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4 septembre 2012 2 04 /09 /septembre /2012 07:14

 el arte de ensonar

 

Contenido

 

Nota del autor (p. 7)

Los brujos de la antigüedad (p. 13)

La primera compuerta del ensueño (p. 35)

La segunda compuerta del ensueño (p. 51)

La fijación del punto de encaje (p.75)

El mundo de los seres inorgánicos ((p. 103)

El mundo de las sombras (p. 129)

El explorador azul (p. 153)

La tercera compuerta del ensueño (p. 167)

La nueva área de exploración (p. 193)

Acechar a los acechadores (p. 211)

El inquilino (p. 229)

La mujer de la iglesia (p. 253)

Volando en alas del intento (p. 275)

 

 

« Romance avec la connaissance »

 

 

7 : L’éclaireur bleu

 

« Je rêvais un rêve absolument absurde ». Dans la geste de Carlos Castañeda, il arrivait que le héros soit prisonnier. Le rêveur était alité, en transe. Il n’arrivait plus à s’extirper de son dernier voyage au pays des êtres inorganiques. Il était englué dans un espace de brume ocrée, sans fond, ni contour. Effectivement, le pays des brumes paraissait, depuis fort longtemps, aux sorciers rêveurs et aux sorciers traqueurs, tel « un brouillard jaune ». C’était bien plus réel que des histoires de sorciers pour faire peur.

Le contrecoup de cet épisode néfaste durant son acte de rêver fut une perte remarquable de son énergie qui se manifestait par « des accès de fièvre », de la « température [qui] montait brusquement » et un front « brûlant et en sueur ». Malgré l’état nauséeux  d’un organisme qui aurait pu, tout bonnement, réagir à une surabondance de toxines dues à l’ingestion de potions d’herbes empoisonnées et de décoctions de champignons vénéneux, le rêveur Carlos comparait ses accès de fatigue à une réaction du métabolisme qui se rechargeait en énergie de façon désespérée. Son état pathologique était celui d’un sujet inhabituellement éreinté et qui « semblait dessécher l’intérieur de [son] corps ».

Grâce aux soins de son entourage, prodigués par les autres élèves de l’indien yaqui, le rêveur Carlos se remettait peu à peu, nécessitant, tout de même, quatre semaines complètes d’attentions particulières. Celui-ci eut le temps de faire un examen de conscience sur ses actes de rêver. Il considérait « une nouvelle facette de [son] être » qui répondait avec un certain détachement aux derniers événements. Il reconnaissait « une touche de froideur nouvelle » dans sa manière de revenir à son monde. À la suite de sa convalescence forcée, l’élève de don Juan se découvrit une autre personnalité pourvue « d’un strict contrôle de [soi-même] », l’inquiétant de nouveau à l’étude d’un tel déterminisme « si neuf et si fort ».

 

C’est que le sorcier rêveur avait sauvé un « éclaireur bleu », d’un autre monde humain, dans les tunnels du monde des êtres inorganiques. Il était venu à son chevet sous les traits d’une fillette humaine de sept années d’âge, « aux yeux bleu acier […] brûlants de silencieuse émotion qui […] exprimaient gratitude et loyauté ». Pendant un bref moment d’absence, le rêveur eut un doute sur son bon rétablissement. Il eut de la peine à saisir complètement ce qui se passait et ce qui se disait autour de lui. La visiteuse paraissait avoir le regard intense et bouleversant. Pour qu’il saisisse ce qu’elle pouvait exprimer, « elle [lui] dit que pour comprendre ce qu’elle disait, [il] devait transférer [sa] conscience de [son] corps physique à [son] corps d’énergie ».

Ce qui équivaudrait à accepter que la conscience et l’énergie étaient séparables et distinctes. Le vieil indien yaqui n’en avait pas dit autant. À moins que l’énergie du corps physique ne serve de réservoir de secours au corps d’énergie qui pouvait y recourir.

Bien que le mentor du rêveur sauvé n’était pas content des risques que prit son élève, il était quand même soulagé de le revoir sain et sauf. Il lui expliqua alors que « le manque d’énergie » pouvait bloquer la mémoire des événements, et laisser un douloureux vide à l’esprit. Une telle mémoire occupe une position secondaire dans les dépendances énergétiques. Pour se remémorer un quelconque fait passé, il fallait l’énergie nécessaire pour travailler à prospecter les aires cérébrales dédiées aux mémoires. Le vieil indien lui confia un jour : « Tu peux désirer tout ce que tu veux, mais si ton niveau d’énergie n’est pas ajusté à l’importance de ce que tu sais, tu peux tout aussi bien dire adieu à ta connaissance ».

