avait revues et corrigées avec le plus grand des soins. Paul Féval proposa à l'édition quantité d'ouvrages religieux tout en révisant ses travaux d'écriture de la première heure.
Il passa vertueusement les dernières années de sa vie à expurger de son œuvre compilée tout ce qui pouvait rappeler son passé de libre penseur. Il s'adonna ensuite de façon très inégale à tous les genres possibles : dramatique par exemple avec Bellerose, en 1877, les écrits biographiques et les portraits régionalistes comme Pierre Olivaint, en 1878. Autobiographe avant l'heure, il laissa un manuscrit qui décrivait de manière frappante l'expérience qui le fit revenir à la foi, en rencontrant les Jésuites !, publié en 1877, aux éditions V. Palmé. Encore que, en cet aspect de sa vie concrète, il ne faut pas négliger de souligner l'insistance de sa dévotion exposée au milieu de sa ruine financière. P. Féval rédigea alors les quatre étapes d'une conversion dont les volumes furent publiés en France, en Belgique et en Suisse.
Cependant, se faisant, son labeur et un second revers financier qu'il eut à souffrir à nouveau eurent raison de sa santé. Sa popularité lui revenait, hors du circuit du vulgaire, via le chemin de la parole maîtrisée. Mais, en 1880, la sécurité de sa famille fut rétablie. Il était de nouveau à la tête d'une assez considérable fortune. Seulement, on n'a pas toujours le voisinage que l'on mériterait. Un mauvais homme qui logeait au pas de la porte des Févals pressa, un jour, l'auteur converti à lui confier ses économies (si durement acquises), dans l'objectif déclaré de revaloriser le patrimoine. Les conséquences du surmenage abîmaient lentement la santé physique et mentale de Paul.
Se sentait-il menacé en son tréfonds ? Sûrement se sentait-il affaibli et incertain des lendemains. Il eut la faiblesse de faire confiance à ce voisin matois. L'autre disparut avec le capital.
De cette seconde faillite, Paul Féval subit un authentique dépouillement. Voyons ce que nous apprend Marie-Thérèse Pouillas en la matière : « Ses amis écrivains s'émurent de sa situation. Un comité d'aide […] recueille des souscriptions ». Pour un homme âgé de soixante-quatre ans, ce fut un coup de grâce.
Féval vivait mal, la paralysie le gagnait. L'année d'après, en 1881, Victor Palmé ne produisit que trois titres signés de la plume de l'auteur parisien, né à Rennes.
Quelque trois années plus tard, Marie Féval, née Pénoyée s'éteignit, en 1884. Elle avait à peine cinquante ans. La santé de Paul se détériora davantage et de manière irréversible.
Il vivra les dernières années de son existence, n'ayant pour compagnie que la maladie. Bien évidemment, il était très entouré de ses enfants Paul, Joséphine, Marthe et les autres. Bien entendu, Alphonse Daudet, Charles Gounod, Hector Malot, Victorien Sardou, l'académicien Édmond About passèrent s'asseoir à son chevet, le réconfortèrent, l'aimèrent profondément.
La Société des Gens de Lettres, de la Société du même nom, à laquelle le vieil homme avait maintes fois été le président, proposèrent à ses enfants et parents de le confier aux frères Saint-Jean de Dieu. L'ami d'Eugène Sue et de Dumas père était atteint de paralysie envahissante, souffrant de graves crises d'hémiplégie.
Le monastère parisien, sis au 19 rue de la Oudinot, lui servit de refuge pour apaiser ses derniers jours d'agonie.
C'est la fin de l'hiver, nous sommes le mardi 8 mars 1887. Quelques années après ces terribles souffrances qui le laissèrent aliéné, Paul Henri Corentin Féval, dit Féval père, s'endormit enfin pour rejoindre sa douce Marie. Bien qu'il fût adoré pendant longtemps, il mourut dans la ruine.
La cérémonie religieuse des funérailles se déroula en la chapelle de l'église Saint-François Xavier. La dépouille mortelle de Paul Féval ne fut pas rapatriée sur Rennes. Le vieil corps fatigué fut posé en terre au cimetière de Montparnasse, dans la capitale.