Faute d’énergie, le métabolisme puise dans les réserves… et si les mémoires s’y trouvent, un sacrifice est à consentir. Ainsi est bâti l’édifice humain, que la génétique modèle suivant des principes savants de sauvegarde et de priorités incontournables. Même si « l’énergie a tendance à se cumuler », la sagesse était d’en user avec économie. Ainsi donc, depuis des lunes, une alimentation surveillée et équilibrée a toujours fait partie du fondement de la vie, de la vitalité des êtres vivants de notre vieux monde. Dans l'organisme, les toxiques ne s’ingèrent pas, elles s'altèrent.

Certains rêveurs n’avaient pas encore admis cette règle de vitalité. Si les mémoires de connaissance n’étaient pas brisées et digérées par l’organisme, il était encore possible qu’elles soient inaccessibles faute d’une vitale énergie pour faire le chemin jusqu’à elles. C’est le juste conflit entre le monde des êtres inorganiques et le monde des êtres organiques. Les premiers étaient « en permanence en quête de conscience et d’énergie ». Les derniers ne savaient quasiment rien des principes premiers qui font le nutriment et l'équilibre. 

    

8 : La troisième porte de Rêver

 

« La troisième porte de rêver est atteinte lorsque tu t’aperçois que tu es dans un rêve, en train de regarder quelqu’un endormi […]. Et tu découvres que ce quelqu’un, c’est toi » : ainsi débuta la leçon suivante de l’élève de don Juan. Tous les acteurs animistes du rêve éveillé parlaient de la sorte. Il arrivait qu’un rêveur se perçoive autrement, comme un simple corps étranger.

Les sorciers rêveurs et les sorciers traqueurs durent apprendre à repérer l’« impulsion d’énergie » qui se manifestait en eux et restructurait dans l’instant tout écart dans l’attention première, l'attention seconde et l’intention de rêver. Tout comme dans la vie de tous les jours, la concentration faisait parfois fausse route et s’engageait sur le plan de la rêverie éveillée. De même, dans la période d’endormissement, la concentration défaillait et se tournait vers une construction de l’esprit relâchée et meuble. La tâche était de suivre son attention de rêver sur le cheminement de la même concentration focale mentale, jusqu’à ce que, comme pour le rêveur Carlos, il y ait une sorte d’éveil dans l’acte de rêver. Un champ de vision intérieur irréfutable.

Ce qui rend possible cette apparente « attention seconde », prémisse de l'intention de rêver, venait peut-être d'une faculté d'accommodation intellectuelle, semblable à l'accommodation visuelle, semblable ou en résultant, si l'on considère que l'accommodation des yeux fut un premier geste, ou une première mimique, pour gagner en faculté d'approche.

Néanmoins, le but était de se retrouver en position de corps d’énergie rêvant en train de regarder le corps physique sommeillant. « En rêvant […] te voir endormi, tu es arrivé à la troisième porte », lui assurait son benefactor.

Il restait à ces hommes et à ces femmes de cette nouvelle école d’apprentis rêveurs, d’acquérir la maîtrise de se déplacer par-delà le corps physique endormi ; preuve vivante qu’ils et elles existaient bien tels, ou telles, qu’on avait pu leur promettre. Plus complexe encore était de « fusionner la réalité de rêver avec la réalité du monde quotidien » afin de ne pas dériver vers ses propres projections fantomatiques. Pour cela, le corps d’énergie devait être dégagé des entraves mentales du corps organique. C’était cette maîtrise que les sorciers de l’antiquité nommèrent allusivement : rendre complet un corps énergétique.

Le sorcier don Juan signalait également, qu’après le passage de ce troisième niveau de compétence énergétique, tout rêveur devait prendre garde à ne pas détailler les éléments du rêve-réalité. L’énergie des détails existaient de par leur nature réelle calquée sur le monde de tous les jours. Seulement, se focaliser risquait de glisser dans cette énergie, comme pour les tourbillons énergétiques de feuilles dans l’arbre où le rêveur Carlos s’était arrêté. « Voir les choses avec le plus grand soin […] signifie résister à la tentation quasiment irrésistible de plonger dans les détails », soutenait son professeur. Chaque rêveur sorcier en faisait l’expérience, il devait s’attacher à densifier sa masse énergétique pour qu’elle puisse renaître instantanément d'elle-même et être prête à réagir à son nouvel environnement. De telles recommandations s’adressaient directement au corps d’énergie, en tant qu’interlocuteur silencieux, mais très réactif.

 

Après tout, le corps d’énergie, émulsion du grand Cosmos, présentait des analogies avec le corps physique qui n’était qu’un autre système d’énergie massif. Le mentor de Carlos lui suggérait, à toute fin utile, d’entrevoir l’idée que la position du point d’assemblage résonnait tel un catalogue de connaissances universelles. Chaque filament de lumière consciente était une partie d’une conscience, plus grande qu’elle. Les brins de lumières brillantes connectaient à un réseau de savoirs groupés qui pénétraient la petite sphère sous la surface de l’enveloppe ovoïde, ou ronde, selon les époques présentées.

Une fois cette énergie consciente desserrée, elle accédait à l’immense océan de sagesse de l’Univers. De sorte que « le corps d’énergie a accès à la richesse de l’immensité » des mondes apparents et plausibles. Le Cosmos était cette souche en forme d’« oignon » composée de particules d’expériences microscopiques.

« La position du point d’assemblage est tel un coffre » qui enregistrait tous les changements du pôle de connexion à l’Univers. À tel point que le vieux sorcier emmena, un jour, son élève californien au Musée national d’anthropologie et d’Histoire de Mexico. Jusqu'à ce jour, l’indien yaqui n’avait eu que des mots à dire. À partir de « certaines pièces d’archéologies », il voulait que son élève fasse sa propre « lecture » des archives du temps que les sorciers précolombiens avaient fixées dans les couches de la matière des objets votifs, sacrificiels ou totémiques. Le vieil homme avait besoin de mettre son protégé devant des pièces à conviction. Au Musée d’anthropologie, don Juan lui donna une orientation à suivre. « Dans cette salle, chaque pièce archéologique constituait des archives […] enregistrées par les gens de l’antiquité ». Ce qui fournissait un début d’explication au sujet de la tyrannie exercée par des lignées de sorciers, au cours des âges, sur des générations d’individus. Ces sorciers, de la sorcellerie primitive, apparaissaient comme des testateurs qui auraient tenté de laisser un témoignage vivant de leur passage sur Terre, et de leurs connaissances en matière de « métaphysique ».

 

Les sorciers d’aujourd’hui, les réformateurs de l’ancienne école égoïste et homicide, avaient la chance d’avoir pu déceler de telles documentations. Si la tradition orale de ces gens n’avait pas perduré durant tout ce temps, la lignée des sorciers se serait naturellement tarie. Elle ne s’était peut-être qu’essoufflée. « Chaque pièce est conçue, pour changer [le] point d’assemblage » du sorcier rêveur, qui a su passer la troisième porte en faisait taire ses propres considérations.

Tout comme un roman consigné qui prend vie à chaque lecture, les archives compulsées dans des objets du passé étaient inscrites dans la position d’assemblage d’un lecteur probable. Ce qui tendrait à assurer que l’énergie qui avait donné une forme, plus dilatée, à la conscience et à l’acquisition de la cohérence des groupes de faisceaux de lumière dans le corps d’énergie, était devenu apte à saisir d’emblée les émanations énergétiques des brins de lumières lumineuses provenant de n’importe quel objet naturel ou façonné par des mains humaines. La relecture de l’essence de ces récits focalisés naîtrait de la sympathie du rêveur à partir des ondes reçues. Une participation par l’imagination remettait en forme les données essentielles de dynamique, de longueurs d’ondes, de couleurs, de résonances et lui ferait participer à l’expérience par elle-même. Les sorciers actuels y croyaient comme un principe immuable de l’univers garantissant ce que la tradition orale avait de plus fort dans ces sociétés. L’écrit a amoindri son impact sur les mémoires et la sympathie de la lecture s’était déplacé sur d’autres contenus dans d’autres contenants.