Le goût de l'écriture toucha Paul Auguste Jean Nicolas Féval (1860-1933), dit Féval fils. L'œuvre littéraire du père qui perdura quarante bonnes années, trouvait sa continuité légitime dans la plume ouvrière et hardie du fils, telle une « tradition » nouvellement acquise. Le flambeau changeait de mains. Le fils devint, au fil du temps, réputé pour ses nouvelles, ses romans et ses pièces d'opérette et ses dramatiques. De facture plus modeste, les écrits du fils suivirent néanmoins les fils des trames déjà dévidés avant lui par son géniteur et par Alexandre Dumas père. D'Artagnan rencontra Cyrano. Le chevalier Lagardère eut un fils, en la personne du sergent Belle-épée. Le filon de l'histoire semblait avoir été ouvert pour ne plus se tarir. Ainsi donc, fin du 19e siècle et début du 20e, Paul Féval fils créa de toutes pièces (sous de nombreux titres) une famille généalogique à Henri de Lagardère, dans une suite extravagantes d'aventures nouvelles du " petit parisien " : Les Jumeaux de Nevers (1895, avec A. D'Orsay) ; Les Chevauchées de Lagardère (1909) ; Mademoiselle de Lagardère (1929) ; La petite fille du Bossu (1931), puis La Jeunesse du Bossu (1934).
Les mystères urbains anglais trouvèrent un héritier qui n'inventait certes pas, mais qui prolongea un temps encore l'illusion.
Parmi ces autres travaux d'écriture : Nouvelles (1890) ; Maria Laura (1891) ; Chantepie (1896) ; Aventurières (roman galant sage) ; Mam'zelle Flamberge (1911) trouvèrent un public de lecteurs assidus.
Le fantastique renaît des cendres Féval en la personne de L'Homme tigre (1929) et sa suite Londres en folie (1930). Ces deux tomaisons furent édités sous l'intitulé générique de Félifax.
Les manuscrits de Féval père (ses textes originaux, sa correspondance, des écrits en tous genres, ses manuscrits corrigés (après sa reconversion)), les manuscrits de Féval fils qui exploita la veine des personnages de son devancier ont été confié à la mort de Féval fils, en 1933, à une bibliothèque. Ce fonds considérable de 719 volumes, 89 manuscrits et quelque 200 lettres ont été légué à la Bibliothèque Municipale de Rennes, en Ille-et-Vilaine.
On doit à Marie-Thérèse Pouillas (conservatrice générale d'État), un portrait historique, social et littéraire de Paul Féval père. Le document a été publié aux Presses de Média Graphie, à Rennes, en 1987.
Pour lire une étude sur Paul Féval :
Galvan, Jean-Pierre, Paul Féval, Parcours d’une œuvre, Encrage éditeurs, Paris (2000).
Cressard, Pierre, Les maisons inspirées, éditions Plihon, Rennes (1957).
Baudry, Jules, La jeunesse de Paul à Rennes, éditions Plihon, Rennes (1938).
Descaves, Lucien, " Un aïeul du roman-feuilleton ", in Les Nouvelles Littéraires (12 mai 1934).
Delaigue, Albert, Un homme de lettres : Paul Féval, éditions Plon, Paris (1890).
Chincholle, Charles, Femmes et Rois, éditions Flammarion, Paris (1886).
Eugène de Mirecourt, Paul Féval, éditions Havard, Paris (1856).
Pour lire Paul Féval père, rendez-vous sur les sites suivants :
http:// lebossu.free.fr
http://www.ebooksgratuits.com
http://www.gallica.bnf.fr
http://www.gutenberg.net
http://www.mauvaisgenres.com/jean_pierre_galvan.htm
http://www.members.aol.com/cjolas
http://www.pasadizo.com/libros.jhtml?ext=2&cod=77
http://www.roman-daventures.info/auteurs/France/feval/feval.htm
http://www.roman-daventures.info/auteurs/France/feval-fils/feval-fils.htm
http://www.terresdecrivains.com/article.php3?id_article=65
Pour accéder au fonds Féval à distance :
http://www.bm-rennes.fr/info/publications/bibliotheque_historique/index4.htm
Adresse de la Bibliothèque municipale classée de Rennes :
1, rue de la Borderie 35042 Rennes France