Bien évidemment, et cela de tout temps, l’individu lambda ne dispose que de son point d’assemblage, à son emplacement habituel, pour tout commerce avec son monde. Ce même lambda, initié à déplacer son pôle de connexion, saurait augmenter le champ opératoire de sa conscience, en attestant de la réorganisation spontanée de sa cohérence de référencement par une dynamique énergétique endogène. « Ainsi, la position du point d’assemblage devint l’enregistrement de l’expérience » pour faire du point d’assemblage le récepteur et le décodeur des vibrations ondulatoires. C’était d’ailleurs la prochaine pierre d’achoppement du sorcier apprenti. À ce stade de ses efforts pour mettre en place son acuité, ce dernier devait savoir, en outre, « revenir à toutes les positions » occupées initialement pour que l’accomplissement de sa nouvelle nature soit entier. À lui de réviser les positions de rêver, de les réutiliser pour acquérir de la fluidité énergétique.

 

Carlos éprouvait des difficultés à maîtriser ce genre de déplacement, au passage de la troisième ouverture de sa conscience de rêver. Une telle attraction de la pensée quotidienne rendait foncièrement terriens tous les quidams qui passaient beaucoup de leur temps libre à revivre leurs expériences sur toutes les aspects ludiques possibles.

Le sorcier rêveur de la troisième porte de rêver ne pouvait plus être encombré d’aucune pensée d’aucune sorte, car la pensée était elle-même l’énergie qui court-circuitait le flux de l’attention seconde et de l’intention de rêver. Dans le cours de ses études, le sorcier rêveur se voyait assigner à une tâche supplémentaire.

Il était censé récapituler les moments forts de sa vie privée, en restituant les détails les plus enfouis dans le subconscient et ses mémoires locatives ou centrales. Pour qu’un tel acte puisse se faire sans faille, du mieux que le pouvait le rêveur, le mentor de Carlos préconisait une « respiration » associée à une « récapitulation ».

« Les sorciers de l’antiquité, les inventeurs de la récapitulation, considéraient la respiration comme un acte magique, donneur de vie, et, par conséquent, ils en faisaient usage comme véhicule magique ; l’expiration pour rejeter l’énergie étrangère demeurée en eux depuis l’interaction avec l’être récapitulé, et l’inspiration pour retirer l’énergie qu’ils avaient eux-mêmes laissée derrière eux au cours de la relation ». L’indien yaqui poussait son enseignement au-delà des limites de la simple compréhension cartésienne, comme la psychanalyse personnelle des temps modernes, en assurant à son élève qu’il s’agissait plutôt d’un moyen de déclencher un déplacement, ne serait-ce qu’infime, du point d’assemblage. À revivre ces événements relationnels, le point d’assemblage glisse lentement vers l’endroit qui correspondait au moment vécu par le passé. Pour lui, cette démarche représentait la récapitulation recommandée.

 

Il faut dire que l’élève Carlos accédait ainsi dans l’art de rêver, à l’une des cosmogonies des sociétés préclassiques anciennes. Il découvrait une version pessimiste de l’Univers, chez les peuples d’Amérique Centrale. Son mentor lui retraça rapidement les déductions que firent ses devanciers. Pour ces gens, l’Univers émanait une force de création incontestable. Mais celui-ci recyclait notamment les basses énergies lourdes pour les rehausser à son niveau le plus haut. Cette force de « dissolution », comme l’appelaient les sorciers d’antan, laissait vivre les organismes en leur prêtant « sa conscience ». Cette même force implacable faisait disparaître les organismes, d’où les cycles de vies minérales, végétales et animales, de façon à reprendre possession de la partie de conscience (ici, les traces bioénergétiques), pour en extraire les énergies nées des « expériences » (ici, des empreintes et des indices) dans leurs nombreuses existences.

Ces sorciers cherchèrent un stratagème pour échapper à cette finalité arbitraire, qui réduisait le vivant au néant. Ils étaient persuadés que « puisque cette force convoite l’expérience de notre vie, il était d’une extrême importance qu’elle puisse se satisfaire d’un fac-similé de l’expérience de notre vie », en lui laissant s’approprier une énergie récapitulative. Ils espéraient de la sorte que la force de l’Univers se contenterait de cet effet placebo afin de continuer à être et à « élargir leur faculté de percevoir », et pourquoi pas « d’atteindre les confins du temps et de l’espace ». C’était devenu un combat de tous les jours contre une fatalité partiale. C’était une lutte au corps à corps pour la vie et contre l’utilisation de pauvres êtres jetés dans des situations désespérantes au profit de la seule douleur et souffrance pour nourrir la sinistre curiosité d’une force énergétique aveugle, sans état d’âme.

 

D’un autre côté, le rêveur Carlos finit par comprendre que son vieux maître lui permettait de se « construire, sans aucun ordre apparent, un puzzle des divers événements de [sa] vie », au risque de voir le chaos s’installer dans la frise historique de son existence. Le vieil instructor le rassura en lui indiquant que l’esprit de l’homme, son mental, savait choisir et aller directement vers les événements marquants, et bien évidemment, manquants.

L’élève Carlos avait une certaine maîtrise de l’acte de rêver, si l’on veut bien prendre en considération les nombreux volumes qu’il fit publier. Il s’exécuta et travailla à réduire, encore davantage, au silence ses pensées de l’instant. « Lorsque je réduisais mes pensées au silence, une force en apparence indépendante de ma volonté plongeait dans les moindres détails d’une mémoire d’un événement de ma vie ». Le tout opérait de façon efficace et ordonnée. Il se rendait compte qu’il restait un lot d’émotions enfouies et inaccessible à son autoanalyse de récapitulation. Quand son travail débuta, il s’en trouvait soulagé, et ses actes de tous les jours prirent une toute nouvelle tournure mentale. Son aspiration n’était plus la même.

 

Plus tard, don Juan fit venir une conversation sur un sujet à réfléchir et à mesurer dans le quotidien. Cet engagement homologuait l’idée de comparer la vision d’un corps endormi dans la réalité et la vision du corps endormi dans le rêve, passé la troisième porte de rêver. En effet, la « procédure de validation » était de s’assurer que le rêveur, au cours de son rêve éveillé, fasse la différence avec le monde réel et le monde qui lui ressemble, le rêve. Ladite procédure était basée sur l’instinct du mode de déplacement dans le rêve même. Le maître de Carlos disait que ce déplacement ne pouvait pas être une copie du déplacement emprunté dans la vie courante. On ne pouvait donc pas s’y déplacer en marchant, en utilisant ses membres inférieurs. Le corps d’énergie n’a pas de membres.

Pour se déplacer, la faculté première devait être un réflexe conditionné, fruit d’un long apprentissage. Pour se déplacer dans une songerie éveillée, quel réflexe aurait suffi : « si ce n’est que marcher s’impose en premier lieu à nos pensées », reconnaissait don Juan Matus. Rêver reproduit certains gestes établis de longue date. Tandis qu’après la troisième porte de rêver, le déplacement s’opère autrement.

Ce type de validation, entre la réalité physique du monde et la nature du monde de rêver, certifiait la bonne position du pôle énergétique du rêveur. Les sorciers d’antan stipulaient que « à la troisième porte de rêver, le corps d’énergie peut se déplacer exactement comme un corps d’énergie : rapidement et directement. […] Il peut se déplacer comme il se déplace dans le monde des êtres inorganiques ». C’était là, effectivement, l’une des phases de libération du corps d’énergie envers les « élémentaux » et à l’endroit des dernières réticences, des hésitations légitimes face à l’inconnu. Son mentor lui assura pourtant que l’art de rêver comprenait de nombreuses positions et diverses vérifications de contrôle tout au long de l’expérimentation. Pas étonnant alors que l’auteur de ce long document : The Art of Dreaming, puisse reconnaître que cette expérience couvrait treize années de travail le plus régulier possible. « Sois impeccable » l’avait encouragé son benefactor.

 

Pour être dans l’« impeccabilité », le sujet rêvant devait donner un sens à sa vie, pour justifier ses actions et chercher à donner le meilleur de lui-même jusqu’à ce que ses actions soient menées à leur terme selon leur objectif du départ. Dans la vie comme dans l’acte de rêver, le fait de ne pas décider par soi consistait à s’en remettre au hasard. Mais, n’était-ce pas plutôt une adversité ?

C’est ce qu’était appelé à faire le rêveur Carlos : à décider une action énergique pour que son déplacement à l’intérieur de la pratique de la troisième porte de rêver fût le résultat de cette décision. L’énergie était conscience (ici, l’effet) de l’Univers, et partant de ce constat, l’énergie était action  (ici, mouvement). Au lieu d’attendre d’être sollicité ou guidé par une tierce personne, le sorcier rêveur pouvait tout aussi bien agir de son propre chef. Ainsi, don Juan espérait que son apprenti progresserait de lui-même, en prenant des initiatives, sans s’en remettre tout le temps à son maître de rêver, ou aux êtres inorganiques. « Au cours des rêves qui suivirent, je vérifiais qu’assurément la seule façon pour le corps d’énergie de se déplacer était de planer ou de glisser dans les airs ». Ce qui eut pour résultat bénéfique d’ouvrir de nouvelles perspectives de voyages et d’expériences.

 

Sans doute y avait-il encore d’autres façons, en dehors de rêver, d’appliquer ces modes résolutifs qui amenaient à utiliser son énergie d’initiative et de persuasion – tels l’art, la musique, la recherche, l’étude, l’écriture, la guérison, et d’autres choses encore. Les rêveurs de la nouvelle école réformée estimaient légitimes de léguer la partie noble de leurs examens de conscience de sorciers et de leurs expérimentations concernant les phases de recouvrement de la pensée consciente lors du phénomène de l’endormissement du corps physique. C’était d’autant se forger une énergie volontariste dans une vie courante et apprendre à retenir sa perception consciente jusqu’au rêve éveillé, dans le corps d’énergie.

 

Dans sa pratique de rêver, inventant sa procédure récapitulative de validation du rêve éveillé dans le corps d’énergie, au seuil du corps physique endormi, l’élève de don Juan reçut une indication de la part de la voix qu’il appelait l’émissaire. Ce dernier lui faisait savoir que « tous les éléments des rêves qui n’étaient pas des rêves banals étaient en réalité des configurations d’énergie différentes de celles de notre monde normal », pour qu’il découvre dans cette procédure de vérification un moyen terme pour valider un rêver dans la rubrique : lucide.

Dans l’un de ses rêves sorciers, et par la voix d’un émissaire entêté, le rêveur Carlos s’entendait annoncer que les murs devaient lui paraître liquides. De fait,  il sentit la différence de texture lorsqu’il s’immergea dans l’un des murs de sa chambre à coucher, alors qu’il adoptait la procédure de validation. Une paroi dont les proportions gigantesques différaient de celles de sa chambre lui parut anormalement différente. Ce qu’il ressentait ne fut pas « la sensation [froide] physique de plonger dans de l’eau ». C’était plutôt une « pensée de plonger » augmentée d’« une sensation visuelle de traverser une matière liquide » telle qu’on peut bien se l’imaginer par la pensée. L’apprenti rêveur se déplaçait dans un rêve banal. L’émissaire lui avait joué un tour à sa façon, tout était bon pour prendre ou faire perdre de l’énergie à son contradicteur. Le vieil homme yaqui se moqua de sa duplicité.

À l’initiative de son maître, le jeune sorcier rêveur dut prendre une décision irrévocable quant aux interventions fortuites de l’émissaire : ne plus accepter d’entendre raison lorsqu’une voix insidieuse s’en mêlerait, en se disant : elle a peut-être raison.

C’était le « peut-être » qui faussait toute la réflexion autour d’une juste décision à tenir. Quand cela lui arriva de nouveau, il fut si sincère de se débarrasser du diablotin que l’affaire fut faîte. « Si vous vous retenez d’exprimer votre requête, je vous promets de ne jamais interférer avec votre pratique de rêver et de ne parler que si vous me questionnez manifestement ». Le vieux sorcier le félicita car il avait pris la bonne décision, d’un cœur sincère. « La seule exigence était d’être sincère ». Ainsi le rêveur Carlos eut l’esprit tranquille pour œuvrer à son impeccabilité. C’était aussi une nouvelle approche pour perfectionner son corps d’énergie. C’était presque à dire que la connaissance du corps d’énergie revenait à lui inculquer un nouvel instinct. Les sorciers de l’antiquité avaient passé une vie entière à consolider leur corps d’énergie.

 

Voici le sorcier rêveur parvenu au chapitre du rêveur traqueur. Les sorciers traqueurs étaient des sorciers rêveurs qui avaient perfectionné leur corps d’énergie en l’aidant à mûrir et en le complétant tout en dirigeant ses agissements. Le corps d’énergie a la faculté de se déplacer par lui-même, sur les ondes vibratoires de l’Univers. « Tout ce qui concerne le corps d’énergie dépend de la position appropriée du point d’assemblage » pour le sorcier rêveur. Dès lors que son corps d’énergie se déplaçait et changeait de position à la surface de l’enveloppe ovoïde, la position idéale du pôle de connexion était atteinte, et le champ opératoire de « Voir » était rendu cohérent.

La suivante initiative à réaliser était celle de « traquer » le point d’assemblage, de manière à le maintenir dans une position de rêver et de cohérence impeccable.

Traquer signifiait : repérer et fixer son point d’assemblage afin de l’aider à se consolider et à émerger de son horizon – le corps physique. Il fallait, là encore, avoir le dessein et la conviction profonde, avant de « traquer ». L’intention conquérait par la pratique.

Pour ce faire, il convenait d’avoir un double objectif dans l’intentionnalité. « Laisse ton corps d’énergie atteindre la position de rêver […] Laisse ton corps d’énergie demeurer à cette position », c’était ainsi qu’opéraient les sorciers rêveurs qui traquaient leur point d’assemblage. Ils atteignaient deux mouvements successifs : déplacer le point d’assemblage et immobiliser le point d’assemblage.

Bien sûr, « la position optimale » était une image idéalisée pour dire que le corps d’énergie serait complet et cohérent à cet endroit par ce maintien. Don Juan se rappelait les instructions mais aussi les explications théoriques des lignées de sorciers préhispaniques. « La matière inanimée possède vraiment une force immobilisatrice » que les sorciers rêveurs connaissaient bien. Ils la voyaient tel un rayonnement de faible luminosité. Cette force attractive énergétique se retrouvait dans tous les détails des éléments du rêve.

 

On pouvait même considérer que le corps d’énergie était complet et mûr, lorsque les détails n’avaient plus d’intérêt dans l’acte de rêver. « En se déplaçant, ton corps d’énergie abrège son obsession pour les détails », ainsi s’accomplissait l’exercice fastidieux du passage de la troisième porte de rêver vers un état de consolidation énergétique nécessaire à endurer le grand Univers. L’étape suivante se nommait : voir l’énergie avec le corps d’énergie. Les sorciers rêveurs et les sorciers traqueurs avaient entériné une consigne innovatrice pour distinguer un monde réel d’un monde qui ne l’était pas. Dans le monde de tous les jours, voir l’énergie dans chaque élément du monde stipulait que l’énergie du sorcier était complète et impeccable.

Dès lors, dans leurs rêves, voir l’énergie des éléments, chaque fois qu’ils fixaient leur attention, stipulait que le monde dans l’acte de rêver était réel, c’est-à-dire générateur d’énergie. Si les sorciers ne voyaient pas le produit de l’Univers : l’énergie dans n’importe quel détail qu’ils fixaient, cela stipulait qu’il s’agissait d’un monde rêvé, un rêve ordinaire. « Un monde [réel est un monde] qui produit de l’énergie ; l’inverse est un monde fantomatique de projections où rien ne produit de l’énergie ; ainsi sont la plupart de nos rêves, où rien n’a d’effet énergétique », ainsi parlait don Juan et tous les sorciers de sa lignée : le nagual Julian, le nagual Elias, le nagual Rosendo, le nagual Lujan, le nagual Santisteban, avant il y eut bien huit naguals, mais ils furent assez différents.

 

Dans la pratique journalière, en fait, l’art de rêver était une série de vérification qui permettait à n’importe qui d’éclairé de relever les positions appropriées du point d’assemblage qui rendaient le plus d’effets proche de la réalité du quotidien. Ces positions étaient adaptées dès lors qu’elles recelaient des éléments de rêve énergétique dans des conditions « semblable au rêve ». La structure du rêve n’excluait pas d’avoir affaire à un monde organisé, autre qu’humain. Nous l’avons bien vu. C’était le corps d’énergie qui servait à ce moment-là d’étalon, parce qu’il avait la particularité de refléter les énergies différentes à celles du monde de tous les jours. Le corps d’énergie était une partie infime de l’énergie de l’Univers. Par exemple, le monde des êtres inorganiques, comme eux-mêmes, était une énergie qui grésillait. Le monde des êtres organiques, comme celui des sorciers rêveurs était une énergie qui frémissait.

L’Art de Rêver était la connaissance des dissemblances entre un monde fait d’éléments producteurs d’énergie commune et un monde de projections fantomatiques (comme le rêve ordinaire) ou, un monde fait d’éléments producteurs d’énergie étrangère, ce qui était toujours possible.

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